Faible et belle humanité

Édito de Monseigneur Jaeger - Eglise d'Arras n°4 - Avril 2020

Monseigneur Jaeger Monseigneur Jaeger  Je n’ai jamais éprouvé comme aujourd’hui la futilité des mots et la vanité des discours. Que dire de juste et de vrai quand tout propos, tout écrit risque de se fracasser contre l’impuissance, au moins provisoire, de nos capacités humaines ?

 

Nous sommes les témoins et peut-être les victimes d’un bouleversement planétaire qui, depuis quelques semaines, ébranle des certitudes, des réalisations, des progrès qui donnaient à l’être humain l’assurance de la pleine maîtrise de son destin personnel et collectif.

Soyons honnêtes : aucun individu, aucun peuple n’aurait apporté ses suffrages à un dirigeant qui aurait inscrit à son programme électoral le stockage massif de masques et de respirateurs

au cas où… Les priorités étaient ailleurs !

Nous savons maintenant qu’un virus peut tenir en échec les plus puissants ordinateurs, les systèmes les plus complexes, les intérêts les mieux calculés. La mort dans l’âme, certaines puissances politiques acceptent, enfin, de reconnaître que leur orgueilleuse économie ne pourra pas tenir lieu de rempart. Les jeux financiers montrent qu’ils n’étaient, en fait, que des rois nus.

L’histoire nous apprend que les pandémies ont une fin : Dieu merci ! À quel prix s’achèvera celle que nous traversons ?

Nul ne peut le dire à ce jour. Il est encore moins possible de prédire les séquelles d’une telle invasion. Alors, dans quelle direction tourner nos regards, implorer un secours ? en quoi, en qui fonder notre espérance ?

Dans l’épreuve, l’humanité révèle sa beauté et sa grandeur. Nous voyons se succéder sur les plateaux de télévision des sommités médicales et des chercheurs qui reconnaissent humblement qu’ils ne savent pas tout et qu’il faut travailler ardemment et humblement. Nous les avons naguère connus plus affirmatifs et téméraires.

Nous nous émerveillons devant l’investissement surhumain des soignants qui, de façon presque spontanée et naturelle, manifestent que leur profession est aussi une mission qui, quand il le faut, dépasse tous les cadres. L’autre n’est plus, à ce stade, un patient qu’il faut soigner, mais un semblable qu’il faut guérir, sauver, accompagner.

Derrière les masques, les blouses et les surblouses, sous les charlottes, dans les gestes parfois invasifs, s’exprime un beau et grand sens de l’être humain, trop rarement exprimé, mais soudain mis en oeuvre.

La vie ne s’arrête pas, mais elle prend une autre couleur. La grand-mère à qui on n’avait pas le temps de rendre visite nous manque tout-à-coup. Dans le confinement de l’appartement, l’enfant est moins le roi. Il devient plus modestement le partenaire d’un quotidien qu’il faut inventer pour le meilleur confort possible de toute la famille. Oui, nous apprenons à être plus humains ensemble. Notre foi elle-même affronte le doute. Que fait Dieu ? Il n’a jamais cessé d’être là. Non, il ne tire pas les ficelles d’une situation dramatique, n’en manipule pas le cours. Il la vit avec ses enfants.

Dieu ne se met pas à l’écart, au-dessus. en son Fils Jésus, il vient au coeur de l’humanité faible, fragile, blessée. L’abaissement de la mort conduit le Christ au plus profond d’une pauvreté qu’il mène jusqu’à la splendeur de la vie nouvelle. Cette grandeur se révèle déjà dans tant de signes qui expriment dans des relations bouleversées et reconstruites la condition des enfants de Dieu et des frères et soeurs rassemblés en Jésus, le Premier-Né d’entre les morts.

 

Nous ne ferons pas mémoire de la mort et de la résurrection de Jésus, de la même manière que nous le faisons chaque année, au cours de la semaine sainte. Le déroulement liturgique habituel nous fera défaut. Les propositions qui seront faites nous rappelleront que la Miséricorde de Dieu est infinie. elle n’est limitée par rien. Les sacrements en sont les instruments efficaces. Ils sont indispensables à notre cheminement dans la foi. Ils n’enferment toutefois pas l’Amour de Dieu. Dans toutes les circonstances, Dieu vient combler les coeurs qui s’ouvrent à sa présence et mettent en lui leur espérance.

Oui, nous vivrons cette année encore la victoire de la vie sur la mort, celle du Christ et déjà la nôtre !

 

+ Jean-Paul Jaeger