Quand l’art s’accorde à l’Ecriture.

Michel Rossi (CDAS) Conférence 20 novembre 2010 – Arras.

 Au sujet des livres au monastère… QuandLa parole de Dieu, parole de vie La parole de Dieu, parole de vie   l’art s’accorde à l’Ecriture.

 

 

 

 

Introduction : La passion du livre est un trait caractéristique de la culture chrétienne.

 

Dire que la civilisation médiévale a souvent été assimilée à une culture du livre, c’est oublier que le livre est alors un objet précieux. La plupart des hommes et des femmes de cette époque ne savent ni lire ni écrire et n’ont pas les moyens d’accéder au livre…

Le livre est longtemps resté un signe de pouvoir, le don d’un livre appellont le contre-don de la faveur royale ou divine ! Le livre est parfois au service du salut individuel, tel celui d’un abbé ou d’un prince. Il arrive aussi que le scribe – enlumineur se soit représenté pour qu’on (Dieu !) ne l’oublie pas !

 

Le livre est omniprésent dans la pratique religieuse. Le rôle des monastères a souvent rappelé dans la production et la conservation des livres au Moyen Age…

Les chrétiens se sont plu à représenter traditionnellement Jésus un livre à la main. Pourtant, le christianisme n’est pas, au sens classique, une religion du livre mais de la Parole! Il perçoit dans les paroles, la Parole, le logos lui-même, qui déploie son mystère à travers la multiplicité et la réalité d’une histoire humaine.

 

I.             Les conditions de la production du livre au Moyen Âge. 

  •   La renaissance carolingienne.

Elle est marquée par la volonté de l’empereur de doter les grands monastères des textes fondamentaux, rédigés dans une écriture claire et lisible, la caroline. Les moines doivent produire eux-mêmes les ouvrages qu’ils souhaitent lire. Ceci explique qu’un grand nombre de monastères disposent d’un atelier de copie de manuscrits, le scriptorium, installé dans une salle donnant sur le cloître, parfois chauffé… Le plan, dit de Saint Gall, associe le scriptorium et la bibliothèque attenant à l’abside principale de l’abbatiale. Le travail y est minutieusement organisé sous la direction de l’armarius, moine expérimenté.

 

  •   Objet, le livre a beaucoup évolué pour acquérir sa forme actuelle au Moyen Âge. 

Deux étapes essentielles doivent être rappelées:

* L’apparition du codex est contemporaine de la naissance du christianisme. Le codex est un livre formé de cahiers de parchemins reliés, cousus ensemble ; il se consulte aisément et permet à l’utilisateur d’avoir immédiatement une vision d’ensemble du texte.

* l’invention de l’imprimerie vers 1460 dans la vallée du Rhin.

 

En Occident, le papyrus est définitivement supplanté par le parchemin au XIe siècle. On obtient le parchemin au terme d’une longue série de manipulations. À l’inverse du papyrus, le moine peut écrire sur les deux faces de son support. Le succès du parchemin demeure incontesté jusqu’à l’apparition du papier en Occident, en Espagne au XIIe siècle. Ce matériau, moins cher que le parchemin, est diffusé en Europe au XIVe siècle.

 

Avant l’invention de l’imprimerie, le scribe est le grand spécialiste de l’écriture. Certains historiens estiment qu’un scribe professionnel ne peut guère copier plus de deux ou trois feuillets par jour. Il dispose d’un certain nombre d’instruments, outils, qui lui permettent d’accomplir une tâche souvent lente et fastidieuse. Sur chaque page de parchemin, des lignes verticales et horizontales sont tracées pour guider l’écriture. Le tracé préalable est réalisé avec la pointe d’argent. Pour écrire, le scribe utilise le calame, un roseau taillé et effilé.

La copie des manuscrits est une entreprise collective, s’étendant sur plusieurs semaines…

 

L’image accompagne et nourrit le texte grâce au travail lent et laborieux et au talent des enlumineurs.

L’image revendique progressivement une place importante, se situant sur le même registre que le texte, jusqu’à occuper une pleine page.

Les plus grands artistes participent au décor des manuscrits, la peinture est dans les livres !

L’enluminure a une double fonction :

Elle est décorative, embellissant l’ouvrage, le rendant attrayant. Elle joue aussi un rôle pédagogique en éclaircissant et expliquant le texte…

On distingue plusieurs types d’ornements.

L’enluminure naît souvent à partir de la lettre, se répand dans les bordures ou marges, occupe des pleines pages historiées.

 

Pendant toute l’époque romane, l’emploi de la lettre ornée, historiée ou décorative, domine. Outre leur aspect décoratif, les lettrines ont l’avantage de rompre le caractère monotone de l’écriture.

C’est entre 1250 et 1350 qu’apparaissent dans les marges des livres du Nord - Ouest de l’Europe de petites scènes animalières appelées « drôleries ». Elles s’appuient sur les antennes des initiales se prolongeant dans les marges. Les lettres initiales acquièrent une autonomie, formant parfois une chaîne animée d’antennes reliant des motifs végétaux entre eux. Au XIVe siècle, les marges se peuplent de représentations végétales, animales…

L’univers des marges, un monde merveilleux !

             

II.           Scriptoria et bibliothèques des monastères sont d’abord au service de la liturgie.

 

a.        La Règle de saint Benoît : un livre qui encourage l’écoute des livres !

 

 

 

 

« Le texte de saint Benoît a le mérite d’être clair et relativement bref. Il est divisé en 73 petits chapitres précédés du célèbre prologue (« Ecoute, ô mon fils, les préceptes du Maître et incline l’oreille de ton cœur »), tout au long desquels les conseils spirituels alternent avec des directives pratiques. On ne peut manquer d’être frappé par la simplicité du ton et par l’impression de sérénité qui s’en dégage : pour saint Benoît, la vie monastique doit être accessible à tous ceux qui cherchent Dieu ; elle se présente comme une « école au service du Seigneur », qui s’oppose à l’école profane ».

                                                                                                          André Vauchez

 

La règle de saint Benoît organise la journée des moines avec des temps de lecture considérés come obligatoires et nécessaires au salut de l’âme.

Les monastères demeurent les principaux centres de production et de consommation des livres, jusqu’au XIIe siècle. Les catalogues conservés permettent de connaître les lectures favorites des moines : bibles monumentales en plusieurs volumes, œuvres des Pères (saint Augustin, saint Ambroise de Milan, saint Grégoire le Grand, saint Jérôme, Cassien et Origène).

A l’époque carolingienne, les bibliothèques monastiques les plus riches comprennent entre 400 et 600 volumes. Le catalogue de l’abbaye de Saint-Riquier établi en 831 comporte 243 volumes.

Dans la seconde moitié du XIe siècle, l’abbé Seiwold de Bath en Angleterre donne à l’abbaye Saint Vaast d’Arras 33 volumes. On y trouve des livres liturgiques, des extraits de la Bible, des commentaires exégétiques et patristiques, une règle de saint Benoît, des ouvrages hagiographiques et des livres d’histoire et de médecine.

 

Les moines ont besoin de livres; d’abord pour chanter l’office divin, les heures. De plus, la règle de Saint Benoît encourage la lecture communautaire. Les repas, pris en commun dans le réfectoire, sont l’occasion d’écouter en silence un extrait de l’Ancien ou du Nouveau Testament. Tous les matins, les moines se réunissent dans la salle capitulaire pour y entendre la lecture d’un chapitre de la Règle. Ils doivent aussi assister à des collations, des conférences (référence aux écrits de Jean Cassien) tenues dans le cloître. Par ailleurs, il leur est recommandé, à l’entrée en carême, de choisir dans la bibliothèque du monastère un ouvrage à méditer.

                           

 « Peut-être quelques lecteurs attendent-ils un mot sur la personne de celui qui poursuivit et adapta en occident l’œuvre de saint Antoine, de saint Pacôme, de saint Basile de Césarée, que saint Benoît appelle « notre père ». Né en Italie, vers 480, dans la province de Nursie, Benoît étudia d’abord à Rome ; mais l’appel de Dieu le conduisit bientôt dans une âpre solitude, aux montagnes et dans les grottes de Subiaco. Quelques années de paix s’écoulèrent ; puis les disciples vinrent si nombreux qu’il fallut les répartir en douze groupements. Une troisie étape, décisive celle-là pour le cénobitisme occidental, fit gravir à Benoît le Mont-Cassin, à mi-chemin entre Rome et Naples. C’est là qu’il mourut, peut-être en 547. Le pape saint Grégoire le Grand se fit son biographe, vers la fin du siècle en lui consacrant un livre de ses Dialogues.

La Règle bénédictine que nous lisons est souvent l’écho littéral de documents plus anciens, et on la rapproche surtout volontiers aujourd’hui d’une longue et archaïque Règle dite du Maître ».

 

                                   Extrait de Valeurs fondamentales du monachisme, Mame, 1962, Dom Augustin Savaton osb, abbé de saint Paul de Wisques.

 

b.    La lectio divina.

 

« L’expression lectio divina, selon la langue des Pères, c’est proprement la lecture méditée de l’Ecriture sainte. Nous la voyons en honneur chez les moines dès les origines, en Egypte, tant chez les cénobites que chez les anachorètes. Dans les documents pacômiens, la formule aliquid de scipturis meditari revient fréquemment, et le postulant illettré qui se présentait devait avant tout apprendre à lire pour pouvoir ainsi se nourrir des saintes Ecritures. Cette lectio divina  devint si vite une pratique essentielle de la vie monastique […]

Aux lectures privées doit se joindre l’audition de la parole : c’est spécialement par elle que se fait l’éducation de notre foi. Un disciple est celui qui écoute ; or il est si rare de savoir bien écouter ; et, tandis que le maître parle, d’écouter le maître intérieur, sans lequel rien ne fructifie.  […]

L’audition de la parole de Dieu et la lecture, alors même qu’elles ne procureraient pas des clartés bien nouvelles, éveillent du moins notre pensée et notre charité. Elles fournissent en partie la matière qu’exploitera l’oraison. […]

Ce qui importe aussi et surtout c’est la disposition d’une âme avec laquelle nous lisons. Le moine en ces matières, se prémunit contre la vaine curiosité, l’avidité, la boulimie. C’est toujours dans la direction de Dieu que le lecteur demeure tourné.  […]

Dans tous les monastères du monde, la lecture spirituelle de choix est la Sainte Ecriture. Pas une de ses pages, nous dit saint Benoît, qui ne puisse devenir « une norme très sûre de vie humaine ». […]

L’Ecriture est aussi une sorte de dialogue entre Dieu et son peuple. On aimerait montrer qu’il y a cause liée entre elle, la liturgie, et l’enseignement de l’Eglise. […]

La poésie ne manque nulle part dans la Bible, au sens littéral lui-même. Saint Benoît recommande spécialement de ces psaumes qui sont le formulaire quotidien de notre prière. »

 

Extrait de Valeurs fondamentales du monachisme, Mame, 1962, Dom Augustin Savaton osb,                                                                                             abbé de saint Paul de Wisques.

 

 

La lectio divina est la lecture silencieuse de la Parole de Dieu.  Saint Ambroise, évêque de Milan au IVè siècle, est souvent considéré comme un père de la lectio divina en Occident. Très lié aux affaires politiques, il n’en demeure pas moins un grand spirituel, contemplatif. Au grand étonnement de saint Augustin, il lisait la Bible en silence et en remuant simplement les lèvres, alors que tout lecteur à cette époque parlait le texte pour le déchiffrer.

Saint Ambroise rumine la Bible en étant attentif à la typologie qui commande l’harmonie des deux Testaments. Avec saint Ambroise se développe la triple lecture de l’Ecriture en Occident (sens littéral, moral, allégorique), selon l’exégèse d’Origène.

 

On peut dire que l’écriture disparaît au profit du contenu de la lecture, celle-ci devenant moins une activité du regard qu’une intériorisation du message… Il s’agit de vivre la lecture comme une re-création dans le cœur du lecteur. La lectio divina est une écoute intérieure.

La substitution de la lecture muette à la lecture à voix haute se généralise au XIIè siècle.

 

·        Une nouvelle conception de la mise en page. Avec la généralisation de la lecture silencieuse au cours du XIIè siècle, le début du texte, les mots, la ponctuation, les titres et les paragraphes sont plus souvent isolés sous le regard du lecteur. Les relations logiques sont immédiatement visualisées dans l’espace de la page et du livre. On adopte tout ce qui facilite la consultation.

C’est alors que de nouveaux types d’ouvrages apparaissent, destinés à enrichir la compréhension des textes : les Sommes, les Encyclopédies, les Etymologies…

 

c.    La liturgie.

 

Qu’est-ce-que la liturgie pour les catholiques ?

 

C’est le culte public rendu à Dieu par l’assemblée des fidèles, unie au Christ, mystérieusement présent en son sein.  La liturgie est mémoire du mystère pascal. Faire mémoire, c’est rendre présent réellement le Christ.

Le mot liturgie vient du grec (= travail du peuple).

La liturgie est la sanctification du temps. Le temps est donné par Dieu… Dans la liturgie, nous rendons à Dieu ce qui appartient à Dieu… Le cycle liturgique sanctifie le temps sur la journée et sur l’année. On se laisse dépasser, élargissant son cœur aux dimensions de toute l’Eglise. On dépasse le présent…

 

La liturgie a ses rituels et ses livres

qui rappellent ce qu’il faut dire et quand il faut le dire…

 

Le pontifical est réservé à l’évêque. Le sacramentaire contient les prières et les canons de la messe. Il est remplacé par le missel à la fin du Moyen Âge. L’évangéliaire est le recueil des péricopes de l’Evangile qui sont lues successivement à la messe de chaque jour, copiées selon l’ordre de l’année liturgique. Son aspect pratique fait qu’il s’impose dans la hiérarchie des livres liturgiques de la messe, avant d’être supplanté durant le XIe siècle par le lectionnaire. Le lectionnaire regroupe l’ensemble des livres de lecture pour l’office et a, pour particularité essentielle, de refléter un usage local propre à un monastère ou à un ordre religieux. Le martyrologe est le livre qui contient, pour chaque jour de l’année, la liste des martyrs ou autres saints commémorés. Comme le martyrologe, le nécrologe suit le calendrier romain et contient, jour après jour, les anniversaires des défunts dont il faut faire mémoire.

Le bréviaire est un recueil de l’ensemble des prières et textes.

L’antiphonaire contient l’ensemble des pièces de chants (antiennes et répons).

 

C'est à saint Grégoire le Grand (vers 540 – 604) qu'est attribué le mérite d'avoir remis de l'ordre dans le chant romain. On en était arrivé, en effet, à choisir pour le diaconat ceux qui avaient la plus belle voix. En 590, il retira aux diacres leurs fonctions, et installa officiellement les écoles d'enfants chanteurs. Saint Grégoire en est-il l'inventeur ? Sans doute était-elle la transformation de la schola lectorum plus ancienne ; mais c'est bien sous son pontificat que cette vieille école se consacra exclusivement au chant.

 

La liturgie des heures :

Chaque heure a sa physionomie propre et sa tonalité.

Les laudes sont la prière de l’aurore. Dans le Benedictus, on chante « Quand nous visite l’astre d’en haut »… rappelant que le Christ est vainqueur du mal et des ténèbres. Le dernier psaume des laudes est psaume de louange.

Les Vêpres sont à la fin de la journée de travail. C’est l’heure où l’on allume les lumières… « Joyeuse lumière » (lucernaire). Le lucernaire est accompagné de l’encensement de l’autel. « Que ma prière s’élève devant toi comme l’encens » (psaume 140).

Les complies sont liées au sommeil, à la nuit, nuit du tombeau… On demande protection contre les forces du mal : « Entre tes mains je remets mon esprit », « Tu peux laisser ton serviteur s’en aller dans la paix »…

L’office des lectures, prière nocturne, c’est la prière des vigiles. C’est une prière au milieu de la nuit ou à la fin de la nuit (entre 4h et 6h). Les lectures sont plus longues.

 

 

III.         Dom André Bouton osb, moine et artiste au cœur de son siècle

a.    Les ateliers d’art de l’abbaye Saint-Paul de Wisques au cœur du XXe siècle.

Le retour des moines à Wisques se fait en 1926 – 1927 après l’exil à Oosterhout (NL). Le 7 octobre 1928, l’abbaye de Solesmes nomme son Maître des novices, Dom Augustin Savaton, Prieur, comme abbé pour Saint-Paul de Wisques. Dom Augustin Savaton (1903 – 1965) est un ami des arts. Il fait venir Dom Paul Bellot osb à Wisques. Il est abbé jusqu’en 1960. C’est le refondateur de l’abbaye Saint- Paul.

Le lancement des ateliers d’art (céramique et poterie) se fait avec les pères Guilluy osb et Goossens osb (à qui l’on doit la participation à la restauration de plusieurs églises après-guerre…) et bien sûr le père Bouton (dessinateur).

 

b.    Dom André Bouton.

Dom André Bouton est né à Gien le 26 avril 1914. Il entre à l’abbaye Saint-Paul de Wisques  en 1934. Profès le 29 juin 1936, il est ordonné prêtre le 25 février 1940 dans la chapelle de l’évêché d’Orléans. Au début des années 1950, il participe à la fondation d’un monastère au Maroc (répondant à l’appel d’un moine de Ligugé) puis rejoint une communauté bénédictine en Algérie (Tlemcen). Il quitte l’Afrique du Nord pour la Terre sainte et suit des cours à l’école biblique de Jérusalem (1962-63). Il réalise des peintures pour la crypte de l’église de la Dormition à Jérusalem. Au milieu des années 1960, on le retrouve moine en Corée où il dirige une mission. De retour à Wisques le 25 septembre 1977, il décède le 12 mars 1980. « Dessinateur infatigable et grand brasseur de couleurs, il fut aussi une figure haute en couleur, douée d’une originalité indomptable à en faire voir de toutes les couleurs… » p. Dutrieux osb.

La production d’images de l’abbaye Saint-Paul est due, dans sa quasi-totalité, au talent de Dom Bouton, moine autodidacte qui se cachait derrière la signature de FRAB. On lui doit aussi un rituel de bénédiction, un cérémoniaire de vêture et un évangéliaire.

 

c.    Extraits de causeries d’art et d’art sacré par le père Bouton (non daté)

« Parler d’Art tout court, parler d’Art chrétien sans remonter au déluge ni faire de rétrospective de l’Histoire de l’Art… Mais en conservant comme objectif « pratique » et ultime la manière dont nous avons – nous – à structurer la conduite de nos ateliers-céramiques : ce boulet d’or qui nous fait vivre : nous et les moniales… sans que le souci lucratif légitime ne nous entraîne vers la facilité… […]

L’Art tout court. L’Art n’est jamais qu’un avatar de ces esprits incarnés que nous sommes. L’homme regarde le monde, il en abstrait des formes, des contours, des volumes, pour exprimer ensuite dans les objets qu’il va créer des structures qui lui seront propres, personnelles et comme sa marque de fabrique d’homosapiens, d’homo habilis, d’homo factibilis.

Avant tout, c’est une question pour lui de l’acuité de ses perceptions. On entend : il faut savoir entendre, savoir écouter. On voit : il faut savoir observer. On préfère : il faut savoir choisir et justifier son choix.

[…]

Alors l’œuvre d’Art doit répondre à tous les besoins de l’homme depuis les plus usuels et les plus ordinaires jusqu’aux plus élevés et aux plus exigeants sinon désincarnés… depuis l’art culinaire jusqu’à  la contemplation silencieuse du Beau.

[…]

L’Art chrétien, l’art religieux est au service de la foi : tant à ses débuts qu’à son terme. La foi est comme une marée qui le porte mais à laquelle il ouvre sans cesse de nouveaux conduits, de nouvelles issues. 

[…]

Styliser, c’est donc analyser ce qui est ineffable en tout être vivant pour en abstraire ce qui peut et doit combler d’aise notre esprit géométrique ».

 

Conclusion : Un art au service d’une Parole donnée, à lire et à entendre… à chanter !

 

Après les reliques, les livres appartiennent dans la vie religieuse médiévale au registre du sacré. Ce sont des objets conservés dans les Trésors monastiques dont la signification symbolique touche le plus directement à la fonction mémorielle, existentielle. Il n’y a pas de vie monastique sans livre. En Angleterre, les livres qui avaient appartenu à des missionnaires étaient considérés comme l’équivalent de reliques, étaient enfermés dans des châsses. Au musée national de Dublin, les Evangiles de saint Molaise, missionnaire irlandais du VIè siècle, sont abrités dans un reliquaire du IXè siècle.

 

Par delà les siècles, le livre monastique demeure une œuvre littéraire, un objet d’art et un patrimoine spirituel.  On peut parler d’une sacralisation du livre.

 

Concluons en contemplant deux enluminures produites localement, à Arras, en l’abbaye Saint-Vaast.

 

Sur cette page, le Christ est inscrit dans un cercle – forme de la divinité. Il est figuré en majesté, hiératique dans son éternité. Il écrase les forces du mal représentées par deux figures humaines. Il trône devant un majestueux édifice classique. C’est la façade d’un temple antique composée de 7 colonnes et 7 têtes (correspondant aux 7 églises dont parle l’Apocalyps ?).

Dans la partie supérieure, les 4 vertus cardinales témoignent de la vie morale à laquelle invite la lecture du texte. Elles sont accompagnées de leurs attributs traditionnels : la balance pour la justice, le bouclier et la lance pour la force, un plat levé auquel elle ne touche pas pour la tempérance, un livre pour la sagesse.

Dans la partie inférieure de l’enluminure, nous entrons un atelier d’écriture, tel le scriptorium du monastère avec ses pupitres, ses plumes et son encre… Sous un décor architecturé sont figurés 4 personnages (évangélistes ?) aux attitudes très différentes, tous emportés dans leur travail de copiste. La position des corps, des têtes, les gestes contribuent à animer l’ensemble. Un des personnages, plus grand, puise son inspiration dans la contemplation du Christ…

 

Mich. Rossi - novembre 10

 

  

 

Choix bibliographiques :

  • L’amour des lettres et le désir de Dieu, Dom Jean Leclercq, 1956, Cerf, réédité.
  •  Naissance et splendeurs du manuscrit monastique (du VIIe au XIIe siècle), Gilberte Garrigou, 1994.
  • La production d’images pieuses de l’abbaye Saint-Paul de Wisques, Evelyne Sigoillot, Bulletin de la société d’Histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, tome XIV, 2, 1995.
  • La vie des moines au temps des grandes abbayes, Dom Anselme Davril et Eric Palazzo, Hachette, 2000.
  • Enluminures arrageoises, le scriptorium de l’abbaye Saint-Vaast d’Arras des origines au XIIe siècle, catalogue d’exposition à la médiathèque d’Arras, 2002.
  • Le livre au Moyen Age, Sophie Cassagnes-Brouquet, Ouest-France, 2009.
  • L’enluminure à l’abbaye Saint-Vaast, Laurent Wiart, in « Actes du colloque sur le patrimoine monastique dans le Pas-de-Calais – 11 octobre 2008 », Le Joyel, 2010.
  • Liber Floridus, Livres du Moyen Âge à Saint-Omer, catalogue d’exposition à Saint-Omer, Martine Le Maner, 2010.
  • L’image médiévale – le livre enluminé, Roland Recht, 2010.           

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