Homélie de la Messe Chrismale 2022

Saint Omer - 12 avril 2022

Messe Chrismale

 

Messe Chrismale 2022 Messe Chrismale 2022  Les hasards du calendrier font que nous célébrons cette année la messe chrismale entre les deux tours de l’élection présidentielle : le premier a eu lieu le dimanche des Rameaux, le second aura lieu le dimanche de la Miséricorde. Je me demandais alors : la messe chrismale, avec la bénédiction des saintes huiles, a-t-elle une portée politique ?

Dans le contexte que nous vivons, c’est évidemment une question risquée. Oser une parole sur ce sujet peut vite devenir partisan. Or je suis évêque pour tous, au service de la communion. Et si je demeure citoyen avec mes opinions propres que j’essaie de soumettre à l’Évangile pour les convertir, il n’en demeure pas moins que je n’ai pas à servir mes opinions, mais bien à servir l’Évangile de la vérité et du salut qui dépasse infiniment une opinion, quelle qu’elle soit. Pourtant, ne rien dire serait laisser entendre que l’Évangile est neutre politiquement, c’est-à-dire qu’il n’a rien à dire sur le bien commun et le service de la cité.

Quand on me rappelle la parole de Jésus « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », demandant ainsi le renvoi des évêques « à la sacristie » comme l’avait fait il y a quelques années un ministre de la République, j’aime répondre en m’appuyant sur le raisonnement suivi par Jésus dans cette affaire. Il demande qui représente l’effigie gravée sur la pièce : la pièce porte l’image de César. Il s’agit donc de la rendre à César. Et donc de rendre également à Dieu ce qui porte son image, c’est-à-dire la personne humaine elle-même, puisqu’elle est créée à l’image de Dieu, pour sa ressemblance (Gn 1, 26). Cette parole de Jésus n’établit donc pas deux ordres séparés et étanches, le spirituel et le temporel (pour lequel Dieu n’aurait rien à dire, ce qui serait tout de même très étonnant pour la religion de l’incarnation). Mais, tout en reconnaissant une réelle autonomie des réalités terrestres (cf. Vatican II), elle relativise très clairement tout pouvoir et l’ordonne au service de l’homme qui, lui, vient de Dieu, est fait pour Dieu, est aimé de Dieu et sauvé par Dieu.

Dans quelques instants, je vais bénir trois huiles : l’huile des catéchumènes, l’huile des malades et le Saint Chrême, celle de l’onction du baptême, de la confirmation et de l’ordination. Vous écouterez attentivement les si belles prières de bénédiction. Elles sont d’une grande richesse.

L’huile des catéchumènes appelle la force du Christ sur le catéchumène pour qu’il puisse mener le bon combat, celui de la vie chrétienne. Car la vie chrétienne est un combat. Elle est une dynamique de conversion qui ne se terminera que dans le Royaume, quand tout sera récapitulé dans le Christ et que Dieu sera tout en tous. Ainsi, dès avant le baptême, celui qui veut devenir disciple du Christ sait que le don de Dieu ne viendra pas l’installer dans le confort d’un évangile « packagé » en quelques valeurs, faisant ainsi perdre bien du tranchant à ses appels, mais dans l’exigence d’une inlassable sortie de soi pour aller vers Dieu et vers les autres.

L’huile des malades appelle sur la personne malade une grâce particulière de salut au moment même où la souffrance pourrait submerger celui qui traverse la maladie. Elle manifeste la tendresse de Dieu pour les plus fragiles, comme toute la vie de Jésus le montre, pour ceux qui risquent l’épuisement, la dissolution de leur humanité ou l’exclusion de la communauté à cause d’une santé défaillante. Cette huile annonce le Royaume qui ne s’établit pas sur la force mais se rend présent à toute fragilité. Si elle se veut signe de la consolation de Dieu, ce n’est pas dans une pure individualisation de la relation à Dieu mais aussi comme ré-insertion dans la communion voulue par Dieu que le Christ scelle entre tous dans la grâce de l’Esprit. Dans le sacrement des malades, la foi se propose comme espérance par l’union au Christ dont la vie est faite de donation et de prière, d’épreuves, d’engagements et de combat.

Quant au Saint Chrême, il est cette huile d’onction par laquelle l’Esprit Saint prend possession de celui qui la reçoit pour le configurer au Christ, pour faire jaillir en lui la puissance même du mystère pascal et lui donner de vivre en disciple du Seigneur. Dans la grâce de l’Esprit Saint, celui qui reçoit l’onction s’ouvre au travail d’élargissement de son cœur aux dimensions de la charité de Dieu, du don même de la vie du Christ pour le salut de tous.

On ne peut que le constater : la bénédiction des saintes huiles à une dimension politique évidente. En nous mettant clairement dans les pas du Christ, elle oriente très clairement notre marche au service du bien commun et de la cité telle que la doctrine sociale de l’Église essaie d’en témoigner.

Sans en diminuer l’importance, l’Évangile relativise tout pouvoir politique et réaffirme que c’est l’homme créé à l’image de Dieu et sauvé par lui qui doit être au centre de tout projet politique, à commencer par le plus fragile. Les huiles saintes nous rappellent que l’Évangile et ses exigences éthiques ne sont pas des mièvreries désincarnées mais appellent l’engagement résolu de celui qui se dit disciple du Christ, quand bien même cela bousculerait ses propres opinions, la pensée unique, le politiquement ou l’ecclésialement correct.

Le mouvement inscrit au cœur même de la liturgie de ce jour interdit toute instrumentalisation du catholicisme. Si la voie chrétienne peut répondre à bien des aspirations humaines, elle ne peut en aucun cas combler sans discernement tous les besoins que nos peurs expriment. Elle nous engage tous dans le risque du Christ, celui qui, dans la justice et la vérité, brise les barrières de la haine et se fait notre paix, celui qui, sans nier les appartenances (lui-même à assumé une identité claire, celle d’un juif de Palestine il y a 2000 ans), refuse de s’y enfermer et de construire sa vie « contre » qui que ce soit. Il est fondamentalement ce Dieu pour nous et pour tous. Et c’est de lui dont nous voulons être témoin.

Ainsi, ces huiles sont comme une épine qui vient nous décentrer de nous-mêmes pour nous recentrer sur la communion qui vient, celle que Dieu veut pour notre humanité et que le Christ inaugure.

Elles nous rappellent aussi que les chrétiens ne sont pas de doux rêveurs, mais que le christianisme nous promet la transfiguration réelle de notre être en vue de servir la communion voulue par Dieu, et pas seulement en la reportant dans la vie supraterrestre. Et que les sacrements nous sont tout spécialement offerts pour cela.

Comme chrétiens, nous n’avons d’autre ambition que d’imiter le Christ. De nous-mêmes cela nous est impossible. Dans la grâce signifiée par l’onction, voilà que ce travail devient possible en nous. Inconfortable. Mais vivifiant.

Cette année, la messe chrismale est célébrée entre les deux tours des élections présidentielles. Hasard, bien sûr. Mais question et appel du Seigneur. Jusqu’où es-tu prêt à laisser l’Esprit Saint pénétrer dans ta vie, à le laisser te configurer au Christ dans tous tes engagements, toutes tes relations, toutes tes réflexions ?

Il y a là évidement de l’inconfort. Celui qu’a choisi le Christ, lui qui n’avait pas de lieu où reposer la tête, et qui nous engage dans le risque de la Croix, celui de la charité qui ne se dérobe pas quand tout se dérobe... Qu’il soit béni !

 

+ Olivier Leborgne,

Évêque d’Arras, Boulogne et Saint-Omer