FAQ-6 Luc 17, 11 à 19,28

“Voyage vers Jérusalem 3ème partie”

“Voyage vers Jérusalem 3ème partie” ; la fin des temps

 

Parmi les lecteurs en maison d’Evangile, certains ont été choqués par la rudesse du discours de Jésus.  D'autres ont trouvé incompréhensibles certaines parties du discours qui ressemblent à de l’Apocalypse… que comprendre ?
 

 

Qu’est-ce qui détermine le choix des sections ?


 Sans trop entrer dans les détails techniques, sachant que Luc n’a pas donné en fin de livre un plan, comme on le rait dans les éditions imprimées actuelles, remarquons que Luc signale avec insistance que le groupe dont il écrit l’histoire, se trouve sur le chemin. Cela a commencé avec 9, 51 : 51 "Comme le temps approchait où Jésus allait être enlevé de ce monde, il prit avec courage la route de Jérusalem".A 40 km de Jérusalem, à quelques km de la Mer morte, (en haut à droite). Su le chemin vers Jérusalem...  
A 40 km de Jérusalem, à quelques km de la Mer morte, (en haut à droite).
A 40 km de Jérusalem, à quelques km de la Mer morte, (en haut à droite).

Ce temps sur le chemin est l’occasion d’un certain nombre de discussions, échanges entre Jésus les disciples, les foules et les opposants au cours desquelles se précise la pensée du maître. La fin du chemin est clairement exprimée par Luc en 19, 28, lorsque, à la sortie de Jéricho (Jérusalem est à une vingtaine de kms), il écrit : “Après avoir dit ces paroles, Jésus marchait en avant de ses disciples pour monter à Jérusalem”. La section suivante commence au verset suivant 19,29 se situe dans les faubourgs de Jérusalem : à l’entrée de Bethphagé (la maison du pain) et de Béthanie (la maison du pauvre). Si vous vous souvenez des débuts de section 5 et 6 : 13, 22 Une oasis se laisse voir au lointain Le désert vu d'Arad  
Une oasis se laisse voir au lointain
Une oasis se laisse voir au lointain
Jésus passait par les villes et les villages en enseignant, et il marchait vers Jérusalem” et 17, 11 “Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la Samarie et la Galilée… v.12 "Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre.” Pour les exégètes ce sont des indices par lesquels on remarque une volonté d’inscrire dans un texte un plan.

 

Pourquoi Luc fait-il ainsi ? Parce que ceci fait partie des techniques d’écriture destinées à la lecture orale et non écrite. A défaut d’avoir des caractères gras et des retours à la ligne (ni de début page suivante) comme aujourd’hui, c’est à l’oreille qu’on discernait le changement de chapitre ou de sujet, (sachant que les chiffres de chapitres et versets n’existaient pas encore !). Il existe d’autres indices qui aident et complètent : le changement de cadre de la scène, autres interlocuteurs etc. Il ne faut pas oublier que les manuscrits anciens ne comportent aucun signe de ponctuation, ni marque de paragraphe, toutes les lettres se suivent sans discontinuer.

Dans cette section, deux séquence méritent notre attention : la rencontre avec les dix lépreux, au début ; la rencontre avec Zachée, à la fin

 

17, 11-19. Les dix lépreux. “Encore un miracle !”
 

 Quand j’ai reçu le mail avec la phrase ci-dessus, j’ai compris que la compréhension sur l’Evangile  s’était à nouveau bloquée, comme pour un coureur dont la respiration s’arrête brutalement : impossible d’aller plus loin. Et pourtant, il y a tant à découvrir, ne serait-ce qu’en faisant un dessin des différentes scènes, puis en relisant la parole de Jésus à chaque étape. Tout d’abord, il ne se passe rien : pas de geste, pas de parole de guérison, seulement Jésus rappelle les principes de la Loi. Toute personne atteinte de maladie de peau avait le devoir de se signaler auprès des autorités religieuses. Elles seules pouvaient déclarer guéris (redevenus purs) les malades qui se présentaient à elles.

 

Oasis sur le chemin Oasis sur le chemin  

Les lépreux ont croisé Jésus à distance et chacun a poursuivi son chemin. Les dix se découvrent purifiés (guéris). Neuf continuent leur chemin vers le Temple, un seul se retourne vers le rabbi Jésus. C’est en méditant cette attitude que Luc va tirer une leçon pour ses lecteurs : ce lépreux guéri est un étranger, pire, un samaritain ! Or c’est lui qui se tourne vers Jésus, glorifiant Dieu et rendant grâce à Jésus. Voici donc la conclusion de Jésus : “relève-toi, ta foi t’a sauvé”. Jésus ne s’attribue même pas la guérison. Cet homme se trouve sauvé, c’est-à-dire réconcilié avec Dieu. Impur et étranger, que pouvait-il y avoir de pire aux yeux des disciples de Moïse ? Jésus avait pourtant annoncé la couleur en rappelant que Dieu avait choisi Naaman le Syrien (homélie à la synagogue de Nazareth ch. 4). Quand nous aurons lu les Actes des apôtres, nous comprendrons mieux le message de Jésus que Luc s’efforce de communiquer au monde entier…la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu est pour tous. “Les païens, eux, entendent la Parole de Dieu et se convertissent” (Cf. Actes 28,28). Luc, à regret, ne pouvait en dire autant à propos du peuple élu qui sans cesse refuse d’accorder crédit à Jésus.

 

 

Comment comprendre ces phrases en 17, 32-37?

  • Deux personne seront dans le même lit : l'une sera prise, l'autre laissée.
  • Deux femmes seront ensemble en train de moudre du grain, l'une sera prise, l'autre laissée.
  • Ou sera le corps là se rassembleront les vautours

 

Ces versets 17, 20-37 sont un enseignement donné par Jésus en réponse à une question sur la fin des temps, question posée par des pharisiens. La réponse de Jésus se situe dans le langage qu’on appelle apocalyptique. C’est une littérature pour temps de catastrophe, qui s’est développée dans les 150 dernières années avant Jésus, suite aux persécutions contre les juifs au temps des Maccabées. Cette littérature a perduré au cours du premier siècle (l’Apocalypse de Jean et quelques passages des évangiles).

 

Pour parler de la venue du jugement de Dieu, les juifs ont souvent utilisé les images de catastrophes comme cela se passe en temps de guerre… “Comment se fait-il que l’une soit prise et pas l’autre ?” C’est une manière de dire qu’on ne sait rien dire de ce que peut être l’avenir. Sauf que, dans les apocalypses chrétiennes, dans les évangiles et l’apocalypse de Jean, c’est une invitation à espérer : ce n’est pas la fin, après cela il y aura un avenir. Oser écrire quelque chose pour ranimer une espérance morte, c’est ce qu’ont osé les écrivains apocalyptique.

 

Ainsi Luc ici, en 17, 20-37, et plus encore au ch. 21, 5 à 36. Une nuance qu’on ne remarque pas toujours au ch. 21 : la venue du Fils de l’homme, c’est “après cela”, et non dans cet évènement ; on est appelé à tenir debout jusque là, à veiller et prier pour tenir debout devant le Fils de l’homme. La dernière phrase reste énigmatique “Où sera le corps là se rassemble les vautours”. Peut-être est-ce un proverbe : là où il y a de la mort, là se rassemblent les charognards (pensez à La Faute-sur-Mer, par exemple). N’est-ce pas une mise en garde de Jésus pour signifier que notre tentation serait d’aller voir où il y a des signes de mort, au lieu de nous tourner vers les signes de vie… A quoi sommes-nous attentifs, dans notre vie, dans nos relectures de la vie du monde : où il y a de la mort, ou bien où il y a de la vie ?

 

 

Où sera le corps, là aussi les vautours se rassembleront. 17,37.

 

Cette parole vient en finale d’un échange assez polémique sur la venue du Royaume, la fin des temps souvent mise en rapport avec les catastrophes. La phrase a la forme d’un proverbe à entendre sous la forme : “ la présence de vautours en foule est signe de la présence de cadavre”. Vous cherchez des signes de la venue du Royaume de vie,… ce n’est sûrement pas dans les lieux de mort que vous les trouverez ; on ne sera pas prévenu d’avance ! Lorsqu’on dit le Fils de l’homme est ici, il est là, n’y allez pas. Vous savez bien que que les foules se rassemblent à la moindre annonce d’évènement quelque peu « exotique ». Récemment on a bien fermé les routes menant à La Faute sur Mer pour éviter que les foules ne se repaissent du malheur des autres. Le croyant a autre chose à faire. Cet “autre chose”, c’est le service du frère et l’action de grâce.


Des images évocatrices de guerre sont bien connues de Luc et des juifs des années 70-80. Ils ont connu -ou on leur a rapporté- les scènes terribles du siège et de la destruction de Jérusalem. Nous pourrons en reparler avec la section suivante.

 

Pourquoi Jésus a-t-il choisi Zachée ?
 

 

Derrière, la maison de Ben Gourion. Sycomore Israël  
Derrière, la maison de Ben Gourion.
Derrière, la maison de Ben Gourion.
Qui choisit qui ? Jésus ou Zachée ? Ce court récit est une pure merveille comme construction littéraire. Il est aussi d’une concision extrême pour dire qui est Jésus. D’abord le personnage de Zachée, nous sommes trop habitués à écouter cette histoire pour remarque qu’il fait partie des notables, des riches, et même très riches : Luc précise collecteur d’impôts “chef”.

 

En disant qu’il est de petite taille, comme excuse pour grimper à l’arbre, Luc ne dit-il pas en même temps que cet homme se sent le dernier des derniers à pouvoir rencontre le rabbi, l’homme de Dieu qui passe. Voici encore un renversement de situation, tout comme l’avait chanté Marie : du plus petit des hommes il en fait son ami ! (paraphrase du magnificat). Jésus choisit le plus petit pour s’inviter chez lui. Or cet homme avait beaucoup de biens.

 

De la discussion entre Zachée et Jésus nous ne savons rien, mais des conséquences de la rencontre, que oui ! Zachée devient l’homme du partage, du don en abondance ! Alors tombe la conclusion, la leçon de l’histoire en deux phrases : “Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu”.

 

En disant de cet homme que lui aussi est un Fils d’Abraham, Jésus remet les pendules à l’heure, en particulier pour ceux qui savent qui est bon et qui n’est pas bon. Aujourd’hui le salut est entré dans cette maison… aujourd’hui n’est pas un mot innocent dans la bouche de Luc. Il suffit de se rappeler aujourd’hui un sauveur vous est né disait l’ange aux bergers, maintenant, en fin d’Evangile c’est Jésus qui reprend l’affirmation et complète ce pourquoi il est venu : chercher et sauver ce qui était perdu”. La manière de faire de Jésus est à l’opposé de celle de bien des bons pratiquants de toute religion, qui pratiquent d’abord l’exclusion et la condamnation. C’est sur ce chemin de la rencontre qu’il faut suivre Jésus. En Marc, c’est l’aveugle qui suit Jésus sur le chemin alors que les disciples l’avaient écarté du chemin où devait passer Jésus. (Marc 10, 52).

 

 

Dans une maison d'Evangile, certains ont été scandalisés à la lecture de Luc 19-11à27

 

  • -Pourquoi Jésus prend-il comme exemple l'argent qui fait tant de mal dans le monde ?
  • - Pourquoi fait-il mettre à mort les mauvais serviteurs ?

Cela paraît incompatible avec le message d'amour de l’Evangile.

 

Ces personnes se sont étonnées, à juste titre, par ces paroles qui ne ressemblent pas à l’enseignement habituel de Jésus. Il est peu probable que Jésus veuille la mort du pécheur.


Première réflexion Cette parabole sur les mines arrive après la fin de l’enseignement sur Jésus, au bout du chemin, après Zachée où l’on vient d’affirmer que le Fils de l’homme (Jésus) est venu chercher et sauver ce qui est perdu. Dans la construction de l’Evangile, c’est le moment où Jésus va entrer à Jérusalem, être proclamé comme roi, fils de David (relire 19, 29-40 et, en parallèle, 1 Rois 1, 28-40). Luc (ou plutôt l’Eglise du temps de Luc) a inséré, ajouté un “récit d’intronisation royale” avant l’entrée à Jérusalem. C’est une manière de penser à “Jésus à la fin des temps” à la manière de Matthieu ch. 25, 31-46 et son jugement dernier où certains seront exclus du Royaume. Cette dernière parabole est-elle pour condamner ou pour appeler à un dernier sursaut avant exécution ?

 

Deuxième réflexion. Luc semble s’inspirer de l’histoire de l’intronisation du roi Archélaüs, fils d’Hérode. Il était allé à Rome pour se faire introniser roi par l’empereur. Il obtiendra seulement le titre de tétrarque (gouverneur sur ¼ du royaume). On imagine sa fureur. Or, pendant son absence, certains ont comploté contre lui. A son retour, il règle ses compte, c’est-à-dire qu’il fait exécuter ses opposants. Ceci se passait au tournant du siècle, dans les années 20 et les juifs ont du raconter, bien longtemps après, ce massacre.

 

Conclusion. En reprenant cette histoire en forme d’allégorie, est-ce que Luc veut présenter Jésus, comme un despote à l’image d’Archalaüs… c’est peu probable, compte tenu de ce qui vient d’être dit chez Zachée. Cette parabole, considérée comme un ajout au texte de Luc est comme une mise en garde des premiers chrétiens envers ceux qui ont comploté contre Jésus (penser aux bagarres dans les Actes des apôtres). Cette dernière parabole est donc à interpréter avec prudence, car elle ne correspond pas au ton de l’ensemble de la Bonne Nouvelle dont Luc est porteur. Au temps des premiers chrétiens, tout comme aujourd’hui, il y a eu des gens pour mettre en garde, pour trouver que Jésus est trop généreux : l’évangile de la miséricorde, oui dit-on, mais il y a des limites ! Pour nous sans doute, pas pour le Dieu de Jésus-Christ. Pour nous en convaincre, relisons les parabole sur le perdu et retrouvé et le père prodigue. (Luc 15.)

 

Pourquoi Jésus prend-il comme exemple l'argent qui fait tant de mal dans le monde ?

 

L’argent qui fait tant de mal. Jésus prend l’argent comme exemple, tout à la fois pour signaler qu’il y a beaucoup de bons serviteurs, et un dixième qui n’ait rien fait. Peut-être qu’on a déjà, oublié le début de la parabole ? Il y a bien d’autres paroles de Jésus concernant l’argent. Y compris l’utilisation de l’argent trompeur pour se faire des amis. Jésus loue l’habileté de ce serviteur (et non sa malhonnêteté comme on le pense trop souvent). Aujourd’hui comme hier, on pourrait reprocher aux disciples d’être bien moins habiles pour les affaires du Père que d’autre, les fils de ce monde, pour les affaires de ce monde.


N’oublions pas enfin que le rapport à l’argent aujourd’hui a bien changé par rapport à ce qu’il était au temps de Jésus. Au temps de Jésus et chez les romains, l’argent était perçu comme un moyen de redonner (redistribuer) à ceux qui n’ont pas de quoi subsister, à ceux qui n’ont pas été gâtés par les dieux (cf. le clientélisme ou l’évergétisme. Voir dictionnaire). Jésus ne reproche pas la richesse. Ce qu’il reproche c’est d’abord le risque de ne pas pourvoir entrer dans le royaume, tout comme un chameau trop bien chargé, qui ne passe pas la porte. Ce qu’il reproche aussi c’est de ne pas utiliser cet argent pour le service des pauvres (ch. 16, 19 : Lazare et le pauvre ; 12,16 : le riche insensé).

 

 Aujourd’hui, avec ce couverture caritas inveritate couverture caritas inveritate  qu’on appelle la financiarisation, le rapport à l’argent est devenu “l’argent pour l’argent”; ce n'est même plus l’argent pour réinvestir ! Les pratiques d’aujourd’hui sont bien loin de la doctrine sociale de l’Eglise et de l’affirmation sur la destination universelle des biens. Benoit XVI y est revenu dans l’encyclique Caritas in Veritate (§ 25, 32, 40) : “La dignité de la personne et les exigences de la justice demandent, aujourd’hui surtout, que les choix économiques ne fassent pas augmenter de façon excessive et moralement inacceptable les écarts de richesse et que l’on continue à se donner comme objectif prioritaire l’accès au travail ou son maintien, pour tous”.