Appeler en 2018

Edito de Monseigneur Jaeger - Eglise d'Arras n°06

APPELER EN 2018.

 

Endry, Florentin et Mgr Jaeger Endry, Florentin et Mgr Jaeger  Le mois de juin est traditionnellement le temps favorable pour les ordinations presbytérales. Le 24 juin prochain, en la fête de Saint Jean-Baptiste, le Seigneur nous fera le don de deux prêtres dans les personnes d’Endry CHIRINOS et de Florentin DEQUIDT. Cette joie est donnée au diocèse d’Arras après deux années sans ordination.

            Comme beaucoup de jeunes aujourd’hui, Florentin a parcouru le vaste monde, mais il plonge profondément ses racines personnelles et familiales dans le Ternois. Endry nous vient du Venezuela, pays dont la population connaît l’épreuve de la pauvreté et de la précarité. Nous les remercions, l’un et l’autre, de donner leur vie à la suite du Christ pour être ministres et pasteurs à son école.

            Ce beau moment nous inspire l’action de grâce. L’heure n’est donc pas aux lamentations. Il est toujours possible en 2018 d’être prêtre. Florentin et Endry et bien d’autres avant eux ne se contentent pas de le dire. Ils le montrent. Comment se fait-il alors que nos diocèses manquent de prêtres ?

            Nous ne devons pas nous voiler la face. Dans les dernières décennies, les lieux et les formes de formation des futurs prêtres se sont multipliés en France. L’uniformité héritée d’une Église forte, très organisée, marquée par des courants pastoraux dominants nuisait, disait-on, à l’appel et surtout à la réponse. 

            Il faut bien constater qu’une légitime diversité, plus largement accueillie et reconnue, m’empêche pas le nombre total des séminaristes en France de continuer à diminuer ! Le problème se situe plus sûrement bien en amont de l’entrée au séminaire, quel qu’il soit.

            Jésus lui-même s’émerveille de la foi qui peut jaillir du cœur d’un homme, d’une femme qui se tourne vers lui dans sa détresse. Il dit son admiration pour un juif ou un païen, qui loin des grandes écoles et des castes de Jérusalem, de leurs principes et de leur autorité balbutie leur confiance en celui dont ils pressentent la mission plus qu’ils ne la comprennent. 

            Aujourd’hui encore, tous les pasteurs et les fidèles qui collaborent avec eux sont témoins de tels élans dont les plus petits, les plus humbles, les plus démunis ont souvent le secret. Oui, l’Esprit de Dieu est à l’œuvre. Il souffle où il veut, comme il veut, quand il veut.

            Le Fils de Dieu ne s’arrête pas à ce qu’il pourrait considérer comme un succès dont il tirerait une glorification personnelle. L’impact de sa prédication, l’efficacité des signes qui l’accompagnent ne lui évitent pas le don suprême de sa vie sur la croix. Il lui faut passer par elle pour que la multitude entre avec lui dans la vie nouvelle.

            Cette offrande de la vie fonde, pour sa part, l’appel des apôtres, leur patiente et laborieuse formation, leur consécration par le don de l’Esprit-Saint, leur mission au sein de toutes les nations, et pour la plupart d’entre eux, leur martyre. 

            Certains regrettent une époque où des prêtres nombreux structuraient de façon visible et codifiée une Église appelée à remplir un rôle tant spirituel que social. Au meilleur comme au pire sens du terme, le curé, l’aumônier, l’enseignant étaient des « personnages.» Leur influence aussi recherchée que contreversée était incontestable. Ils véhiculaient l’enseignement de l’Église qui joua un rôle déterminant dans l’émergence et la permanence de notre identité nationale.

            Ce mode de présence combattu à bien des reprises a porté de beaux fruits. L’Église n’a pas failli à sa mission quand elle fut pionnière dans les domaines de la santé, de l’accueil des plus pauvres, de l’éducation, des loisirs. Elle a souvent, avec des moyens bien limités, indiqué la voie qu’ont suivi en la dépassant, les pouvoirs publics et les collectivités locales.

            L’histoire a modifié la donne. La société s’est affranchie d’un magistère venu de l’extérieur d’elle-même. L’opinion, quand ce n’est pas l’individu, fait loi. Lorsqu’elle intervient dans les débats de société, l’Église se fait souvent taxer d’obscurantisme et de passéisme. Elle serait hostile à la liberté, au bonheur et au progrès. 

            Ces quelques lignes ne veulent pas reprendre tous les termes d’un débat contemporain. Elles soulignent simplement la modification, de fait, du rôle actuel de l’Église et de ses ministres dans nos cultures occidentales. 

            L’image se brouille. Le flou, tel qu’il se manifeste dans les attentes multiples et étonnantes, manifestées à l’égard de l’Église et de ses ministres est déstabilisant et, reconnaissons-le, ne facilite pas l’appel au presbytérat.

            De façon paradoxale, cette incertitude, situe mieux la mission des pasteurs. Dans l’Évangile, notamment celui selon saint Marc, Jésus se garde bien de se laisser enfermer dans les rôles, les perceptions que l’on projette sur lui. Tout en étant extrêmement présent, attentif et bienveillant, il se situe ailleurs. Il ne se laisse pas récupérer. Il est venu accomplir l’œuvre de son Père. Celle-ci est bien plus ample, profonde et novatrice que les plus beaux signes que l’homme est capable d’en donner. L’Œuvre de Dieu, l’Œuvre du Fils, l’Œuvre de l’Église, l’Œuvre des ministres ordonnés ont les dimensions de l’Amour qui, précisément, n’a pas de dimension. 

            Appeler des jeunes, et des moins jeunes,  à être prêtres, c’est les inviter à se laisser entraîner dans cette aventure. Elle n’est pas d’abord celle d’une trompeuse réplique des personnages évoqués plus haut. Elle n’est pas davantage le parcours de ceux qui ont eu à cœur de déboulonner ces modèles. 

            La fécondité du ministère commence par la profession de foi de Pierre quand Jésus fait l’expérience de l’abandon : « Seigneur à qui irions-nous, tu as des paroles de vie éternelle[1]. » Elle passe par la fragilité que Jésus annonce au même Pierre : « Tu étendras les mains et c’est un autre qui nouera ta ceinture et te conduira là où tu ne voudrais pas… Suis-moi[2]» Elle suit le chemin obligé qu’emprunte Paul quand il lui est dit : « Relève-toi, entre dans la ville, et on te dira ce que tu dois faire[3]. »

            Nous sommes loin du curé qui pendant trente ou quarante ans régentait saintement et magistralement son village ou de l’aumônier qui rencontrait régulièrement et méthodiquement les équipes de militants. Seul le Christ qui donne accès à la vie par la croix est pasteur et suscite des pasteurs. Aucune apparence ne peut dissimuler ce chemin. Si l’Église le suit, si les Catholiques du Pas-de-Calais s’y engouffrent, leurs fils, et pas ceux des autres, seront plus disponibles pour être prêtres.

            

 

+ Jean-Paul Jaeger

 

1. Jean 6, 68.

2. Jean 21, 18-19

3. Actes 9, 6.