Douceur et amertume
Édito de Monseigneur Jaeger - Eglise d'Arras n°8
Quelques jours après une nouvelle rentrée, les têtes fourmillent de projets. Comme au sortir du confessionnal, les bonnes résolutions pullulent. Les familles, les groupes, les politiciens, les associations échafaudent des plans et mettent au point des stratégies.
Dans les paroisses et les mouvements, l’heure est aux initiatives. Elle sont particulièrement bienvenues après les constats et les analyses qui risquent de décourager les plus entreprenants. Tout a été dit et écrit sur le déclin de l’Eglise et de son influence. Alors, il est temps de réagir.
Les évêques eux-mêmes ont tracé des perspectives. Elles sont nationales, provinciales, diocésaines. Les communautés locales se donnent des objectifs. Le foisonnement d’idées et de réalisations étonnent parfois les observateurs qui enterrent un peu vite l’Eglise.
Je ne peux que reprendre en ce mois de septembre les invitations, les encouragements à poursuivre ce vaste mouvement d’évangélisation indispensable à nos personnes, à nos communautés, à notre société. Que le Seigneur Lui-même en comble les artisans !
Au moment de réactiver leur zèle apostolique et missionnaire, les disciples du Christ doivent échapper au syndrome de l’huile de foie de morue. Nos grand-mères en usaient pour fortifier, du moins le croyaient-elles, leur chétive progéniture parfois malmenée par les restrictions qui ont accompagné ou suivi les guerres. Mais voilà, la potion était imbuvable et son goût suscitait mille réactions de rejet. Alors les mamans recherchaient et trouvaient parfois autant d’astuces pour faire avaler le maudit breuvage.
Que Dieu me pardonne de comparer le message évangélique à de l’huile de foie de morue, mais c’est bien le même effet qu’il suscite dans la bouche et dans l’esprit de tant d’hommes et de femmes qui, sans toujours en être conscients, misent leur histoire et leur avenir sur leur puissance, leur suprématie, leur argent, leur séduction, leur charme. La tentation consiste pour nous à lisser les aspérités de la Parole divine, à nuancer la vigueur du message, à la rendre compatible avec les courants d’opinion. Il faut bien vivre avec son temps et sacrifier à la pratique du marketing.
J’entends souvent dire qu’il y aurait plus de monde à l’Eucharistie dominicale si les rites étaient modifiés, les prédications plus enflammées, le fleurissement plus original. Je recommande vivement la formation liturgique et le soin apporté à préparer et célébrer les différents offices. Je persiste, cependant, à penser que la désertion de nos églises ne sera pas enrayée par des accommodements de surface. Quelques fleurs en plus ou en moins, l’âge et le look du célébrant, la variété des parfums de l’encens ne feront jamais croire qu’un peu de pain et un peu de vin deviennent le corps et sang du Christ livré pour le salut du monde, pain et vin de la Vie Eternelle. Ce ne sont pas de subtiles astuces qui feront, si j’ose dire, « avaler » la vérité.
Faut-il être surpris aujourd’hui si nos contemporains fuient les lieux et les cercles où ils entendront dire que les premiers seront les derniers ? Leurs regards pourront-ils longtemps fixés sur un Fils de Dieu qui avait, à leur sens, tout pour réussir et se laisse conduire à la mort infamante de la croix ? Leurs oreilles se fermeront, bien évidemment, à la lecture des béatitudes. Tout dans leur environnement préconise le contraire !
Seule une véritable rencontre avec le Christ, une expérience de la guérison qu’il apporte, de la dignité qu’il rend, de l’amour fou qu’il distille, de la justice qu’il rétablit et de la confiance qu’il éveille peuvent faire retentir dans la vie et dans le cœur des adultes et des jeunes la Parole qui se fait chair. Ce ne sont pas des trucs qui viendront à bout des réticences à l’égard de la Parole de Dieu, de l’enseignement de l’Eglise, mais un face à face, celui qui a fait dire à Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle.[1] »
Je reviens à nos projets, à nos résolutions, à nos perspectives, à nos initiatives, à nos réalisations. Ne les abandonnons pas ! S’ils ont pour but de rendre soluble la Bonne Nouvelle et la foi dans les cultures, ils font fausse route. S’ils préparent les chemins du Seigneur et s’effacent humblement devant lui, sa Parole et son œuvre de salut, ils porteront des fruits qui ne sont pas les nôtres et nous surprendront.
Le catéchisme de l’Eglise Catholique déclare au n° 1101 : « C’est l’Esprit-Saint qui donne aux lecteurs et aux auditeurs, selon les dispositions de leur cœur, l’intelligence spirituelle de la Parole de Dieu. » Nous serons simplement au service de son travail.
+ Jean-Paul JAEGER
[1]Jean 6, 68