Ficha Abraham 3

Genèse 15-16

Promesse et alliance

Zoom : 15, 1-16. Promesse d’une descendance ; sacrifice d’alliance

[Le ch. 15 forme un ensemble avec les ch. 13 et 14.]

 

Section précédente. Les ch. 13-14 peuvent sembler de second intérêt par rapport au ch. 17 où sera conclue l’alliance sanctionnée par la circoncision. Pourtant, ces deux chapitres ont toute leur place puisqu’il s’agit de dresser peu à peu, au long de la saga, le portrait d’un homme de foi, juste aux yeux de Yahvé, que ce soit pour les relations à l’intérieur du clan, que ce soit dans la conduite d’une guerre, de la gagner et de ne pas vouloir bénéficier de l’avantage du vainqueur. Au début du ch. 14, de nombreux noms propres laissent entendre que ces conflits inter-nationaux n’ont rien à voir avec le héros Abram. Or, celui-ci se trouve concerné par la capture de son neveu Loth qu’il va délivrer en faisant la guerre… jusqu’au Nord de la Syrie contre les rois mésopotamiens et non contre les roitelets de Sodome et Gomorrhe. L‘épisode vient montrer la grandeur d’Abram, physique et morale. L’entrée en scène de Melchisédek vient confirmer la présentation d’Abram, homme béni de Dieu. On devine l’intention du rédacteur de mettre en valeur le personnage d’Abram.

 

Une première lecture de la section. Quelque chose de nouveau apparaît : une parole est échangée entre Abram et Yahvé. Abram répond à celui qui lui fait des promesses, 15, 1-2. Apparaît aussi un type particulier de sacrifice entre Abram et Yahvé (c’est autre chose qu’élever un autel). Le sacrifice vient consacrer une alliance. Après le sacrifice, le récit met en scène la naissance d‘Ismaël par le truchement d’Agar, la servante de Saraï, sans que cela ne pose question (ch.16) : Sara confie à Agar de donner un fils à Abram. Bientôt est décrite une scène de jalousie et Agar se voit écartée. Agar est protégée par l’ange du Seigneur. Elle reçoit la bénédiction et la promesse d’une descendance (16, 10) tout comme ce fut le cas pour Abram. La tradition chrétienne a souvent passé sous silence la relation des épisodes de bénédiction concernant Ismaël. Pourtant chaque parole a une grande importance dans les Ecritures. Les traditions arabe puis musulmane ont retenu cette tradition où Ismaël, fils d’Abraham, est considéré comme le père de la civilisation… La fin du ch.16 laisse entendre que l’ange du Seigneur, c’est-à-dire Yahvé lui-même, intervient et protège Agar et Ismaël. La scène de conflit entre Saraï et Agar est répétée en 21, 8-20. Les spécialistes parlent de doublon, qui serait le résultat d’une reprise de documents divers, lors de la mise en forme du Pentateuque.

 

Zoom : 15, 1-16. Promesse d’une descendance ; sacrifice d’alliance

 

Les personnages du chapitre 15 sont Dieu et Abram. Que se passe-t-il entre eux selon le récit ? Le Seigneur construit peu à peu une relation avec Abram qui grandit comme son ami, son allié. Au cœur de cette relation, Abram va acquérir peu à peu sa consistance humaine et spirituelle en apprenant le dépouillement (selon André Wénin, exégète). Abram est un homme de foi, un homme juste. Ici, pour la première fois, Abram entre en dialogue avec son interlocuteur Yahvé. Il l’interroge sur le devenir de la promesse d’un héritier et la réponse est “un fils né de toi et une descendance innombrable”. Abram croit cette parole. Cette phrase est célèbre depuis que saint Paul l’a relevée pour son raisonnement auprès des Galates : “Abram eut foi dans le Seigneur, et pour cela, le Seigneur le regarda comme juste”. Galates 3,6. L’interprétation de cette phrase aura une grande importance dans les débats entre protestants et catholiques au XVIème siècle et jusqu’à aujourd’hui, entre la foi et les œuvres.

 

Le sacrifice décrit à la suite de ce dialogue, v. 7-16, correspond à un rite habituel pour finaliser un contrat d’alliance entre un suzerain et un vassal dans l’Ancien Moyen-Orient. Le sacrifice des animaux coupés en deux au milieu desquels passe le feu (le feu de Dieu) confirme une alliance d’assistance réciproque. Présenter des offrandes partagées en deux, consumées par le feu, était accompagné d’une parole : “Qu’il m’arrive ceci, si je ne respecte pas ma parole donnée !” Ce n’est donc pas un sacrifice d’action de grâce ou de louange, mais un rituel d’engagement réciproque. Concernant Abram, la qualité de relation entre Yahvé et lui a grandi. Abram est confirmé comme juste ; la promesse est confirmée : c’est à ta descendance que je donne ce pays (du Nil à l’Euphrate, ce qui dépasse de beaucoup la promesse initiale !!!).

 

Les v.13-16 semblent faire allusion à l’esclavage en Egypte et à la libération. “Après quatre générations” est une approximation qui prend sens si chaque génération est estimée chacune à une centaine d’années. Précisions pour notre lecture : doit-elle être fixiste (‘cela s’est passé tel que c’est écrit’), ou faut-il accepter une lecture interprétative, accepter un texte rédigé bien après Abraham, reflétant les interrogations du Royaume du Juda, quelques siècles plus tard, et en particulier dans les années -800, -587, quand les armées de Mésopotamie s’imposent en Palestine? Il est possible que ces versets 16-19 aient été écrits à la fin de la royauté, au moment où Sennakérib puis Nabuchodonosor font sentir leur pouvoir. Le royaume de Juda vacille et la possession de la Terre Promise est compromise. C’est l’occasion de reconstruire l’histoire en vue de galvaniser les juifs au temps de l’adversité. Il faudrait relire l’histoire des derniers rois d’Israël, en 2 Rois 23-25. Il faudrait aussi prêter attention à l’évolution de la recherche biblique à partir des années 1970-1980.

 

Ch.16 : naissance d’Ismaël

Abraham chasse Agar Abraham chasse Agar  Revenons à Abram et à Saraï : Sans perspective de descendance, c’est Saraï qui prend une initiative. Elle propose à sa servante de s’unir à son mari pour obtenir un enfant (ce qui semble admis dans certaines législations de l’ancien Moyen-Orient). Entre Agar et Saraï naît une rivalité et la servante doit fuir. Qui vient à son aide ? L’ange du Seigneur (il serait plus juste de traduire : ‘l’envoyé du Seigneur’). Ses conseils sont accompagnés de bénédictions, en 16, 10, à comparer avec 12, 2-3 et 15,5 pour Abraham.

 

Pour aller plus loin :

L’expression “l‘ange du Seigneur”. Le mot ange est un héritage des religions d’Assyrie, qui ont inventé une multiplicité d’intermédiaires entre les dieux et les hommes. Israël a tardivement intégré cette vision du ciel et de la terre dans sa religion, alors que jusqu’à présent, Abram et Yahvé discutent en tête-à-tête, sans avoir besoin d’intermédiaires. Il en était de même pour la création du monde et le dialogue au jardin d’Eden. Plus tard, le Nouveau Testament ne mettra pas en question les représentations angéliques, mais il freine leur prolifération. Paul en fait de même dans la lettre aux Colossiens. (Voir dictionnaire du N.T. de Xavier Léon-Dufour, article ‘ange’ ; ou l’encyclopédie Théo 2001).

 

Abram eut foi dans le Seigneur, et pour cela, le Seigneur le regarda comme juste. Saint Paul invente une nouvelle compréhension de la foi avant les œuvres en vue de la réconciliation de Dieu avec nous. Dans les discussions théologiques, pour les pharisiens, on peut tout dire à condition de le prouver par les Ecritures, ce que fait Paul. Il ne remet pas en cause Moïse mais invite à scruter ce qui est dit d’Abraham, bien avant Moïse.

 

Juifs, Chrétiens et Musulmans

Les trois religions monothéistes plongent leurs racines en Abraham et sa descendance : pour les Juifs et les Chrétiens : Abraham-Isaac ; pour les Musulmans : Abraham-Ismaël.

·         Pour les Juifs, Abraham est le premier homme parvenu à la connaissance du Dieu unique et Créateur.

·         Pour les Chrétiens comme pour les Juifs, Abraham est le “Père des croyants” mais, pour les Chrétiens, avec une place toute particulière pour Jésus et sa mort au calvaire préfigurée par le sacrifice d’Isaac. Pour St Paul, Juifs et Chrétiens sont sauvés indépendamment de la foi juive, tandis que les judéo-chrétiens exigent le passage par la circoncision.

·         Pour les Musulmans, Abraham est le modèle du vrai musulman. L’Islam retient le sacrifice du fils (probablement Ismaël). Comme Mahomet, Abraham s’est détourné de la religion de ses ancêtres pour rejoindre le monothéisme. Son travail, sa famille, sa prière ont préparé l’Islam. Il est le père d’Ismaël avec qui il a bâti à la Mecque le sanctuaire de la Kaaba. Le sacrifice du fils montre l’obéissance totale aux ordres de Dieu. Cette soumission est l’acte constitutif de l’Islam. La fête de l’Aïd-el-Kébir, par l’immolation du mouton, commémore ce sacrifice.

La tradition judéo-chrétienne s’est focalisée sur la lignée Abraham-Isaac-Jacob. Les Musulmans nous rappellent qu’Ismaël est lui aussi fils d’Abraham, circoncis, comme lui fils de l’Alliance. Nous ne devrions pas oublier qu’en Abraham, ce sont toutes les nations de la terre qui sont bénies de Dieu.

 

Les noms de lieux et de tribus

Nous rencontrerons plusieurs fois des listes de noms propres que l’archéologie ou l’étude des textes n’arrive pas à situer. Certains noms sont fictifs, inventés ; d’autres évoquent l’ancienneté de certains lieux, comme Béthel, Salem, Qadesh, le chêne de Mamré (Hébron). La guerre des quatre rois évoque les querelles incessantes entre bergers, mais sans doute invite-t-elle aussi à penser aux invasions mésopotamiennes du 8ème au 6ème siècle, en Samarie puis en Juda. Cet épisode de guerre évoque le principal ressort de la vie des hommes, à savoir la convoitise, réelle ou supposée. C’est elle qui pousse à la guerre. La convoitise n’est pas étrangère aux démêlés entre Abram et pharaon. Quand Abraham va défendre Loth, ce n’est pas par convoitise, ni au début, ni à la fin du récit.

 

Notre proposition de lecture invite à porter attention aux acteurs en action dans le texte : descriptions, actions, contexte et réponses aux situations. C’est une manière d’éviter les innombrables digressions dont nous sommes coutumiers, pour porter attention à ce que le rédacteur met en valeur : Abram, Yahvé, Sara, Loth ainsi que les personnages présents dans l’un ou l’autre des épisodes (Pharaon, Melchisédek, etc.), sans jamais oublier l’intrigue principale : Yahvé fait l’éducation d’Abraham son ami. Le ch.16 fait place aux initiatives féminines, l’avions-nous repéré ?

 

Adam et Eve ; Abraham et Sara

Le seul exemple de relation entre homme et femme, dans la Bible, avant Abram et Sara, c’est Adam et Eve. Cette relation est présentée comme un don de Dieu et bénéficie d’une bénédiction. Un tiers (le serpent) introduit la convoitise, le désir d’être l’égal de Dieu. Ce désir (convoitise) est aussi mis en scène avec la Tour de Babel élevée jusqu’au ciel, demeure des dieux (Gn 11). Abraham et Sara, c’est un autre couple où Saraï n’est pas totalement passive. Si elle semble passive au tout début du récit, même chez pharaon en Egypte, on la voit prendre de l’ascendant. Ainsi elle propose à Abram d’avoir une lignée grâce à Agar (Gn 16). Si Abram est le pilote au début de l’aventure, Saraï sera associée par Yahvé lui-même à la bénédiction divine (Gn 17)

 

La question de la descendance.

Elle est présente à plusieurs reprises dans le récit (ch.12 ; 15 ; 17…). Au long de la Bible, elle est considérée comme une bénédiction. Les récits de femme stérile qui enfante tardivement, témoignent de cette bénédiction enfin accordée. La fécondité fait partie de la bénédiction accordée au premier couple : “Croissez, multipliez-vous”, en Gn 1,27. Il n’était pas concevable qu’Abram, appelé par Dieu, soit sans descendance. Ainsi la descendance avec Isaac sera présentée comme un don de Dieu, fruit d’une promesse.

 

Prier la Parole

Le cantique de Zacharie. Luc 1, 59-72

Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël

qui visite et rachète son peuple.

Il a fait surgir la force qui nous sauve

Dans la maison de David, son serviteur,

Comme il l’avait dit par la bouche des saints

Par ses prophètes depuis les temps anciens :

Salut qui nous arrache à l’ennemi,

A la main de tous nos oppresseurs.

Amour qu’il montre envers nos pères,

Mémoire de son alliance sainte,

serment juré à notre père Abraham,

de nous rendre sans crainte,

afin que, délivrés de la main des ennemis,

nous le servions dans la justice et la sainteté

en sa présence, tout au long de nos jours.

Et toi, petit enfant, tu seras appelé

prophète du Très-Haut ;

tu marcheras devant, à la face du Seigneur,

et tu prépareras ses chemins,

pour donner à son peuple de connaître le salut,

par la rémission de ses péchés ;

grâce à la tendresse, à l’amour de notre Dieu,

quand nous visite l'Astre d'en haut,

pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres

et l'ombre de la mort,

pour guider nos pas au chemin de la paix.

Article publié par Emile Hennart - Maison d'Evangile • Publié • 2422 visites