FAQ-2-Evangile de Luc

Lecture en maison d’Evangile, questions et réponses au fil de l’année. Section 2 : Luc 4, 14 à 6, 49

La lecture des réponses à ces questions n’a d’intérêt que si l’on a soi-même lu la section 2 de l’évangile de Luc, ch. 4, 14 à 6, 49). En effet l’objectif des maisons d'Evangile est d'abord de découvrir le texte tel que Luc l'a écrit, de se mettre à sonécoute, de devenir chacun chercheur de Dieu et de son visage avec d'autres désireux de cette rencontre. Relire la fiche d’accompagnement permet d’avoir une vue d’ensemble de la seconde section. Le document ci-dessous n’est pas un commentaire exhaustif de l’œuvre de Luc, mais répond à quelques questions posées en maisons d’Evangile. Le style personnel du dialogue par mail a été gardé pour cette publication

Relire la fiche d’accompagnement pour la section 2. Luc ch.4 à 6, 49

 

Baptême de Jésus. Avait-il conscience d'être fils de Dieu.  Esprit ?


A l'entrée du lac de Capharnaüm Le Jourdain  
A l'entrée du lac de Capharnaüm
A l'entrée du lac de Capharnaüm
“Aujourd’hui je t’ai engendré” est d’abord une citation de l’Ancien Testament du psaume 2,7, texte utilisée pour signifier l’intronisation du roi dans sa fonction. Ici, Jésus est intronisé dans sa mission, qui commence, selon Luc, lorsqu’il reçoit l’Esprit-Saint. Jésus est consacré par l’Esprit saint et non par le baptême de Jean. Au jour du baptême, il n’est plus question de naissance physique, mais du début de sa mission de sauveur. Jésus est en quelque sorte “intronisé”. confirmé par l'Esprit.

Il ne faut jamais oublier que les Evangiles sont d'abord l'expression de ce que croyaient les premiers chrétiens autour des apôtres. Ecrits bien après les évènements, leur rédaction est influencée par la méditation chrétienne et par la catréchèse donnée dans les premières communautés. Ce n'est pas un simple communiqué de presse.

 

Jean-Baptiste et Jésus se sont-ils fréquentés ?


Nous avons envie de répondre "oui, bien sûr!", car nous connaissons bien ce que Marc ou Matthieu ont écrit, et plus encore l'évangéliste Jean, quand le baptiste désigne Jésus qui passe comme l’agneau de Dieu. Or, à bien lire Luc, nulle part il ne présente Jésus et Jean ensemble !

 

Luc nous parle de la prédication du baptiste, de son arrestation… Alors seulement, d’un adjectif mot au passé, il évoque que Jésus a été baptisé. Plutôt que de parler d’oubli, ne sommes-nous pas invités à relire 3, 20-21 pour entrer dans la manière dont Luc comprend l’histoire du salut. Ce temps du salut (temps de l’humanité) est divisé en trois moments.
 

  • Le temps de la Promesse correspond à ce que nous appelons l’Ancien Testament jusqu’à y compris Jean-Baptiste. Ainsi Luc fait commencer la présentation « publique » de Jésus, une fois Jean-Baptiste emprisonné.
     
  • La Promesse accomplie.  Jésus est confirmé “fils de Dieu” dans l’Esprit, une fois baptisé. Alors commence la réalisation de la Promesse : Dieu parle à nouveau par Jésus, son fils (les cieux qui s’ouvrent signifie une communication à nouveau établie entre ciel et terre). Vient alors la généalogie de Jésus, puis le temps de préparation au désert, comme tout prophète (cf. 40 jours). Pour Luc, la vie de Jésus, c’est le temps de l’accomplissement de la Promesse (voir discours à Nazareth).
     
  • Le temps de l'Esprit et de l'Eglise. Le troisième temps de l’histoire du salut commence avec le don de l’Esprit à l’Eglise pour qu’elle proclame à tous le salut accordé par Dieu. Ce ne sont pas des subtilités, c’est une invitation à entrer dans la pensée de Luc et sa conception du salut. Nous sommes aujourd’hui dans le troisième temps du salut, celui de la proclamation de la Bonne nouvelle, jusqu’à ce qu’Il revienne

La généalogie de Jésus : comment Luc a pu remonter le temps ?


Enluminure reprenant la promesse d'une descendance au père de David. Jésus, fils de David. L'arbre de Jessé  
Enluminure reprenant la promesse d'une descendance au père de David. Jésus, fils de David.
Enluminure reprenant la promesse d'une descendance au père de David. Jésus, fils de David.
Vous aurez remarqué que Luc ne situe pas cette généalogie à la naissance de Jésus, ce qui aurait été logique, mais lorsque Jésus commence son ministère public, lorsqu’il est “confirmé par l’Esprit-Saint” comme fils bien-aimé de Dieu. Cela laisse entendre que Luc accorde à cette généalogie une dimension symbolique et pas seulement historique.


Comme toutes les généalogies chez les Anciens, que ce soit chez les hébreux, que ce soit dans d’autres civilisations, une généalogie n’est pas une simple reprise « historique » de l’écoulement des générations. C’est une manière de signifier l’enracinement de quelqu’un dans une histoire qui le précède. Ces généalogies portent en elles une dimension symbolique dont nos esprits occidentaux ont bien du mal à saisir la portée, enfermés que nous sommes dans l’hyper-réalisme de notre raison et de nos arbres généalogiques. Nous avons bien du mal à saisir les subtilités des orientaux. Comprendre le fonctionn ement des mentalités anciennes est une donnée de l’histoire générale ancienne et non de la foi comme telle… Il nous appartient d’essayer de comprendre comment fonctionnaient les civilisations anciennes, quelles étaient leurs mentalités.


Luc n’a pas la même généalogie que Matthieu. Il la rédige en la divisant en trois paquest de 14 génération. [(Rien que "7x7x3", cela devrait nous mettre la puce à l’oreille sur la portée symbolique de cette généalogie : 7, chiffre parfait redoublé, multiplié par trois, signe de totalité (trois fois saint par exemple). Je ne peux ici développer la réflexion sur la symbolique des chiffres, encore moins sur la Kabale. Que retenir de cette généalogie :

  1. Jésus n’est pas fils de rien ou né de nulle part. Il est incarné dans une famille, dans une lignée humaine, contrairement à ce qu'affirmaient certains penseurs du premier siècle, pour qui Jésus avait revêtu une apparence d’homme. Avec le Credo, nous affirmons : “Jésus vrai homme”
     
  2. Jésus fils de David. C’est une manière d’affirmer que Jésus est héritier du Royaume de David… telle est la conviction de Luc, mais il ne fait pas d’analyse génétique !
     
  3. Jésus fils d’Abraham, c’est-à-dire, laisse entendre Luc, que Jésus fait bien partie de l’ensemble de la nation juive, il est lié à chacun grâce à Abraham l'ancêtre.
     
  4. Jésus fils d’Adam, et fils de Dieu. A la différence de Matthieu, Luc réfère Jésus à Adam. Jésus est bien fils de notre humanité et, en même temps, totue l’humanité, apr ce lie, bénéficie du salut qu’il apporte de la part de Dieu. Jésus est venu pour toute l’humanité, pas seulement pour les fils d’Abraham. En précisant “fils de Dieu” Luc confirme ce qu’il avait laisser entendre lors de la conception de Jésus : à la fois de Dieu et de notre humanité, comme le dit notre credo : “vrai Dieu et vrai homme”.

Note complémentaire. Dans le livre de la Genèse on trouve plusieurs généalogies. C’était une manière de dire que toutes les civilisations connues à l’époque viennent de Yahvé, ont même origine et qu’ils appartiennent à la même humanité que Dieu a bénie. Or chaque religion, de Mésopotamie ou d’Egypte ou d’Aram, affirmait sa différence, et l’inégalité d’origine des uns et des autres.

Ainsi en affirmant qu’Ismaël et Isaac sont fils du même Abraham, la Bible invite à reconnaitre que les habitants d’Arabie et les habitants de Judée sont descendants d’un même père. Cela doit interroger aujourd’hui encore les nations, quand on parle d’identité nationale, ou quand ¨le nationalisme d’Israël” ou “l’orthodoxie religieuse" de Jérusalem vise à exclure certaines populations hors du regard de Dieu et de leur regard. Il semble que les juifs de la diaspora n’aient pas ce même raisonnement à l’égard des arabes et palestiniens. L’intérêt du regard porté par les auteurs de la Genèse sur les autres civilisations provoque notre réflexion aujourd’hui encore.

 

A vin nouveau outre neuve !


Que veux dire Jésus quand il dit : "Il faut mettre le vin nouveau dans des outres neuves, Jamais celui qui a bu du vieux ne désire du nouveau car il dit c'est le vieux qui est bon" ? Luc, 5, 38-39.

 

D’une image tirée de la vie quotidienne, Jésus en fait une comparaison pour parler de Royaume de Dieu. Au temps de Jésus, plus d’un vigneron ou paysan a vu gâcher sa récolte pour n’avoir pas renouvelé ses outres, et la fermentation a fait exploser les vieux cuirs. La nouveauté du message qu’apporte Jésus ne passe pas trés bien auprès des gardiens de la Loi et des règlements. Ils explosent de colère contre Jésus. Le contexte dans lequel écrit Luc écrit a vu grandir le conflit entre Jésus et ses adversaires pharisiens, c’est le conflit entre les anciens et les nouveaux, Jésus est du côté de « faire du neuf », alors que les adversaires, défenseurs de la tradition et des coutumes à tout prix, refusent d’entendre la nouveauté du message que Jésus apporte.

 

Mettre le vin nouveau dans des outres neuves est une manière de dire qu’on ne peut guère beaucoup espérer de l’aptitudes des anciens à s’accorder à la nouveauté du message de Jésus, en particulier quand il demande la proximité avec les pauvres, les exclus, les pécheurs et les étrangers. Ceux qui ont goûté les rites de l’ancienne Alliance ne sont pas prêt à accepter la nouveauté de l’Evangile. (Jérémie en son temps parlait de la venue de Dieu qui changerait les cœurs de pierre et cœur de chair !) Le vin nouveau est acide… et Jésus devait être acide aux yeux des anciens (pensez à la parabole du pharisien et du publicain Luc 18,10).


Saint Paul, dans la lettre aux Romains, s’interroge sur le refus, la non-reconnaissance de Jésus par son peuple. Il l’exprime de manière affective et douloureuse. Les évangiles emploient souvent de petites images, tirées de la vie quotidienne, pour ouvrir à une compréhension qui dépasse de beaucoup le sens premier de l’image. Il faut un peu d’habileté pour passer de l’outre et de son contenant à la Parole de Dieu reçue ou non par les esprits plus ou moins chagrins qu’étaient alors les scribes et pharisiens.

 

Ceci en sans doute encore vrai pour chaque siècle jusqu’à aujourd’hui ! Ainsi au cours de l'histoire, chaque concile a provoqué des détracteurs qui refusent que du neuf puisse jaillir au souffle de l’Esprit-Saint. Faut-il parler de souplesse et de rigidité ? Vatican II et les séquelles actuelles sont une illustration de l’ouverture et de la rigidité évoquées par la parabole.

 

Que veut dire faire jeûner les invités d'une noce pendant que l'époux est avec eux.?


L’époux, les noces et le jeûne, cela ne va pas ensemble ! (5, 34-35). Avez-vous remarqué qu’on ne dit mot de l’épouse ? Il y a une allusion, subtile à Dieu qui épouse son peuple, en se référant à Isaïe. Il  présente parfois Dieu comme l’époux, l’épouse étant le peuple d’Israël : Isaïe 54, 5 : “ton créateur est ton époux, Yahve Sabaot est son nom, le Saint d'Israël est ton rédempteur, on l'appelle le Dieu de toute la terre”.

 

Une partie du livre d’Osée joue sur le jeu de relations (conduite et inconduite) entre époux/épouse pour faire penser aux relations entre Israël et Yahvé. Pour Luc, Jésus est celui qui vient restaurer l’alliance entre Dieu et son peuple. Jésus justifie ainsi qu’avec Lui, ce n’est pas le moment du jeûne, cela viendra quand il sera enlevé (la passion et la crucifixion). N’oublions pas que l’évangile est écrit après les évènements et donc ceci était clair pour les premiers chrétiens, plus que pour nous.

 

Cette petite phrase est une invitation à reconnaitre que Jésus vient renouer l'alliance entre Dieu et nous. Cela devrait nous réjouir et non nous provoquer à avoir une mine patibulaire! Mais quoi que fasse Jésus, il y aura toujours de bonnes raisons pour dénigrer. c'est ce que laisse entendre la phrase: "Jean le Baptiste est venu en effet, ne mangeant pas de pain ni ne buvant de vin, et vous dites : Il est possédé ! Le Fils de l'homme est venu, mangeant et buvant, et vous dites : Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs !" 7, 34-35

 

Sommes-nous des prédestinés ?


Cette question vient d’une interprétation de l’arbre qui produit de bons fruits, (6, 43) Grave question. A lire les Ecritures, et Luc en particulier, c'est une toute autre Bonne Nouvelle qui nous est apportée: les hommes sont libres d'accepter oou de refuserl’Alliance que Dieu propose. La prédestination est une théorie théologique qui laisse entendre que nous ne sommes pas responsables de nos actes, puisque “c’était écrit d’avance” ! Si nous lisons le récit des dix lépreux dont un seul se retourne vers Jésus nous en avons un exemple : les dix n’ont-ils pas été guéris ? Or, précise Luc c’était un samaritain ! La parabole du figuier invite le jardinier à savoir user de patience... jusqu'à une prochaine récolte.


Dans la parabole des vignerons homicides, (Luc 20, 9-18) le maitre envoie des serviteurs, puis son fils ; et lorsqu’il l’envoie, il espère bien que l’attitude des vignerons sera de le recevoir. Or c’est le contraire qui se passe : ils le rejettent et l’exécutent (voir fiche 7). C’est un choix fait en toute liberté à partir d’un calcul perfide. Luc précise bien qu’ils firent entre eux ce raisonnement (v.14). Cela ne relève pas de la prédestination, mais d’une mauvaise interprétation de l’accomplissement des Ecritures et des expressions Il faut… comme il est écrit.

L’encyclopédie catholique pour tous, Théo développe cette question à l’article prédestination, édition 2009, p. 758.

 

« Il faut… » L’accomplissement « selon les Ecritures ». Qu’est-ce à dire ?


Nous sommes héritiers d’une interprétation regrettable des “il faut” ou “selon les Ecritures”, comme si tout était écrit d’avance. Or, depuis une cinquantaine d’année, on a appris à découvrir le chemin spirituel et de relecture que les disciples ont dû faire, au soir de la mort de Jésus. C’est très bien exprimé dans le récit des disciples d’Emmaüs : Jésus est condamné comme blasphémateur, hors-la-Loi. Selon le grand Tribunal (sanhédrin), ce qu’il a dit et fait, cela ne correspond pas aux Ecritures. Les disciples, eux, avait cru et espéré en Jésus fils de la Promesse de Dieu, et voici que tout est réduit à néant !

 

C’est en relisant la vie de Jésus et établissant des parallèles avec tel et tel texte de l’Ecriture, qu’ils mesurent que la manière dont Jésus a été condamné, la manière dont il a vécu et enseigné ressemble à des choses déjà vécues et écrites dans leur Bible, chez les prophètes en particulier. La condamnation de Jésus est une conséquence logique de l’obstination des hommes à le refuser, et non une volonté de Dieu de l’envoyer à la mort

 

Les deux disciples d’Emmaüs sont la figure de la première génération de chrétiens qui a du s’expliquer sur ce Jésus Ils affirment qu'il est envoyé de Dieu et Messie en se justifiant par les Ecritures. La relecture Vie-de-Jésus/Ecriture s’est développée durant les premières années du christianisme , tant était forte la contestation des juifs contre eux. Il y eut alors une accumulation de textes par lesquels ils affirment que Jésus est bien l’héritier des prophètes.

 

Nous retrouvons ces textes de l'Ecriture au long de la rédaction des évangiles sous forme de référence parfoois évidentes, parfois subtiles. Mais nous ne sommes pas encore assez familier de 'lncien Testament pour repérer une citation. De plus, nous lisons et disons, de façon simplificatrice et sans discernement : “il a fait ce qui était écrit !” Expression qui n’est pas juste, car c’est après les évènements que les chrétiens font les rapprochements. Dès la première prise de parole de Jésus, à Nazareth, Luc cite l'Ancien Testament, et confirme que Jésus est bien dans la ligne de ce qui est écrit, et non à côté oou en opposition! 

 

Aujourd’hui cela se réalise.


Il est important de comprendre l’expression “aujourd’hui" cette Ecriture est accomplie pour vous…” elle annonce la réalisation de la Promesse. Luc met au tout début de la prédication de Jésus une phrase qui a sans doute été prononcée par Jésus bien plus tard, lorsque les évènements auront été vécus. Luc a organisé son évangile. Il ne s'est pas contenté de pmettre bout à bout, des épisodes de la vie de Jésus : il a organisé son œuvre, avec le souci de manifester que Jésus réalise la Promesse, que Dieu est désormais de nouveau proche de son peuple.

Tel est l’intérêt de reprendre la phrase d’Isaïe annonçant un monde nouveau: "Les aveugles voient les boiteux marchent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres".

 

Un détail de cette citation devrait retenir notre attention : Isaïe emploie aussi l’expression jour de vengeance, pour annoncer la venue de Dieu. Or Jésus et Luc censurent cette expression deux fois de suite (en 4, 18-19 et 7, 22). Ils ne reprennent pas cette phrase. Luc fait avancer la découverte de Dieu qui est miséricorde, tel que n’avait pas osé le penser les prophètes.


La manière de signifier l’accomplissement se dira dans la suite de la section, caractérisée d’abord une succession de gestes de Jésus, proximité avec des pécheurs et guérisons. C’est la mise en œuvre du programme annoncé à Nazareth. Les destinataires du salut : la belle-mère de Pierre et de nombreux malades ; un lépreux, un paralysé, Lévi, l’homme à la main desséchée, le repas chez des pécheurs, des guérisons le sabbat etc. Au début de la section suivante : l’esclave du centurion, la veuve de Naïm… d’où les questions de Jean-Baptiste sur l’identité de Jésus.

 

Pourquoi avoir choisi d’étudier en zoom « Jésus à la synagogue de Nazareth »

 

Tout simplement parce que le récit de Jésus à Nazareth est considéré par tous les observateurs de l’Ecriture comme «le discours inaugural de Jésus». Il est comme une miniature réalisée par Luc, un condensé de la vie de Jésus. Guérisons et paroles signifient la Bonne Nouvelle de la réalisation de la Promesse. L’amour de Dieu s’étend à tous, y compris aux païens: la veuve de Sarepta et Naaman le syrien. C'est le motif du rejet immédiat  par la synagogue. L'universalisme de Jésus n'est pas apprécié, et déjà on projette de le faire mourir, hors de la ville, comme cela arrivera plus tard à Jérusalem.


Chaque phrase, chaque mot du récit mérite, plus qu’ailleurs, notre attention, car Luc s’y est fortement investi, comme on le fait quand on commence une œuvre. Ce qui est le cas de cette section qui ouvre la vie publique de Jésus.

 

Aujourd'hui cette Ecriture est accomplie pour vous qui l'entendez!  Le mot « aujourd’hui » n’est pas choisi au hasard. Dans l’ensemble de l’évangile de Luc retentit cet aujourd’hui comme réalisation de la Bonne Nouvelle :
. à Bethléem, “Aujourd’hui un sauveur vous est né”.
. A Nazareth, “aujourd’hui cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez”.
. Après le baptême, “tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré”.
. Après un récit de miracle en 5,26, “nous avons vu des choses extraordinaires aujourd’hui !”.
. En réplique à Hérode le renard : “J’accomplis des guérisons aujourd’hui et demain…” 13,32.
. A la foule autour de Zachée : “Aujourd’hui le salut est entré dans cette maison” 19,9.
. Au larron sur la croix : “Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis”.

Cette répétition du mot est une invitation à méditer l’aujourd’hui de Dieu, au temps de Jésus, bien sûr, mais en notre temps, notre aujourd’hui. Savons-nous le reconnaitre aujourd’hui ?

 

Qui a choisi la lecture à la synagogue de Nazareth ?


Il existait dans les synagogues un programme de lecture de toute l’Ecriture, réparti sur 3 ans ½ (la moitié de 7 !). A celui qui revient d’ailleurs, selon la coutume, on proposait la lecture du sabbat à la synagogue. C’est le cas de Jésus qui revient des bords du Jourdain. Ce sera aussi le cas pour Paul au long de ses voyages. Lecture, commentaire, récit du voyage, nouvelles entendues ailleurs. Jésus est l’un des leurs, et ils sont heureux de l’entendre. Il parle de Dieu, semble-t-il de manière positive. Les Nazaréens n’ont pas découvert, à ce moment-là, qu’il est l’envoyé de Dieu, mais ce que Jésus va dire interpelle (positivement et négativement les auditeurs) à partir de la lecture du jour : « la Bonne Nouvelle aux pauvres, c’est aujourd’hui »

 

Qu’est-ce qu’une année de bienfaits ?


Année de bienfait… C’est un rappel d’une loi juive dont nous gardons trace, aujourd’hui encore, sous le terme d’année jubilaire. Dans le Lévitique ch. 25 il est demandé de mettre la terre en jachère tous les 7 ans, de rendre sa liberté à l’esclave, de remettre sa dette au pauvre endetté etc. Tous les 7 ans et tous les 7x7 ans (donc la cinquantième année) ce sera une année sainte. [Notez là encore le chiffre 7!]. Cette législation fut plus théorique que mise en œuvre, mais elle invitait à revoir les relations sociales. N’y aurait-il pas aujourd’hui à remettre les dettes aux plus pauvres (pays les plus pauvres comme gens les plus pauvres, pour qu’ils recommencent à zéro ?.
Une année de bienfait comme en parle Jésus est une année où Dieu fait grâce de toutes nos offenses et nos péchés… C’est ce que nous affirmons à propos du Christ qui enlève le péché du monde. En langage populaire, je dirai que Jésus annonce à tous que Dieu remet les compteurs à zéro, désormais on recommence notre vie comme tout neuf sous le regard de Dieu.


La citation d’Isaïe n’est pas choisie au hasard. Comme dans l’évangile de Marc (1,2), cette citation rattache Jésus à la parole des prophètes. Qui plus est, cette parole se permet de censurer l’incise “ce sera jour de vengeance de Dieu” (Isaïe 62,2), pour ne garder que “l’année de bienfait accordée par le Seigneur”. En effet, le Dieu dont veut parler Jésus, puis Luc est un Dieu de miséricorde. Cela mérite d’être rappelé à tous ceux qui veulent faire de Dieu un justicier. Même Jean-Baptiste qui prêchait un Dieu prêt à couper les arbres sans fruit, à brûler ce qui n’a pas de poids (3,1-12) ne s’y retrouve pas et envoie poser la question à Jésus : es-tu celui qui doit venir ? (sous-entendu, me serais-je trompé en annonçant un Dieu qui punit ce qui ne porte pas de fruit ? Le fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ! Luc 19-10Tel est le visage de Dieu dont Luc se porte le témoin en rapportant la vie de Jésus.
Pour ce très court récit de “Jésus à Nazareth” i serait utile de prendre du temps, pour en méditer et réaliser toute la richesse de vie pour nous, décrypter dans cette miniature ce que Luc a choisi de retenir de la vie de Jésus-Christ.

 

N’est-il pas le fils de Joseph ? Comment interpréter cette réflexion ?


Si, dans un premier temps, les auditeurs de la synagogue sont favorables à Jésus (ils lui rendaient témoignage), quelques-uns grognent quelque peu : “pour qui se prend-il ?”, dirions-nous aujourd’hui. C’est alors que Jésus insiste. Ou plutôt Luc, qui résume ici le thème qu'il développe tout au lond de l’Evangile. Il laisse entendre que la Parole de Dieu entendue s’adresse aux païens tout autant qu’aux juifs pur souche, ce que vont rejeter ses auditeurs. Alors Jésus rappelle certns choix dans l'Ancien Testament: le choix du prophète Elie en faveur de la veuve de Sarepta, ou de Dieu pour la guérison de Naaman le syrien. Cet ouverture (universalisme) exacerbe l’auditoire. L'hostilité manifestée à Nazareth n’est que le prélude à de nombreuses hostilités que l’on retrouve jusque dans Jérusalem et au Golgotha.

L’ouverture de Jésus/Dieu aux étrangers est bien mal acceptée… hier, comme aujourd’hui. Un fil conducteur qui parcourt l’évangile de Luc, c’est l’annonce aux païens. "Eux, ils écouteront" affirme Luc, par la bouche de Paul, à la fin du livre des Actes (28,28). En entendant « eux ils écouteront » je me demande comment les autres, eux, ont compris et digéré cette affirmation !

 

Qui sont les humbles, les pauvres ?


Les pauvres dont parle Jésus sont ceux que la tradition juive appelait le petit peuple, (ceux d’en-bas diraient certains aujourd’hui), les catégories dont on ne s’occupe pas, les catégories méprisées par les savants, pharisiens et docteurs de la Loi ! Paul dira : ceux qui ne comptent pour rien, qui sont “sans naissance”, ceux-là, Dieu les choisit pour annoncer… (paragraphe où il oppose Sagesse et Puissance avec folie et faiblesse, 1 Corinthiens 1, 17 à 2). L'Ancien Testament parle des humbles, des petits, que Dieu a choisis.

 

Les pauvres, on en parle en bien des pages de la Bible, Deutéronome, prophètes, psaumes. La pauvre crie vers le Seigneur…. Le pauvre est celui auquel il manque quelque chose pour vivre, au sens économique d’abord, mais aussi au sens spirituel. Ceux-là sont ouverts à la relation avec Dieu. Ce n’est donc pas selon le poids du compte en banque que l’on peut apprécier riches et pauvres, mais sur l’aptitude à s’ouvrir à l’autre et à Dieu.


Je ne pense pas m’éloigner de la pensée de Jésus quand,  il laisse partir, tout  triste, le jeune homme riche, non parce qu’il avait de grands biens, mais parce que cette richesse rendait difficile l’ouverture à Dieu : il est plus difficile à un riche d’entrer dans le Royaume qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille…. Luc 18,25 (d’autres traductions parlent d'une porte de Jérusalem, difficile à franchir par une bête de caravane portant encore son chargement).


Ce que Luc, à la suite de Jésus, entend par pauvre peut être précisé à l’aide de la parabole sur la prière du pharisien et du publicain. L’un sait qu’il a tout, et rend grâce à Dieu car il n’a besoin de rien. L’autre sait qu’il ne vaut pas grand-chose et le reconnait devant Dieu, (Luc 18, 10-14). Celui-là ,sera entendu de Dieu. A la fin, Jésus reprend une parole que l’on retrouve dans le Magnificat, et qui évoque le renversement des valeurs, ce à quoi Dieu est attentif. “Le publicain se frappait la poitrine, en disant : Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis ! Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l'autre non. Car tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé”. Nous aurions tort de bloquer notre esprit sur le mot pauvre, l'expression "Dieu choisit les humbles de coeurs, les petits (comme le jeune David) serait plus juste.

 

Pourquoi le lépreux et l’aveugle reconnaissent-ils Jésus ?


Pourquoi, alors qu’ils sont des exclus et ne connaissent pas la renommée de Jésus ?
Luc n’explique pas le pourquoi. Dans ses récits d’Evangile, Luc nous présente des gens qui accueillent et des gens refusent ce que Jésus vient apporter. Or il se fait que les gens les plus malmenés par la vie (santé et maladie, exclusions diverses par les bien-portants) sont aussi ceux qui ont découvert en Jésus un regard, une attitude qui leur rend vie et dignité : regard de miséricorde et de compassion.


Il faudrait ajouter à la liste de ceux qui reconnaissent Jésus: Lévi (Luc 5, 27-32) qui accueille Jésus chez lui avec beaucoup de pécheurs, ou Zachée le chef des publicains (Luc 19,1-10), ou encore cette “femme de rien” chez un pharisien (7,36-50). La parole de Jésus à Nazareth : "Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades”, ou “je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir”, peuvent-elles être considérées comme des explications ?


Il nous faudrait relire les récits de Luc où Jésus s'explique lui-même sur son accueil, sur le sens qu'il donne à sa vie quand il rencontre ces gens en attente. . Ceux qui ont rencontré Jésus ne s’y sont pas trompés : “Ta foi t'a sauvée ; va en paix” ; ou encore “Aujourd'hui le salut est arrivé pour cette maison, parce que lui aussi est un fils d'Abraham” et enfin “le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu”.

 

Heureux les pauvres… Hélas pour les riches ... Choqués! (6, 20-26)

 

Les béatitudes. Enseign ement dans la plaine Porte de bronze à NazarethNazareth  
Les béatitudes. Enseign ement dans la plaine
Les béatitudes. Enseign ement dans la plaine
      Heureux vous les pauvres… malheureux vous les riches. Cela a beaucoup choqué. Il est vrai qu’on connait peu les béatitudes selon Luc, (6ème dimanche ordinaire année C). Puisque la traduction liturgique pousse à opposer les deux en bénédictio et malédiction, et que cela choque, il faut s’en expliquer. Et si possible en respectant au mieux ce que Luc a voulu dire et non ce que nous, nous croyons avoir entendu.


L’opposition heureux/malheureux de nos traductions n’existe pas dans le texte grec. Ce ne sont pas deux adjectifs qui se renvoient l’un à l’autre. La première expression heureux pourrait être traduite de manière plus juste par "vous avez de la chance" ! ou "heureux êtes-vous, parce que proches de Dieu" ; de l’autre côté il faudrait dire "hélas (en grec ouaï)" ! Ce n’est pas une condamnation, mais une interjection, un constat : hélas ! Cela change beaucoup dans notre compréhension. Il n’est pas dans l’habitude de nos mentalités occidentales de faire dans la nuance et on aime bien les oppositions: c'est blanc ou c'est noir! Avons-nous raison avec nos absolus ?

 

Ceci dit reconnaissons que, dans quasi toutes les sociétés, être pauvre n’a jamais été signe de bénédiction divine, bien au contraire. Or Jésus vient affirmer le contraire : que vous soyez pauvre, cela ne signifie pas que vous soyez loin de Dieu… et que vous soyez riche, cela peut être un handicap pour entrer dans le Royaume de Dieu. (Ce qu’on appelle la porte étroite, par où le chameau trop bien chargé a du mal à passer). Ce n’est pas une malédiction.

 

Jésus n’est pas allergique aux riches. Il suffit pour s’en rendre compte de constater qu’il ne dédaigne pas la fréquentation des publicains, lesquels ne font pas partie des pauvres, ni les repas chez les pharisiens. Au sujet de Zachée, Luc précise qu’il est “chef” des collecteurs d’impôts, dans une ville à grand passage (Jéricho), sur la route des caravanes Est-Ouest vers Jérusalem et, partiellement, Nord-Sud. Passage de caravanes = rentrée des taxes. La traduction de la Bible de Bayard propose une autre traduction, plus juste :

Vous êtes chanceux, les pauvres! Le royaume de Dieu est à vous.
Hélas pour vous, les nantis, vous avez déjà reçu votre consolation!

 

Dans cette explication il n’a pas été tenu compte de la construction de l’ensemble : 4 bénédictions et 4 malédictions, qui se renvoient l’une l’autre. Il ne faut pas isoler les unes des autres. Il serait aussi regrettable de ne pas lire les lignes suivantes, au ch 6, puisque ce chapitre rassemble une suite de recommandations pour vivre la condition de disciple : l’amour des ennemis, l’attitude à l’égard du prochain, ce que produit la vie de disciple. Chez Matthieu, ces recommandations couvrent trois chapitres (5-7).

 

Les pauvres (les humbles) dans la Bible et dans l’œuvre de Luc.

 

Jésus vient manifester que Dieu n’abandonne pas les humbles, les pauvres, au contraire ! Il a choisi de se rendre proche des derniers de la société, à commencer par les bergers à qui est annoncé la nouvelle d’une naissance, selon Luc. Le Magnificat est on ne peut plus explicite, concernant le renversement des valeurs. Il abaisse les puissant de leur trône, il élève les humbles ; il comble de bien les affamés et renvoie les riches les mains vides. Que n’a-t-on reproché au pape Paul VI et au Concile Vatican II d’avoir proposé une option préférentielle pour les pauvres ! Les choix de Dieu ne sont pas les choix des hommes, mieux vaut être prévenu. La littérature romaine préfère se pencher sur les vainqueurs, et non les vaincus. Ceci est la mentalité courante dans nos sociétés.

 

Nous aurons l’occasion de découvrir au fil de la lecture deLuc que Dieu ne maudit pas les hommes riches (plousios). Il demande à chacun ce que deviennent les relations d’humanité dans un contexte de richesse. (Lazare et le riche ; le riche qui meurt le soir même de son encaissement, l’intendant mis à la porte qui se fait des amis avec l’argent du maître, etc.).


Pensons maintenant à Luc, quand il écrit cet évangile à destinations des communautés d'Asie mineure. Il y a chez elles des pauvres qu’on marginalise (hier comme aujourd’hui !). Déjà l'apôtre Paul, quelques années auparavant, avait du remettre en place les chrétiens de Corinthe. Lors de leurs soirées-célébration eucharistiques ils marginalisaient (ignoraient) les pauvres (1 Corinthiens 11, 17-26).

 

Si Jésus est visage du Père, on devine quel est le point de vue de Dieu. Le renversement des valeurs dont parle le Magnificat est explicite. L’actualisation de ce message nous fait peur ! Pourtant la préférence en faveur des humbles et des petits est fidèle à la prédication du Fils de l’homme. Pour développer notre réflexion, il faudrait reprendre les fondements de la doctrine sociale de l’Eglise, relire les finales des lettres de Jean-Paul II et Benoit XVI sur l’Eucharistie. Dans les Actes des apôtres, Luc signale des discriminations sociales quand il faudra inventer un groupe de service des pauvres à cause des récriminations des pauvres veuves d’origine étrangère (le groupe des 7, Actes 6).

 

A suivre: section 3