Edito : Tenez ferme

Église d'Arras n°04

Faut-il donc que tout aille mal pour que chacun se remue et se manifeste ? Ce pourrait être une manière de comprendre les réactions des milliers de personnes en réponse aux actes terroristes de janvier : “Cela me concerne, cela ne me laissa pas indifférent !”Quels sont donc les mobiles qui font agir le cœur de l’homme ?

 

Le début du message de carême du pape François évoque l’indifférence qui s’installe : “Quand je vais relativement bien et que tout me réussit, j’oublie ceux qui ne vont pas bien”. Il évoque alors la mondialisation de l’indifférence. La planète terre est bien défigurée par les multiples violences et souffrances, mais ne sommes-nous pas devenus blasés devant la multiplication des sollicitations, des images de souffrances, des commémorations et des épreuves ? Faut-il donc attendre les temps de catastrophes majeures pour se sentir responsable de soi-même et de l’autre qui m’est proche ?

 

S’il apparait logique de réagir aux épreuves, c’est pourtant à tout autre chose que la foi chrétienne nous appelle. Il ne suffit pas de crier en boucle : “Qu’as-tu fait de ton frère ?”. La conversion à laquelle nous sommes d’abord appelés, c’est que “Dieu le premier nous a aimés” et qu’à notre tour nous sommes appelés à aimer. Cette motivation peut apparaître “moins motivante”, parce qu’elle n’est pas fondée sur la nécessité de réagir contre le mal, mais sur l’accueil de Dieu chez nous, en nous.

 

Il nous faut bien 40 jours pour nous laisser revêtir par l’amour de Dieu et devenir à notre tour témoin de cet amour reçu. Le message de carême invite à retrouver l’intériorité de la relation à Dieu par la prière. D’où l’initiative de “24 h pour le Seigneur”, les 13 et 14 mars. Intériorité qui s’extériorisera pour dépasser notre indifférence et rendre notre cœur semblable à celui du Christ.

On pourra fort justement parler d’ouvrir sa porte. C’est une insistance qui apparait dans les orientations du synode à l’intention des paroisses : qu’elles se sentent appelées à ouvrir les portes de l’Eglise, à accueillir, à aller vers… Ce carême peut donc être occasion de se convertir et de vivre à l’image de Dieu, qui a ouvert sa porte, qui est venu chez nous.

 

Le 22 février a lieu à Bapaume l’appel décisif des catéchumènes. Ils se laissent accueillir par Dieu pour devenir communautés ouvertes avec ceux qui les accompagnent et les accueillent. A leur tour, ils seront envoyés pour devenir Eglise en sortie. Ils font partie de la longue lignée de ceux que le Seigneur appelle, à commencer par Moïse. “Me voici” avait répondu Moïse devant le buisson qui ne se consumait pas. “J’ai vu la misère de mon peuple, va je t’envoie…” lui avait alors confié le Seigneur. Nous connaissons l’histoire, au moins partiellement. Il s’agit désormais de la continuer en l’écrivant avec nos propres mots, avec nos propres gestes. Il revient à chacun de faire sienne la parole “Me voici !”. Il s’agit d’ouvrir les oreilles et les yeux : “J’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu ses gémissements…”.

 

“La charité de Dieu rompt le mortel enfermement sur soi-même qu’est l’indifférence” et le geste du jeudi-saint rappelle l’orientation donnée par le Christ aux disciples… Au-delà de la communauté déjà rassemblée, les chrétiens sont appelés à franchir le seuil pour être en relation avec la société, avec les pauvres, avec ceux qui sont loin. L’Eglise n’est pas repliée sur elle-même elle est envoyée à tous les hommes.

 

“Tenez ferme”, titre extrait de la lettre de saint Jacques, prend tout son sens pour le message de carême. Tenir ferme c’est garder le cœur ouvert vers Dieu et le frère : “un cœur fort et miséricordieux, vigilant et généreux”, qui ne s’effondre pas dans l’indifférence.

 

Puisse ce temps qui nous sépare de Pâques fortifier chacun et sa paroisse, dans la prière et dans l’ouverture, avec le souci de briser l’indifférence devant la misère des autres, en devenant chemin entre Dieu et les hommes aujourd’hui

Abbé Emile Hennart