De la sollicitude pour la chose sociale
Réflexion sur un premier mai contrasté
La sollicitude de Dieu à l’égard du pauvre et du faible est exposée dans de nombreux textes de la Loi, du Deutéronome en particulier. Cette sollicitude de Dieu se manifeste dès les premières lignes de l’appel de Moïse : « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu son cri. Je suis descendu pour le délivrer… Va, je t’envoie pour libérer mon peuple… » (Ex.3). Cette sollicitude se transforme en engagement qui change la donne pour un tout petit peuple réduit en esclavage.
Jusqu’à présent nul n’a reproché à Jésus de s’être identifié au pauvre et au malheureux dans la parabole du Jugement. Jésus était suffisamment attentif aux conditions de vie de son tempsfait référence aux sans travail, qui attendent sur la place publique jusqu’à la dernière heure pour trouver un peu de quoi faire vivre leur famille. Pour les historiens cela évoque les méfaits d’une restructuration de l’économie agricole à l’arrivée des romains : conséquences d’une mondialisation qui ne disait pas encore son nom. Nous connaissons la réponse du maitre de la vigne devant cette misère : allouer à chacun le même revenu, quel qu’ait été son travail.
Revenons à la sollicitude de Dieu, de Jésus, du maître de la vigne (Matthieu 20), des papes d’hier et de l’Eglise d’aujourd’hui. De nombreux encycliques des papes, des XIXème et XXème siècles en particulier et du Concile expriment cette sollicitude à l’égard des pauvres des sociétés modernes quand ils ont pris la mesure de la misère du monde des pauvres. Léon XIII avait ouvert Elaboré à la demande de Jean-Paul II la voie, que son successeur Pie X a vite refermée. Des laïcs, des prêtres, des cardinaux ont exprimé cette sollicitude d’abord en se rendant proche des derniers de la société, et pas seulement par condescendance ou pitié. Ils ont pris le temps d’analyser, avec d’autres, ce qui se passait et qui produisait une telle misère. Le Compendium de la doctrine sociale rend compte de cette évolution. Certes, l’on peut parler de la cupidité comme source de tous les maux, mais il n’est pas difficile que reconnaitre les cupides ont légalisé leur mode de faire et l’ont érigé en systèmes économiques où il n'est plus aucune considération pour l'homme, il est devenu : « l’homo œconomicus ». La légalisation de l’inégalité comme modèle et l’injustice des institutions ont été dénoncées en leur temps par Jean-Paul II, qui a développé la notion de "structure de péché" (encyclique sollicitudo rei socialis).
Vëpres solennelles du 1er mai à la cathédrale Le mot sollicitude n’ayant pas les faveurs du monde moderne, un autre concept a été forgé avec l’expression : « option préférentielle pour les pauvres ». Il fut un temps où la hiérarchie catholique s’exprimait sur les inhumanités de la modernité : « Y aura-t-il un pauvre sans toit dans mon diocèse pour Noël ? » s’interrogeait Mgr Derouet. Plus récemment Mgr Jaeger s’écriait «Assez!» Mais il semble que ces paroles se fassent de plus en plus rares, et que les sollicitations pour le culte spirituel aient désamorcé la sollicitude des Eglises sur les questions sociales.
Nous pouvons entendre dans la rue, à la porte des usines, le cri des hommes blessés. On a raison de dire que personne ne voit clair, car la transparence politico-économique s’est faite de plus en plus opaque, mais est-ce une raison pour déserter les chemins des hommes, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent. La générosité des cœurs et des ONG, et parmi eux le Secours catholique et le CCFD, est mise à rude épreuve, et il ne suffit pas de donner un poisson pour que l’homme vive.
L’homme moderne se caractérise par l’effort pour comprendre le passé, analyser le présent et ouvrir l’avenir. Les chrétiens sauront-ils accompagner et animer les chercheurs de Dieu dans l’histoire des hommes ? Le cœur et la raison y ont toute leur place. De génération en générations, la doctrine sociale de l’Eglise s’est enrichie en s'appuyant sur la réflexion rationnelle et l'apport des sciences humaines, pour guider les hommes dans leur vocation de bâtisseurs responsables de la société terrestre.
Cet effort est à poursuivre et, aujourd’hui encore, les chrétiens ont à exercer leur sollicitude pour la chose sociale par leur propre participation, par la prière, le cœur et la raison.
Deux mondes qui semblent s'ignorerPrenant quelques photos d’une foule revendicative sur la place du théâtre d’Arras le 1er mai et, quelques heures plus tard dans la cathédrale pour l’office des Vêpres, je me suis demandé ce qu’il y avait de commun entre ces deux foules… De la sollicitude pour la chose sociale, sans doute… peut-être ? Reste avec nous Seigneur, le soir tombe. Dis-nous les signes de l’Esprit.
Abbé Emile Hennart