Assemblée régionale ACAT

Justice et Pardon

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A l’occasion de leur rassemblement régional annuel à Arras, des adhérents de l’ACAT* venus du Nord, du Pas de Calais et de la Picardie se sont récemment interrogés sur l’impact des peines d’emprisonnement en France.

 

La prison joue-t-elle son rôle et pour quelle justice ?

 

« Il mérite la mort… on doit lui faire subir ce qu’il a fait à la victime!... On leur construit de nouvelles prisons avec tout le confort et ils se plaignent encore ! » Ces propos que nous entendons encore trop souvent émanent de personnes qui ne connaissent pas les conditions de détention dans ces nouveaux établissements où le regard le plus souvent croisé est celui de la caméra de surveillance. Peut-être à cause de cette déshumanisation et alors que la peine de mort a été abolie depuis trente ans, 86 détenus (dont la plupart n’était pas encore jugée) se sont donnés la mort, depuis le début de l’année en France ! Par ailleurs le nombre de détenus qui se mutilent gravement, ne cesse d’augmenter. Le nombre de récidivistes ne diminue pas ce qui alimente l’inquiétude de la société.

 

Le renforcement de la législation répressive, l’augmentation du nombre de places en prison sont-ils la seule réponse efficace ?


Les témoignages entendus et les experts écoutés sur le sujet montrent que cet impact concerne bien évidemment le condamné qui ne comprend pas ou difficilement la portée réelle de ses actes mais aussi sa famille qui partage involontairement cette condamnation et en subit les conséquences négatives ( impact sur la vie de couple, l’éducation des enfants, la vie quotidienne économiquement et socialement plus compliquée…). Le regard des autres condamne aussi souvent la famille, son conjoint, ses enfants et leur fait porter longtemps et injustement un fardeau trop lourd. Après la sentence prononcée, la victime et sa famille, elles aussi, sont oubliées et laissées à leurs blessures profondes, à leurs souffrances (souvent identiques à celles de la famille du condamné), à leurs questionnements auxquels le procès n’a pas répondu: « Mon enfant est mort et lui continue à vivre sans remords, sans un regard, sans un pardon ».
Les bénévoles et professionnels qui interviennent chaque jour de chaque côté du mur d’une prison savent bien que des êtres humains souffrent. Après le jugement de nombreuses questions restent posées, le temps s’est comme arrêté, sans un futur acceptable. Victime et ‘infracteur’ (auteur de l’acte) ne savent plus qu’ils sont capables d’aimer et d’être aimés.

 

Quels sont les objectifs de la justice dont la prison est l’un des instruments ?

 

La justice punit, prive de liberté, indemnise ; on parle de ‘justice de rétribution’. Existe-t-il une autre justice, une justice qui place l’homme au cœur du problème, une justice qui reconstruit ?
Lorsque, nous chrétiens, nous posons la question comme Pierre à Jésus, celui-ci nous propose le pardon illimité: «…jusqu’à soixante dix fois sept fois ! » (Mt 18-22) et nous savons combien ce pardon est difficile à mettre en œuvre.
Se référant aux textes bibliques, des chrétiens mennonites aux Etats Unis ont proposé il y a plusieurs décennies, une autre justice: la ‘Justice restaurative’. Le Conseil Économique et Social de l’ONU en a repris le principe en le définissant comme un « processus dans lequel la victime et le délinquant et, lorsqu’il y a lieu, toute autre personne ou tout autre membre de la communauté subissant les conséquences d’une infraction, participent ensemble activement à la résolution des problèmes découlant de cette infraction, généralement avec l’aide d’un facilitateur ».


La ‘justice restaurative’ vise à permettre à une victime et à l’auteur d’une infraction (de préférence pas de la même affaire) à cheminer l’un vers l’autre dans une compréhension mutuelle qui sans oublier la blessure de la faute permet de la cicatriser et à chacun de se reconstruire.


L’importance d’une réparation psychologique et sociale tend à s’imposer comme une nécessité afin de rétablir, entre la victime et la société, l'équilibre altéré par l'acte criminel. C’est ce but que poursuit la ‘justice restaurative’. L’origine latine de restaurer nous rappelle que restaurare c’est rebâtir, réparer, renouveler. Conférant au système de justice pénale une mission élargie, la ‘justice restaurative’ a pour ambition de concourir au maintien de la paix sociale, en mettant l’accent sur la prévention des comportements antisociaux et délictueux, les besoins de réparation globale des victimes et la réinsertion sociale des auteurs d’infractions.


Déjà mise en place depuis plusieurs années dans des pays anglo-saxons et plus près de nous, chez nos voisins belges, la ‘justice restaurative’ permet de réduire sensiblement la récidive et remet effectivement l’homme au centre des préoccupations. Elle aide en effet chacun à reprendre la parole et à écouter la souffrance des autres. Alors pourquoi ne pas tenter la ‘justice restaurative’ dans nos cœurs et dans notre dispositif judiciaire ?
A l’issue de leur dernier rassemblement régional, les membres de l’ACAT ont adopté le vœu que soit mise en place la ‘justice restaurative’ en France et ont souhaité à cet effet que les instances nationales concernées donnent une suite positive aux propositions contenues dans le rapport rédigé sur ce sujet, en 2007, par le groupe de travail du Conseil national de l’aide aux victimes.
Jean-Marie Delacroix, groupe ACAT St-Quentin


*L’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) est une ONG œcuménique de défense des droits de l’Homme, qui a statut consultatif auprès du Conseil de l’Europe, des Nations Unies et de l’Union Africaine. Son mandat est de combattre la torture, abolir les exécutions capitales, protéger les victimes, dans le monde entier, sans distinction idéologique, ethnique ou religieuse. Ecrire, interpeler, mobiliser, prier, vivre l’œcuménisme, soutenir les victimes de la torture, sauver des vies, telle est l’action quotidienne de ses militants en France et dans le monde.