Liberté

Edito Eglise d'Arras n°03 - 2021

messe-installation-mgr-leborgne messe-installation-mgr-leborgne  La visée de la loi confortant le « respect des principes de la République », actuellement débattue par nos assemblées, est importante : assurer la sécurité de la société face à ce nouveau défi qu’est le terrorisme islamiste, qui a récemment fait plusieurs victimes dans notre pays. La paix et la sécurité sont des besoins fondamentaux de la personne humaine et de la société que l’État doit servir.

 

Cependant, quelques articles de ce projet de loi font surgir de graves problèmes. Sans entrer dans la précision juridique que le format de cet éditorial ne permet pas, ce qui est en jeu c’est la liberté d’expression au cœur de la société française.

 

Le projet de loi fait notamment mention d’un « contrat d’engagement républicain » et de la possibilité, pour un préfet, de fermer un lieu de culte où des propos contraires aux principes de la République seraient prononcés. Outre le fait que ceux-ci sont devenus extrêmement mouvants et qu’ils semblent soumis aux fluctuations de la majorité (au risque, comme l’histoire si douloureuse du XXème siècle le montre, d’être manipulés par des minorités peu démocratiques), c’est en fait une véritable police de la pensée qui, petit à petit, est mise en place.

Sera-t-il demain encore possible de distinguer sans que l’on soit accusé de discrimination ?

 

Sera-t-il demain encore possible de dire que la vie est sacrée, de la conception à la mort ? Et de recourir à l’objection de conscience pour refuser de donner la mort ?

Sera-t-il encore possible de dire qu’un migrant ne peut jamais être une variable d’ajustement, et qu’il ne peut jamais être traité, fût-il en situation irrégulière, comme un objet ou pire, nié dans son existence même ?

 

Sera-t-il demain encore possible de dire que l’État ne peut avoir prétention à se substituer aux consciences et que les lois de la République n’ont pas vocation à les remplacer ?

L’expérience nous montre déjà qu’il est aujourd’hui très difficile d’aborder certains sujets dans le débat public. Le débat démocratique, qui assume les éventuels désaccords, qui prend le temps de l’écoute et ne disqualifie pas a priori l’argumentation de celui qui pense différemment, mais qui essaie de nourrir un débat en raison, est en très net recul dans notre société hyper médiatisée. Il se réduit trop souvent à la violence d’invectives, de l’ironie ou du mépris.

 

Si la sécurité est un bien majeur, elle ne saurait être un bien absolu, au point d’y dissoudre la liberté. On aura raison d’objecter que nous n’en sommes pas là. Cependant, je ne peux pas ne pas me poser quelques questions.

 

Le carême est un temps pour grandir dans la charité. Celle-ci n’est pas synonyme de médiocrité ou de démission. « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » (Ps 84). Il ne peut y avoir de charité sans vérité, ni de paix sans justice. Et donc de sécurité sans respect des droits de l’homme, à commencer par celui de la liberté de pensée et d’expression.

L’Évangile et la tradition chrétienne nous donnent plusieurs armes pour relever ces défis. Pemettez moi d’ en citer trois :

— la prière : nous savons que rien n’est sous notre domination, et que nous ne devenons nous-mêmes qu’en nous recevant de Dieu - prier nous humanise ;

— l’élaboration d’une conscience politique qui se nourrit d’attention à la vie du monde, d’un travail en raison (au-delà des émotions et des modes), de dialogues et d’échanges, afin de favoriser le développement d’une culture authentiquement démocratique

— l’éducation.

« C’est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés. » (lettre de saint Paul aux Galates 5, 2)

 

+ Olivier Leborgne,

Évêque d’Arras, Boulogne et Saint-Omer