Avec Luc, pitié pour les foules

Méditation du vendredi Saint


Au cours de cette année avec Luc, amené à lire et relire cet évangile, et la passion du Christ, mon attention a été attirée sur la manière dont Luc parle des foules autour de Jésus. J‘ai d’abord été étonné de l’expression, au Mont des Oliviers, quand Luc parle de “la foule des disciples” (les disciples en masses selon certaines traductions)… la foule des disciples se mit à louer Dieu à pleine voix… Y aurait-il donc plusieurs foules ? Et que fait la foule des disciples en particulier, celle qui a suivi jésus depuis qu’il était en Galilée, et aussi les femmes qui sont explicitement nommées au début du chapitre 8 ? Chacun devrait relire, crayon en main, ce que Luc écrit entre 19,29 et 23,50 au sujet de la foule des disciples, du peuple.

 

La foule des disciples acclame « Béni soit celui qui vient, le roi au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ». Le lecteur qui a un peu de mémoire s’étonnera de retrouver une expression du début de l’évangile, lorsqu’à la naissance de Jésus retentit le cantique « Gloire à Dieu et paix sur la terre ». Sans doute est-ce une subtilité de Luc, de signifier que la Parole de Jésus semée en terre humaine en Galilée n’est pas tombée dans le vide. Certains ont retenu et médité les paroles de Jésus et, à leur tour, ils retournent à Dieu le compliment : "Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux". La prédication de Jésus n’a donc pas été totalement vaine, comme le grain jeté en terre, quelque chose a poussé.

 

Le peuple suspendu à ses lèvres l’écoutait. Dans le paragraphe qui suit l’acclamation, Luc présente un trio de personnages que l’on retrouvera plusieurs fois dans ces quelques jours à Jérusalem : Jésus, le peuple, les grands prêtres scribes et chefs du peuple. Avec insistance Luc fait comprendre combien les gens (les petites gens) se rassemblent autour de Jésus pour boire ses paroles, au grand dam des grands prêtres et des scribes. Luc ne parle pas des pharisiens ; sans doute sont-ils plus réservés ! Jésus donc enseignait au peuple et les chefs envoient des espions chargés de le prendre en défaut. Cependant aucun ne prend la décision de faire arrêter Jésus, car ils craignent les réactions de la foule. Le dialogue au sujet de Jean-Baptiste est éloquent : « si nous disons que son message vient des hommes, tout le peuple nous lapiderait ! » etc.

 

Méfiez-vous des scribes. Jésus s’adresse sans ambigüité possible aux disciples et à tout le peuple qui l’écoutait : « méfiez-vous des scribes qui aiment porter vêtements luxueux, recevoir salutations publiques et siéger aux premières places. Ils dévorent les biens des veuves ». Tout le peuple venait à Jésus dès l’aurore, dans l’espace du temple, pour l’écouter.

Voici le moment de l’arrestation. Luc laisse entendre que Jésus s’adresse alors aux grands prêtres, chefs des gardes du temple et anciens, la bande infernale ! « Quand j’étais avec vous chaque jour dans le temple, vous ne m’avez pas arrêté, mais c’est maintenant votre heure, l’heure des ténèbres… ». Ensuite, Pierre va renier Jésus par trois fois, alors que Pilate, lui, l’étranger, par trois fois va déclarer Jésus innocent de tout ce dont il est accusé. Du groupe des Douze, il n’en est plus question, mais de ceux qui suivaient Jésus ils sont encore et toujours présents, quoiqu’impuissants. Luc détaille la montée en puissance de la hargne des grands prêtres et des scribes. Voici que Pilate convoque les grands prêtres et chefs du peuple. [Des manuscrits disent “Pilate convoqua les grands prêtres, les chefs et le peuple”].Ce sont eux qui s’écrièrent tous ensemble « Supprime-le et relâche nous Barrabas ».

 

Simon de Cyrène porte la croix derrière Jésus et derrière Simon, une grande multitude du peuple. Le peuple qui n’était pas présente dans le prétoire, la voici de nouveau, en assez grand nombre. Elle n’a donc pas oublié, abandonné Jésus –contrairement à ce qu’affirment les prédicateurs en masse pour nous culpabiliser lors des prédications de la semaine sainte. Nous connaissons notre péché, pas besoin d’en rajouter !] . Une assez grande foule donc suite Jésus et parmi elle, des femmes qui se frappent la poitrine et se lamentent. Ayons pour elles autant de respect que Luc en avait quand il signale leur présence émouvante et fidèle. Elles continuent à suivre Jésus derrière lui tout comme Simon de Cyrène (si quelqu’un veut être mon disciple qu’il prenne sa croix et marcher derrière moi !)

 

Le peuple restait là à regarder… Voici la dernière fois ou Luc parle du peuple au cours de la passion. Une fois encore il montre la distinction entre le peuple et les chefs du peuple. Un mot, un seul pour signifier qu’ils ne sont pas du même bord : “le peuple restait là à regarder ; eux ricanaient et disaient : il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même” Ainsi donc au dernier moment le peuple reste présent auprès de Jésus. Il est là, impuissant devant le mal qu’on fait à Jésus, mais il ne participe pas par la parole, ni au prétoire, ni ici.

 

Tout au long de son évangile, Luc nous présente Jésus qui a pitié de cette humanité qui est comme sans bergers, car les bergers ont déserté leur responsabilité, ils ont même voulu tirer avantage pour eux… Jésus est venu pour la multitude, la réconcilier avec son Père, et Luc a assez de décence et de respect pour tous ces gens du peuple qui ont suivi jusqu’au bout le Christ, sur le chemin vers Jérusalem. C’est encore eux, dans la bouche des disciples d’Emmaüs qui s’écrient :“Nous espérions en Lui mais nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et crucifié. Là encore, aux toutes dernières lignes de son Evangile, Luc distingue les chefs et le peuple. Tous n’ont pas égale responsabilité, même si tous sont pécheurs.

 

Alors ce soir, je médite sur cette foule dont Luc a été respectueux et amoureux, tout comme Jésus. Cette foule d’hier a entendu la voix du bon berger et l’a suivi. Là c’est saint Jean qui continue la méditation… “Je suis le bon pasteur ; le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Foule d’hier, foule d’aujourd’hui. C’est toujours la même foule des gens qui souffrent et pour lesquels Christ est venu, a souffert, est ressuscité pour qu’ils découvrent l’amour dont Dieu les a aimés.
Abbé Emile Hennart