Il est urgent que l’hospitalité redevienne aussi une valeur politique

La présidente du Secours catholique, Véronique Fayet, exprime son indignation face au comportement de l’Etat à Calais, et son inquiétude après l’annonce d’un plan migrants axé sur la coercition. (Le Monde - 17 juillet 2017) 

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La présidente du Secours catholique, Véronique Fayet, s’inquiète d’un plan migrants axé sur la coercition et qui comporte des « trous noirs ».

 

 

 

Le Secours catholique est très présent à Calais. A l’aune de ce travail quotidien de terrain, que pensez-vous du « plan migrants » annoncé mercredi 12 juillet par le premier ministre, Edouard Philippe ?

 

Depuis quelques semaines, nous sommes pris entre des messages contradictoires. D’un côté, Emmanuel Macron nous parle de l’honneur de la France à accueillir des réfugiés, nous répète que l’immigration est une chance pour notre pays et de l’autre, le ministre de l’intérieur [Gérard Collomb] a une attitude extrêmement dure. Lorsqu’il est venu dire aux associations à Calais « d’aller exercer leur savoir-faire ailleurs », la critique nous a humiliés, nous a fait mal… C’était très violent pour les gens qui, sur le terrain, tentent chaque jour d’apporter le minimum de réconfort à des migrants, souvent très jeunes, pourchassés par la police.

Aujourd’hui, il nous apparaît incompréhensible que le gouvernement refuse la mise en place d’un dispositif d’abris pour les exilés qui sont là. Il n’y a pas que les associatifs qui le demandent : tous les rapports qui ont été faits plaident pour qu’on propose des solutions de mise à l’abri, du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés au Défenseur des droits en passant par la mission d’expertise de Jean Aribaud et Jérome Vignon.

 

Ce plan migrants vous déçoit-il ?

 

Sur certains points, le plan nous redonne un peu d’espoir comme sur l’intégration. Mais il comporte aussi de vraies faiblesses, des trous noirs inquiétants. Il manque des solutions sur Calais, mais aussi pour la vallée de la Roya ou Paris. Il est à craindre que dans ces zones d’ombre se glisse la poursuite d’une action répressive qui aille à l’encontre des droits de l’homme.

 

Quels points estimez-vous positifs dans ce plan ?

 

La réduction des délais d’instruction de la demande d’asile est une approche intéressante à laquelle nous avons envie de croire si elle ne se fait pas au détriment de la qualité de l’étude des dossiers. Mais là encore, il y a une zone grise à nos yeux et il y a urgence à améliorer ce qui se passe avant le dépôt de la demande d’asile. Est-il normal qu’il faille attendre deux mois pour accéder à une plate-forme d’accueil et encore un mois pour pouvoir faire enregistrer sa demande en préfecture ? Au Secours catholique, nous estimons que ces délais préalables ne devraient pas outrepasser une ou deux semaines. Le plan gouvernemental ne s’intéresse pas directement à ce point.

 

Nous avions demandé une nouvelle gouvernance spécifique du sujet des réfugiés, qu’ils ne soient plus sous la coupe du seul ministre de l’intérieur. Si nous saluons la nomination prochaine d’un délégué interministériel à l’intégration, nous souhaiterions qu’il prenne en charge tout ce qui touche aux réfugiés. Nous avons besoin de cet interlocuteur car nous demandons le dialogue, au nom de notre expertise. Nous préférerions être entendus qu’aller au tribunal administratif à tout bout de champ comme c’est le cas à Calais.

 

Le gouvernement veut par ailleurs durcir le sort réservé à ceux qui ont laissé des empreintes dans un autre pays d’Europe, qu’on appelle les « dublinés ». Comment le Secours catholique se positionne-t-il sur ce point ?

 

L’Europe ne prend pas la bonne direction. A l’heure actuelle déjà, l’application du règlement européen de Dublin 3 est une aberration qui laisse sans droit et sans protection des milliers de demandeurs d’asile en attente d’être renvoyés ou de redéposer une demande d’asile après six mois d’attente, comme le texte les y autorise.

 

Les textes d’un « Dublin 4 » en préparation seront plus restrictifs encore. Aussi le Secours catholique demande qu’on revoie ce règlement absurde et qu’on le remplace par un système qui tienne compte du lieu où les réfugiés veulent vivre, ont des attaches.

 

Le gouvernement souhaite aussi augmenter le nombre de renvois de déboutés du droit d’asile. Est-ce un pur effet d’annonce à vos yeux ?

 

Cela fait longtemps que les gouvernements successifs veulent renvoyer les déboutés de l’asile. On sait que cette volonté se heurtera aux mêmes difficultés que d’ordinaire. Alors nous demandons avec d’autres associations que ce gouvernement commence par apurer la situation actuelle. On ne peut commencer une mandature avec la moitié des hôtels sociaux remplis de familles qui sont là depuis quatre, cinq ou six ans, ne repartiront jamais, mais ne peuvent s’intégrer parce qu’elles ne disposent pas de papiers.

 

Nous souhaiterions que ce gouvernement ait la lucidité et le courage de donner des titres de séjour, cela permettrait de fluidifier le dispositif d’hébergement et éviterait à bien des enfants de grandir dans des chambres d’hôtel.

 

Les Français ont montré qu’ils avaient le sens de l’accueil et des milliers de rencontres magnifiques ont eu lieu entre des familles françaises et des exilés. Il est urgent que l’hospitalité redevienne aussi une valeur politique, portée par le président de la République et son gouvernement, mais aussi par tous les élus de la nation. C’est le seul moyen pour que la France soit à la hauteur des défis migratoires mondiaux qui sont devant nous.

 

Si l’on revient à Calais, le Conseil d’Etat va rendre prochainement un jugement. Condamné à installer des douches et des latrines, l’Etat a fait appel de la décision du tribunal administratif de Lille. Que vous inspire cet appel ?

 

Nous sommes extrêmement choqués que l’Etat et la municipalité aient fait appel d’une décision du tribunal administratif qui demandait seulement qu’on donne aux migrants des latrines et des points d’accès à l’eau. Juste des points d’accès à l’eau… Il est tout de même ahurissant que l’Etat conteste cette nécessité et refuse de les mettre en place alors qu’un appel n’est pas suspensif.

 

A ce propos, le candidat Macron avait bien dit qu’il souhaitait renégocier les accords du Touquet, conclus entre la France et le Royaume-Uni afin de délocaliser les contrôles frontaliers britanniques dans les zones portuaires et ferroviaires françaises…

 

Effectivement. Et il n’en est plus question dans ce plan, alors que cela nous semble fondamental. La France a un intérêt évident à le faire, mais sans doute les réfugiés ne font-ils pas le poids quand on négocie avec Londres pour rapatrier à Paris une partie de la place financière londonienne…