Fiche 14

La Passion. Arrestation et crucifixion

Jean section 14 Ch. 18-19. .

 

Section précédente

Au long des chapitres 13 à 17, Jean a écrit des textes qui n’avaient pas de parallèles dans les autres Evangiles : le lavement des pieds, les discours d’adieu, la vigne et les sarments, la prière de Jésus. Dans ces chapitres, Jean présente Jésus alors que se profile la séparation. Il écrit avec le souci de l’Eglise de la fin du premier siècle : la charité, l’unité, le don de l’Esprit, la vie et l’annonce de l’Evangile dans un monde souvent hostile. Les ch. 18-19 rejoignent les autres Evangiles sur le chemin, des Oliviers à Pâques.

P1090741 large Chemin de croix  
Anastasis, chapelle franciscains
Anastasis, chapelle franciscains

 

Lecture d’ensemble

La Passion selon saint Jean n’est pas un simple décalque des autres traditions. Ce n’est pas non plus un compte-rendu objectif des évènements. Devant un évènement aussi scandaleux, chacun des évangélistes essaie d’éclairer les chrétiens par la référence au parcours de Jésus et la référence aux Ecritures. Le long face-à-face avec Pilate, Marie et Jean au pied de la croix, le sang et l’eau, le choix des citations de l’Ecriture, etc., ce sont autant de “détails” du récit où Jean veut apporter une dimension symbolique et théologique. Dans notre lecture, méfions-nous de notre mémoire qui estompe les originalités de Jean.

 

Jean ne rapporte pas certaines facettes de la Passion-crucifixion, par exemple : l’agonie et la prière à Gethsémani, la comparution devant Caïphe, etc. Pour exciter notre mémoire, un exercice de comparaison peut être entrepris. Cela suppose qu’ensuite on s’explique sur les découvertes.

Quelques interprétations sur les divergences :

· Jean ne montre pas un Jésus effondré, c’est toujours Jésus maître de l’histoire, dans sa dignité. Il en impose aux gardes venus l’arrêter, il porte seul sa croix, il refuse la boisson, rien sur les insultes et les moqueries…

· L’accumulation des détails infimes montre que Jean au courant des habitudes des lieux ; il connaît le nom de Malchus ou comment entrer dans la cour chez Caïphe...

· Pour les ressemblances, on suppose que Jean a eu accès à un récit primitif qui a aussi servi aux synoptiques : Marc, Luc et Matthieu.

· Pour Jean, le procès se déroule au long de l’Evangile, avec une confrontation permanente, de plus en plus rude entre Jésus et ses opposants : pharisiens, grands prêtres. La Passion en est l’aboutissement prévisible.

 

Au-delà des détails rapportés ou omis par Jean, c’est à nous de retrouver des dimensions symboliques voulues par Jean (références à l’Ecriture, confrontation à Pilate…).

Jean pose son récit autour de cinq lieux :

  • Au jardin près du Cédron
  • Au palais du grand-prêtre Anne
  • Au palais de Pilate
  • Au Golgotha
  • Au jardin.

Au jardin, au-delà du Cédron, Jean relate immédiatement l’arrestation avec l’arrivée d’une cohorte et des gardes fournis par les grands prêtres et les pharisiens. Ce groupe recule et tombe devant la parole de Jésus : ‘C’est moi’ ego eimei. Seul Jean signale que Jésus veille à protéger ses disciples : “Je n’ai perdu aucun de ceux que tu m’as donnés” (parole citée plusieurs fois en Jn : 6, 29 ; 10,38 etc.). Jean a biffé les détails comme l’agonie, le baiser de Judas, la solitude de Jésus dans la prière. Restent la solennité de la scène, la présence concomitante de la force romaine (d’occupation) et des forces religieuses liguées contre Jésus. Judas, seul dans la nuit, est à peine présenté. Tout ceci est une manière de camper l’autorité et la grandeur de la personne de Jésus. Tout se passe entre Jésus et ses opposants.

Pierre, Malchus, l’oreille. A plusieurs reprises, Jean porte attention à Pierre. Ce n’est pas pour multiplier les anecdotes. Ici Pierre n’a pas compris le chemin du Seigneur, il rêve encore à la destinée messianique et guerrière de Jésus.

La scène au Jardin introduit l’affrontement de deux mondes : celui des ténèbres où pouvoirs politique et religieux se sont coalisés ; celui de Jésus qui, seul, assume la mission confiée par le Père.

 

Au palais du grand prêtre Anne.

Rencontre propre à Jean, qui estompe Caïphe. Anne est grand prêtre entre +6 et +15. Suspendu, il avait gardé ses influences. Jean ne montre pas la grande scène des accusations et des faux-témoins au sanhédrin, puisque le procès a déjà eu lieu aux chapitres précédents, où il relate les affrontements entre Jésus et “les Juifs”. La décision a déjà été prise d’éliminer Jésus.

 

Pierre et la trahison. L’autre disciple (Jean) est un intermédiaire. Il a ses entrées pour faire passer Pierre. Jean semble bien au courant de tout ce qui touche au milieu sacerdotal de Jérusalem. Pierre est questionné sur son appartenance ou non au groupe. La deuxième interpellation intervient après que Jésus a demandé au grand prêtre d’interroger ses disciples (20-22), mais Pierre nie être disciple (25). A nouveau Jésus est seul. [On peut méditer sur sa réponse “Je n’en suis pas” avec celle de Jésus “Je suis”.] Le chant du coq sanctionne la rupture de la relation entre Pierre et Jésus, son Seigneur.

 

Jésus devant Pilate.

Jean fait de cette rencontre chez Pilate, la scène centrale de la Passion. Trois personnages : Pilate, Jésus, les Juifs. La foule n’est pas mentionnée ! Jean fait alterner des scènes à l’extérieur et à l’intérieur, avec Pilate comme intermédiaire. C’est une succession de tête-à-tête entre Pilate et Jésus ou entre Pilate et les autorités juives. L’histoire a gardé de Pilate la figure d’un homme cruel et cynique. Jean l’a idéalisé et embelli. Il en fait l’image du pouvoir terrestre face à Jésus, le véritable roi. La construction littéraire voulue par Jean place la scène de dérision (ou couronnement) au cœur de l’ensemble. (est-ce possible de mettre un peu en retrait les § suivants ?)

a) Dehors, 18, 28-32 : Pilate et les Juifs. Les Juifs restent dehors “pour éviter la souillure”, mais cela ne les dérange pas de condamner Jésus. Ils estiment défendre l’honneur de Dieu (Jn 16,2) et celui de Pilate. (Tout cela ne manque pas d’ironie.) La relecture faite par l’Eglise primitive avec St Jean décharge Pilate et enfonce les autorités juives.

b) Dans le palais, 33-38. Jésus et Pilate, la royauté. L’épisode est présent dans les quatre Evangiles, mais Jean développe. Dans un contexte politique délicat, Jésus prend ses distances pour remettre en cause le pouvoir de Pilate et préciser les critères de sa royauté. Ni beauté des palais, ni flots d’argent, ni puissance militaire et ampleur des conquêtes : “mon Royaume n’est pas de ce monde… Je suis venu pour témoigner de la vérité”. Jésus oppose au pouvoir le témoignage en faveur de la vérité. Dans ce dialogue, Pilate pourrait se sentir remis en cause par un inconnu sur le fondement de son autorité.

c) Dehors, 39-40. Pilate proclame l’innocence de Jésus, mais les Juifs préfèrent la libération d’un malfaiteur, Barrabas. C’était probablement un comploteur, un extrémiste.

d) A l’intérieur, 19, 1-3. Jean place au cœur de sa construction littéraire la flagellation et le couronnement d’épines. La discrétion de Jean sur les outrages contraste avec les autres Evangiles. Nous devons nous méfier de notre mémoire qui ajoute bien des détails qui ne sont pas de Jean. Pour Jean, la parodie par les soldats rappelle les récits du serviteur souffrant en Isaïe (Is. 50, 6, Ps 34, 21).

c’) Dehors, 19, 4-7 : Ecce homo. La scène est propre à Jean. Une seconde fois, Pilate affirme l’innocence de Jésus. Cela contraste avec les cris des chefs des prêtres et des gardes. Plusieurs sens à “Voici l’homme” : Pour Pilate, c’est une manière de confirmer que l’homme n’est pas dangereux. Pour les Juifs, dérision supplémentaire : voici celui que vous accusez ; pour les chrétiens, cet homme humilié, c’est le Fils de l’Homme, l’envoyé de Dieu. Apparait ici le vrai motif “religieux” de l’accusation, jusqu’ici caché par les autorités : il se prétend Fils de Dieu… “Voici l’homme !”

Saint Pierre in gallicante, chant du coq Saint Pierre in gallicante, chant du coq  
Bronze dans la cour de la maison de Caïphe
Bronze dans la cour de la maison de Caïphe
b’) A l’intérieur, 8-12. Opposition entre Jésus et Pilate sur l’origine de leur pouvoir : D’où es-tu ? et d’où vient ton pouvoir ?

a’) Dehors, 13-16. De cette dernière étape de la confrontation/jugement, il faut retenir l’allégeance des autorités religieuses au pouvoir de l’empereur. Qui est jugé ? Jésus ou ceux qui ont failli, les chefs des prêtres? Trop polarisés sur la figure de Jésus/roi, nous risquons d’oublier le conflit entre Jésus et les autorités : leur parole les condamne, eux qui abandonnent leur espérance messianique. Jésus reste debout.

La précision de temps : “un vendredi, veille de Pâques vers midi” renvoie au rituel pascal où l’on commence les préparatifs de la Pâque de Moïse, première Pâque de libération. Jean, lui, pense au salut en Jésus-Christ (transfert symbolique de la Pâque de Moïse à Jésus).

 

Zoom. Le sang et l’eau 19, 31-37

 

Pilate a répondu à la demande des Juifs et abrégé l’exécution. L’épisode est propre à Jean. “Aussitôt il en sortit du sang de l’eau”. Pour l’évangéliste, ce n’est pas un fait miraculeux. La sobriété de Jean invite à en rechercher la dimension symbolique pour les chrétiens. Ni les soldats, ni les Juifs ne devinent l’évocation du rituel de la pâque Juive (Nombres 9, 12) qui précise de ne pas briser les os de l’agneau pascal. Alors que le geste avec la lance est une formalité militaire pour vérifier que le crucifié est bien mort, les premières communautés chrétiennes en donnent une dimension symbolique : l’eau et le sang évoquent le baptême et l’eucharistie, les rites essentiels de la première communauté. Jean renvoie au discours de Jésus en 7, 37-39 : “De son sein couleront des fleuves d’eau vive”, suivi de l’évocation du don de l’Esprit. Référence probable à Zacharie 12, 10 “Ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé” et, probablement, aux dernières lignes de Zacharie, 14, 8-11. Ces quelques lignes, par les nombreux renvois possibles, disent l’insistance de Jean pour enraciner ses lecteurs dans la foi que la mort de Jésus est source de salut (35-38).

 

Le verset 35 fait intervenir un autre personnage. “Celui qui a vu rend témoignage afin que vous croyiez. Son témoignage est véridique”. Le témoin est, bien sûr, Jean ; mais celui qui vient confirmer ce témoignage ne peut être que le rédacteur final de l’Evangile. L’objectif est bien “pour que vous croyiez” (20, 31).

 

Anastasis, chapelle franciscains Chemin de croix  
Anastasis, chapelle franciscains
Anastasis, chapelle franciscains

Pour aller plus loin :

L’ensevelissement, 38-42. Jean laisse deviner un “enterrement royal” : dans un jardin, une tombe neuve, deux témoins, deux hommes jusqu’alors fort discrets : Joseph et Nicodème ; 32 kilos d’aromates…

 

L’écriteau : “Voici votre roi”. Les Juifs le refusent et prennent leur distance avec Jésus. L’ironie de Jean est d’insister sur ce que refusent les Juifs. L’écriteau est écrit dans les trois langues officielles, il a un caractère universel.

 

Au pied de la croix, 25-27. Dans un récit, probablement recomposé, Jean introduit les vrais héritiers. Le fait de ne pas donner leur nom invite à développer la signification de leur présence. La mère est la figure de ceux qui attendent le salut, le ‘disciple qu’il aimait’ symbolise le croyant, celui qui fait tout ce qu’il dit (Cana). Les disciples ne sont pas orphelins. Ils ont un lieu : la communauté Eglise. Ils reçoivent, pour la mettre en œuvre, la dernière volonté de Jésus, c’est-à-dire l’organisation du temps après son élévation. Le disciple bien-aimé devient le représentant du Fils en son absence. C’est lui aussi qui est appelé à accueillir la mère (et non l’inverse), confirmé par “Et le disciple la prit chez lui”. La direction de la nouvelle famille est confiée au disciple.

Certaines traditions, en voulant historiciser chacun des éléments, en ont oublié leur dimension symbolique. La mère de Jésus et le disciple sont présentés comme les premiers héritiers de ce qui devient désormais la communauté/Eglise : celle qui attend le salut et celui qui en est le témoin autorisé.

 

Prière : Seigneur, qui es-tu ?

 

Seigneur, tu es le roi du monde.

Pourquoi veux-tu régner en rejetant la gloire?

Pourquoi as-tu choisi un trône dérisoire,

Un arbre dénudé où tu meurs solitaire,

Tandis que le soleil s'éteint sur le calvaire?

Seigneur, es-tu le roi du monde?

 

Seigneur, tu es le roi du monde.

Dis-nous alors pourquoi, lorsque retentit l'heure,

Tes fidèles s'enfuient, tes proches t'abandonnent?

Dis-nous pourquoi ton Dieu répond par le silence

Aux cris de tes appels, aux insultes des hommes?

Seigneur, tu es le roi du monde.

 

Seigneur, tu es le roi de Gloire.

Nous croyons que ton Dieu t’a proclamé Seigneur,

Faisant du crucifié le Prince de la vie

Nous croyons que ton Dieu t’a sorti de la tombe

Et qu'un peuple s'est mis à marcher sur tes traces.

Seigneur, tu es le roi de Gloire.

 

Seigneur, tu es le roi du monde.

Pour qui ouvre les yeux, surgissent des visages

Qui lui parlent de toi. Aujourd'hui comme hier.

Ils suivent le chemin que tu leur as tracé.

Ton royaume est vivant : ils en sont les témoins.

Seigneur, tu es le roi du monde.

Alain Marchadour

La prochaine fiche, n° 15 sera la dernière qui accompagne notre lecture de saint Jean.

 

Faites parvenir vos questions ou découvertes à :
Lire l’Evangile   Maison diocésaine CS 61016 – 62008 Arras cedex
ou à hennart-eh@orange.fr

Dossier des Evangiles : http://arras.catholique.fr/jean

 

Article publié par Gestionnaire technique du site internet du Diocèse • Publié • 2660 visites