Les pharisiens dans l'évangile de Luc

Les pharisiens entrent en scène dans l'évangile en 5,17. Jésus enseigne devant un parterre de pharisiens et de docteurs de la loi venus de tous les villages de Galilée, de Judée et de Jérusalem. Ces derniers, entendant Jésus déclarer au paralytique qu'on lui a amené: «Tes péchés te sont pardonnés» se mettent à «raisonner» pour essayer de comprendre qui est cet homme qui, à leurs yeux, blasphème. A la fin de l'épisode (5,26), rien ne dit qu'ils ne font pas partie des « tous» qui rendent gloire à Dieu. Avec leurs scribes, ils « murmurent» en voyant que Jésus et ses disciples mangent et boivent avec les collecteurs d'impôts et les pécheurs (5,30) ; ils remarquent qu'ils ne jeûnent pas (5,33) et qu'ils font ce qui n'est pas permis le jour du sabbat (6,2).

 

Très vite apparaît ensuite leur hostilité - ils observent Jésus pour trouver le moyen de l'accuser (6,7) - ou leur incrédulité. Pour Simon, le pharisien qui a pourtant invité Jésus à prendre un repas chez lui, ce dernier ne peut être, en effet, un prophète (7,39). Jésus les présente d'ailleurs comme ceux qui ont refusé de suivre la volonté de Dieu en recevant le baptême de Jean Baptiste (7,30).

 

À deux reprises, durant la montée à Jérusalem, Jésus est invité pour un repas chez un pharisien (11,37; 14,1). Il lui est reproché de ne pas respecter les rites de pureté (11,38), ce qui provoque de vives critiques de la part de Jésus, concernant la manière dont les pharisiens détournent ces pratiques de leur véritable sens (11,39-52). De même, en 12,1, Jésus met la foule en garde contre la « fausseté» de ceux qui ne trouvent rien à répondre quand ils s'entendent rappeler que le sabbat est au service de la vie et non de la mort (14,6). Auparavant, on voit cependant les pharisiens s'acharner contre Jésus, lui posant des questions sur quantité de sujets et lui tendant des pièges (11,53). Ils murmurent même en voyant Jésus manger avec des pécheurs (15,2) et le narrateur souligne qu'ils sont attachés à l'argent (16,4), c'est-à-dire qu'ils ont l'attitude inverse de celle qui est requise pour entrer dans le Royaume. Un peu plus loin dans le récit, la figure du pharisien, centré sur lui-même et rempli de bonne conscience s'oppose à celle du publicain qui s'en remet à Dieu (18,10-14). Enfin, on voit les pharisiens interroger ensuite Jésus pour savoir quand viendra le Royaume (17,20), et, lors de l'entrée à Jérusalem, ils demandent à Jésus de faire taire les acclamations des disciples (19,39).

 

Reste que certains pharisiens viennent en aide à Jésus, comme ceux qui viennent prévenir Jésus qu'Hérode cherche à le mettre à mort (13,31). Comme si Luc construisait la figure des pharisiens de façon nuancée. Car, s'ils sont certes connotés négativement, il faut relever qu’ils ne sont plus présents dans le récit après l’entrée de Jésus à Jérusalem. Absents du récit de la Passion, ils reviendront au-devant de la scène dans les Actes des Apôtres.

 

Document publié dans Guide de lecture du NT,
sous la direction de Pierre Debergé et Nieuvart. Bayard

 

 

Scribes et pharisiens une tentation de tous les temps

 

Face aux grands prêtres (aristocratie sacerdotale) et aux anciens (aristocratie laïque), les scribes tentent de devenir, au premier siècle, la classe supérieure. Venus de toutes les couches de la population - il y a aussi des prêtres parmi eux -, ils tiennent leur puissance de leur savoir: de leurs maîtres, ils ont reçu la Tradition dans le domaine de la législation religieuse et la transmettent à des disciples. De la sorte, ils prennent des décisions dans des questions relevant de cette législation et du droit pénal. Si nombre de scribes relèvent de la mouvance pharisienne, certains appartiennent à des traditions religieuses différentes (par ex. sadducéenne).

 

Les pharisiens sont un mouvement de piété se recrutant surtout parmi les laïcs - les membres du sacerdoce qui s'y adjoignent n'ont aucune prérogative - et destiné à former la vraie «communauté sainte. d'Israël. Pour cela, les règles de pureté rituelle prescrites par la Loi aux prêtres en fonction sont étendues par eux à l'ensemble du peuple juif et à toutes les circonstances de la vie. Si les dirigeants du mouvement sont des scribes, la grande masse de ses membres est dépourvue d'une telle formation et se contente d'observer les prescriptions sur la dime et sur la pureté rituelle.

 

A plusieurs reprises, des textes rabbiniques mettent le doigt sur les travers qui affectent le comportement des pharisiens. Ainsi trouve-t-on l'affirmation, dans Avot de Rabbi Nathan A 37; B 45).
"Il y a sept genres de pharisiens:

  • le pharisien aux fières épaules [= dont la piété est ostentatoire],
  • le pharisien comptable [= calculant les gains et les pertes provenant des préceptes accomplis et des transgressions commises],
  • le pharisien gagnant du temps [= prétextant d'un devoir religieux qui l'attend, pour tarder de donner à manger à ses ouvriers];
  • le pharisien dont la seule affaire est sa propre personne;
  • le pharisien qui dit: Quelle obligation m'est imposée pour que j'aille l'accomplir?
  • le pharisien de la crainte, comparable à celle deJob;
  • le pharisien de l'amour, comparable à celui d'Abraham".

Plus des deux tiers d'une telle énumération porte ainsi sur les «plaies» du comportement pharisien; le but même du mouvement peut, de fait, favoriser de tels travers.
Cela dit, il est clair que le «pharisaïsme et le «légalisme» dénoncés par Jésus dans les pages de Luc sont des perversions religieuses qui ne sont pas l'apanage de certains juifs contemporains de Jésus. Si Luc les rapporte longuement, c'est bien qu'elles menacent également le chrétien. Le but du texte n'est pas de nous informer sur des perversions anciennes, mais bien de nous alerter sur des plaies qui nous affectent tous plus ou moins.

 

Documents publiés dans L’Evangile de Luc,
commentaires de Hugues Cousin Bayard 1993 p.175 et p. 183