Migrants : « Notre parti à Calais, c’est celui de la charité »
Tribune
Pierre Poidevin et Louis-Emmanuel Meyer, curé et vicaire de l’église Saint-Pierre à Calais, réagissent aux débats provoqués par la situation migratoire dans leur ville. Prêtres « plutôt classiques » disent-ils, ils revendiquent de ne pas se préoccuper des « questions politiques » pour demeurer sur leur terrain : celui de l’Évangile et de la charité.
"On nous reproche nos positions sur la question migratoire.Nous sommes des prêtres ordinaires, plutôt classiques, col romain et compagnie. Dans le tableau, nous pourrions cadrer assez bien avec le catholicisme urbain à majorité souvent bourgeoise qui se distingue aux sorties de messes en France…
Alors certains s’étonnent de nous voir engagés sur les questions migratoires, ici à Calais. Comment des prêtres comme ça peuvent soutenir cette grève de la faim dans leur église paroissiale ? Nous avons reçu un certain nombre d’insultes : nous serions des « traîtres », des « collabos de l’invasion », des « profanateurs », des « vendus », etc. Sans parler du Saint-Père qui serait « apostat » …
Notre proposition de défense des migrants semble en effet bien brouiller les cartes dans l’ambiance zemmourienne de ce début de campagne, ça met mal à l’aise dans les discussions de salon. D’ailleurs quand nous parlons de nos Paroisses de Calais, les regards s’écarquillent : « Pauvres prêtres en zone de guerre », on nous plaint, et l’on échappe rarement à un couplet désespéré sur la régulation migratoire qu’il faudrait initier.
Le problème est humanitaire
Depuis Calais nous sommes étonnés de bien des positions catholiques sur les migrants. Beaucoup glosent, débattent, se choquent, s’indignent. Pourtant les revendications des grévistes de la faim Anaïs, Ludovic et le Père Philippe nous semblent ne devoir gêner personne, et surtout pas un catholique. Les voici.
Les grévistes demandent : l’arrêt des expulsions systématiques des lieux de vie des personnes migrantes pendant la trêve hivernale ; l’arrêt de la confiscation de leurs tentes et de leurs affaires personnelles et l’ouverture d’un dialogue entre autorités et associations non-mandatées par l’État pour définir conjointement les modalités de l’aide humanitaire.
Pour nous, toute la substance de notre position sur la crise migratoire tient dans ces revendications. Nous nous plaçons sur un terrain humanitaire, le terrain de la charité. Il y a une crise humanitaire à Calais, c’est cette question que nous considérons dans nos positions. Et nous aimerions que les catholiques ne se fassent pas embarquer par le prisme politique qui ne regarde pas le monde avec les lunettes de l’Évangile.
Un déni de réalité : ils sont là
Pourquoi les migrants viennent jusqu’à Calais ? Leur présence est-elle légale ou légitime ? Le départ de leurs pays est-il justifié ? etc. Ces questions appartiennent au politique. À Calais nous ne pouvons pas nous en préoccuper : les réfugiés, les migrants, les exilés, appelez-les comme vous le voulez, sont là. Plus d’un millier d’hommes, femmes, enfants, tentant de passer la mer vers l’Angleterre. Ils sont là, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, mais ils sont là, c’est une réalité et comme prêtres catholiques nous voulons le redire.
Aujourd’hui à Calais, il y a un déni de cette réalité, l’État veut souvent la dissimuler : des tentes sont déchirées, les maigres effets personnels sont confisqués, l’accès à la nourriture est rendu difficile, comme à l’eau ou aux soins. Le slogan « Pas de point de fixation » a pour conséquence de rendre ce millier de personnes quasiment invisible. Chassés, maltraités, poussés d’un boqueteau à l’autre, de dune en dune, les migrants sont une plaie qu’on cache.
Que l’État ait une médiocre politique migratoire, soit, mais qu’il n’empêche personne de répondre à cette crise humanitaire. Car notre terrain à Calais, c’est celui de la charité. Peu importe que nous votions Rassemblement national, La France insoumise ou les entre-deux variants. La première charité se joue ici, envers ceux qui sont là, à Calais, pour de bonnes ou de mauvaises raisons.
Distinguer la réponse politique et la réponse humanitaire
Nous souhaitons vraiment qu’au sein de la question migratoire les catholiques apprennent à distinguer les niveaux de réponse : le niveau politique ; il concerne notre vote, notre engagement politique personnel. Le niveau humanitaire : les migrants sont là, c’est une exigence évangélique de les nourrir, les vêtir, les soigner. Les avis peuvent diverger quant au premier niveau, nous ne voyons pas bien quel genre de débat peut exister sur la question humanitaire.
Il faudrait que cesse l’assimilation migrant/islam. Ici à Calais, une proportion forte de réfugiés est constituée de chrétiens orientaux en particulier de rite alexandrin provenant des Églises orthodoxes et catholiques d’Éthiopie et d’Érythrée. À ceux-là s’ajoutent quelques unités provenant du Levant. Derrière cette assimilation traîne l’idée que nous devrions moins d’aide à une personne qui ne partagerait pas notre foi : c’est aux antipodes de l’Évangile.
Le regard partisan affadit l’Évangile
Derrière cette idée traîne aussi l’absurde phrase « charité bien ordonnée… » ou encore l’idée que nous serions menacés dans notre foi voire dans nos vies. Cela nous paraît un attachement désordonné à la cité terrestre et l’inverse d’une attitude apostolique qui souhaite convertir des âmes au Christ, sans parler de l’esprit de sacrifice qui visiblement échappe à nos contradicteurs.
Nous sommes pleinement derrière les grévistes de la faim, au nom de l’Évangile. Il est désespérant de voir que l’Évangile se retrouve affaibli par des regards partisans. La crise humanitaire à Calais n’est ni de gauche ni de droite, elle est réelle et réclame une réponse de charité. Nous n’avons pas de solution, nous donnons juste ce verre d’eau au faible et au petit."