Fiche 12, Ch. 15 à 16,15

La vigne, le monde, l'Esprit défenseur

Deuxième discours : La vigne, le monde, l’Esprit Défenseur

 

Section précédente

Les chapitres 13-14 rapportaient le lavement des pieds et le discours d’adieu où Jésus laisse aux apôtres son message : “Aimez-vous comme je vous ai aimés”. Puis Jésus annonçait la venue d’un Défenseur, un Paraclet qui accompagnerait ses disciples. On retrouvera cette présentation au cours des ch. 15-16. La fin du chapitre 14 : “Levez-vous, partons…” laisse entendre que l’on quitte la salle du repas pour le mont des Oliviers et l’arrestation, cf. Marc 14,42. Or, voici à nouveau un très long discours sur trois chapitres, 15 à 17. Les exégètes parlent de ces chapitres comme d’une relecture faite par l’Eglise johannique du premier discours d’adieu.

 

Lecture d’ensemble

vigne vigne  Les chapitres 15 à 17 sont à recevoir comme une méditation d’après Pâques, portant sur la vie des disciples et de l’Eglise du 1er siècle. Il est fort probable que les rédacteurs ont voulu insérer ici des paroles de Jésus que les communautés d’après la résurrection ont longuement méditées et interprétées. C’est la méditation d’une communauté à l’épreuve du rejet par les Juifs, des persécutions par les opposants (le monde), mais aussi des tensions internes avec dérives, abandon de la foi en Christ.

 

Il y a tant de détails utiles et d’interprétations complémentaires que nous pouvons nous disperser en de multiples directions. Parmi les outils de lectures possibles, nous avons retenu de porter attention aux personnages et aux relations entre elles exprimées par Jean. C’est vrai pour le zoom (la vigne et son interprétation), mais c’est utile aussi pour l’ensemble des chapitres 15 à 17. Ces chapitres ont davantage trait à la vie de l’Eglise. Un certain nombre de paragraphes seront plus compréhensibles si on les situe comme paroles de soutien et de persévérance envers des chrétiens qui souffrent devant les désertions ou les persécutions… Ainsi le thème de la vigne et des sarments évoque le lien nécessaire entre les membres et le Christ. L’objet du lien n’est pas une relation intimiste, c’est en vue de porter du fruit. On est sous le mode de l’envoi en mission…

 

On peut distinguer trois parties dans cette section :

Œ le fondement de la communauté (mot-clé : l’amour) 15, 1-17 ;  les rapports de la communauté avec le monde (mot-clé : la haine) 15, 18 à 16, 4 ; Ž la problématique de l’adieu (16, 4-33). L’envoi du Paraclet évoque la continuité du message entre le Christ et son Eglise, il résonne comme un appel à la confiance et à la persévérance (15,26 ; 16, 13-15) ; l’envoi du Paraclet ne dissipera pas les incompréhensions des disciples sur le présent et le futur.

 

La fin du chapitre 16 (16-33) sera lue avec le ch. 17, à la section suivante. On y traite de la condition du croyant après Pâques, en évoquant des questions difficiles concernant la compréhension de l’existence de Jésus et du lien avec lui après son départ. On peut imaginer Jean, à la suite de Jésus, cherchant à rassurer les premiers chrétiens en répondant aux questions des croyants : “Voici l’heure où vous serez dispersés”. Le dernier verset, 16, 33 ne retire pas les disciples du monde, mais il fait d’eux les bénéficiaires de la paix du cœur dans la certitude de la victoire du crucifié sur le monde.

 

Zoom. L’amour fondement de la communauté. 15, 1-17

La métaphore de la vigne telle que l’utilise Jean ne correspond pas à la lecture habituelle de l’image, héritée d’Isaïe 5 (mon bien-aimé avait une vigne…), reprise chez les synoptiques (Marc 12, ou Luc 20).Ce n’est pas la vigne en général, mais une méditation à partir d’un plant. Il ne s’agit pas non plus des ouvriers de la vigne et de leur travail, comme en Matthieu 20. Jean transforme l’image biblique pour évoquer autrement le lien du disciple avec le Père ou le Fils, comme l’attachement des sarments qui ne font qu’un avec le tronc. Et les sarments qui ne produisent rien, ils sont jetés au feu.

 

Le récit de la vigne et des sarments comporte deux parties distinctes : la première constate la nécessité pour les sarments d’êtres unis au tronc pour porter du fruit (1-8), avec l’expression “demeurez en moi” ; la seconde partie s’adresse aux disciples comme une application de l’image à la relation Jésus/disciples (9-16). Une fois exposée l’image, sont explicités les personnages concernés. La vigne, ou cep, c’est Jésus, le Père en est le vigneron. Les sarments, ce sont les destinataires (les disciples et sans doute aussi les auditeurs prêts à choisir Jésus). Cependant, qui sont les sarments coupés du tronc, qui ne portent pas de fruit et sont jetés au feu ? Peut-être sont-ce les Juifs incrédules, peut-être Judas qui a trahi, plus probablement des chrétiens qui désirent vivre leur autonomie à l’égard du tronc, Jésus. L’ensemble est encadré par l’expression “porter du fruit” (v.2 et 16). Le critère de ne pas porter du fruit entraîne la description biblique traditionnelle de “être desséché, ramassé et jeté au feu”. C’est une indication sur l’interprétation de lecture à adopter : on pourrait dire “faire Eglise, faire corps avec le Christ, cep de vigne”. On pourrait dire aussi se nourrir de la sève, c’est-à-dire de la force d’aimer qui vient du Père (Cf. : “sans moi vous ne pouvez rien faire”). Comptez les expressions : ami, aimer, amour, aux v. 9-17. Telle est la condition de disciple : être relié au tronc pour porter du fruit. Il y a sans doute allusion aux premières hérésies et infidélités à l’égard de l’enseignement de Jésus.

 

En quel sens comprendre “porter du fruit” ? Nous voyons associés deux expressions : demeurer en moi et porter du fruit. Porter du fruit est une expression héritée de l’Ancien Testament (Ps 1,3 ; Ez 36, 8) pour exprimer la fidélité du croyant à Dieu. Ensuite, en un second moment, on peut parler des œuvres à réaliser caractérisées par l’amour, amour reçu de Dieu. Il y a une responsabilité pour celui qui “demeure” en Christ : c’est demeurer en son amour. Cet amour consiste en un engagement sans restriction pour le frère ou la sœur afin de leur permettre une vie en plénitude. C’est aussi de suivre Jésus, de placer sa vie dans la même perspective que Jésus… à condition de rester branché sur le cep. Comme pour Jésus, le but de l’être disciple, c’est de glorifier le Père, ce que précise 15,8 : “Ce qui glorifie le Père c’est que vous portiez du fuit…”. Précédemment c’était l’œuvre de Jésus, de glorifier le Père (13, 31-32 et 14, 13). A la suite de Jésus, Dieu est rendu présent et honoré dans le monde par l’agir des croyants. [Remarque : de nombreuses traductions écrivent “porter du fruit en abondance”. Cela risque de nous faire penser à ‘tout ou rien’… D’autres traductions préfèrent : porter beaucoup de fruit, ou davantage de fruit… c’est une question de nuance !]

 

Comme déjà évoqué à la fiche précédente, l’amour n’est donc pas seulement un amour d’intimité, de réciprocité interne envers Dieu, envers la communauté des disciples. C’est aussi un amour universel à l’image de “Dieu (qui) a tant aimé le monde” Jn 3,16. Jean précise : puisque Dieu le premier nous a aimés, nous aussi, aimons (1 Jn 4,19). N’aimer que les amis serait contraire à l’enseignement de Jésus qui appelle à aimer même ses ennemis (Mt 5, 44). Jésus aime comme Dieu l’a aimé, de même les disciples reçoivent cet amour qui vient de Dieu. Restreindre les destinataires de cet amour à la seule communauté déjà rassemblée n’est pas conforme au projet du Père pour toute l‘humanité (cf. Lumen Gentium n°2 “Dieu a décidé d'élever les hommes à la communion de sa vie divine”).

 

Le mot commandement pourrait surprendre… car notre éducation nous fait penser au mot commandement comme exécution servile d’un texte de loi, alors que Jean pense commandement au sens de “Parole forte de Jésus”… Il semble aussi que Jean réalise un travail littéraire en forme de jeu, en associant “commandement“ et “aimer” de manière à ce qu’on retienne la puissance de son affirmation ; non plus serviteur mais ami… Participer à l’amour de Dieu est tout autre chose que d’exécuter ce qu’il commande : nous ne serions alors que ses serviteurs, ses exécutants.

 

Pour aller plus loin :

Je suis la vraie vigne

C’est la dernière affirmation dans l’Evangile de Jean qui commence par ‘Je suis’. L’adjectif vrai, associé à la vigne est à entendre au sens de “authentique” et de “venu de Dieu”, de même que dans le prologue, Jean parlait de la vraie lumière. Le même verset qualifie le Père de vigneron. La relation du Père au Fils est ainsi confirmée. L’objet des versets 1 à 17 porte sur les sarments appelés à demeurer attachés au cep pour porter du fruit.

 

Le fondement de la communauté. Il nous faut un petit effort pour comprendre “Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés”. L’idée d’imiter, classique avec la conjonction comme, doit être dépassée. L’amour de Jésus est fondé, enraciné dans l’amour du Père pour Lui. Jésus fait plus qu’imiter le Père, il vit du même amour pour nous. Dieu nous fait don de cet amour : il nous fait entrer dans sa famille (devenir enfant de Dieu, 1,12), participants de son amour, de sa vie divine. Nous ne faisons pas qu’imiter l’amour de Dieu, nous vivons de cet amour. Sans ce don, nous ne pouvons rien.

 

Le rapport au monde. Sept fois le mot haine/haïr revient pour préciser la haine du monde contre les disciples, à cause de Jésus. Les premières communautés en fin de siècle ont pu expérimenter la haine du monde (hostilités et persécutions, rejet de la synagogue cf. 16, 1-4 ; c’est leur heure ; vous serez dispersés, etc.). L’origine du rejet : “à cause de mon nom” 15, 21. Pourtant, c’est pour défendre l’honneur de Dieu que les Juifs et le monde s’opposent aux disciples (16,3). Ne nous trompons pas sur la signification du mot monde, expression générique : le monde, ce sont les séparés de Dieu, ceux qui refusent Jésus et donc haïssent ceux qui proclament son nom (on retrouve une semblable expression générique avec le mot Juifs pour désigner les adversaires de Jésus venus du judaïsme). Dans la prière de Jésus au ch. 17, on retrouvera le mot monde. Le monde combat ce qui était “de lui” et qui est devenu “de Jésus”. Ne pas oublier que l’appartenance à Jésus est d’abord une initiative de Jésus et non un choix des disciples (15, 16).

 

Le Paraclet, l’Esprit

Cf. fiche 11. Jean précise le rôle de cet envoyé. Il est le défenseur. Au tribunal, ce serait le témoin de la défense, celui qui souffle les mots (15, 26-27). Le début du ch. 16 apporte d’autres précisions. il est là pour les disciples ; il est l’interprète des paroles de Jésus. Ensuite il est là contre le monde, en ce sens qu’il prouve le péché du monde car il révèle le sens de la mort de Jésus : non pas humiliation mais exaltation et donc appel à devenir témoins de cette exaltation. Enfin il est comme un guide pour les disciples. C’est lui qui conduit vers la vérité tout entière. Il n’a pas à annoncer de nouvelles choses que Jésus n’aurait pas dites, il a à favoriser l’interprétation de ce que Jésus a dit et fait. En ce sens, l’Esprit-Paraclet participe à la vie de l’Eglise d’aujourd’hui ; il favorise l’interprétation et la compréhension de la vie de Jésus et de ce qu’il attend de son Eglise, de son témoignage pour le XXIème siècle. Le sens de la foi n’est jamais écrit une fois pour toute comme dans du marbre, il se révèle peu à peu à ceux qui donnent leur foi en Jésus au souffle de l’Esprit.

 

Dimension trinitaire v. 14-15. C’est dans le Christ interprété par l’Esprit que le mystère de Dieu se dévoile. Plus tard, les théologiens parleront de mystère de la Trinité. Pour l’instant, l’Evangile selon Jean parle de Jésus présent dans le monde, envoyé par le Père, dont l’œuvre est explicitée par l’Esprit. En précisant le rôle de l’Esprit, ces deux versets introduisent la suite du discours d’adieu : ce serait une erreur pour les disciples de se croire abandonnés.

 

Prière : Pour risquer sa vie

J'ai à engager ma vie, Jésus, sur ta Parole.

J'ai à jouer ma vie, Jésus, sur ton Amour.

Les autres peuvent bien être sages,

Tu m'as dit qu’il fallait être fou.

 

D'autres croient à l’ordre,

Tu m'as dit de croire à l'Amour.

D'autres pensent qu'il faut conserver,

Tu m'as dit de donner.

 

D'autres s'installent,

Tu m'as dit de marcher et d'être prêt

A la joie et à la souffrance, aux échecs et aux réussites,

De ne pas mettre ma confiance en moi, mais en Toi,

De jouer le jeu chrétien, sans me soucier des conséquences

Et, finalement de risquer ma vie en comptant sur ton Amour.

 

Seigneur je voudrais être de ceux qui risquent leur vie,

Qui donnent leur vie...

Je voudrais donner ma vie pour une belle cause,

Au-delà de tous les héroïsmes à panache.

 

Rends-moi disponible

Pour la belle aventure où Tu m'appelles...

Abbé Joly

 

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