CHAGALL
L'AUTOPORTRAIT A LA PENDULE
L’autoportrait à la pendule
Chagall et le Crucifié, 1947
Le tableau nous surprend. On s’attendait par le titre à voir Chagall se représenter seul, or il est ici accompagné de nombre des symboles qui lui sont familiers : la palette, son animal, la fenêtre, le buisson, la pendule anthropomorphe, le tableau dans le tableau qui représente le crucifié revêtu du talith et la fiancée de la robe de noces. On voit de plus dans le tableau du Crucifié les symboles qui reviennent souvent dans l’œuvre de Chagall : le chandelier, Vitebsk, le croissant de lune, le coq. En fait, il s’agit, à la manière de Chagall, d’un autoportrait intérieur. Décrypter le tableau nous fait entrer dans l’univers chagallien.
La surface rouge attire notre regard au centre du tableau. Autour de la diagonale qui le traverse, les deux visages du peintre et de l’âne ne disposent que d’un œil chacun, comme si le peintre ne pouvait voir que dans l’unité qu’il forme avec l’animal. Les visages du Christ et de la fiancée, dans le tableau face à eux, sont parallèles aux visages du peintre et de l’animal ; ils ne se regardent pas : le peintre contemple le tableau dans sa vision intérieure.
L’autoportrait à la pendule date de 1947. A cette date, la mort subite de Bella, le 2 septembre 1944, la femme follement aimée, terrasse Chagall : « Tout est devenu ténèbres ». Dans son atelier, il retourne les tableaux contre le mur. Il lui faudra attendre neuf mois pour retrouver l’énergie de peintre. L’autoportrait à la pendule témoigne du deuil que fait Chagall. Bella reste vivante, elle l’accompagne dans la douleur. Chagall, le peintre identifié à son animal, peut, dans la sérénité retrouvée, peindre Bella, l’éternelle fiancée, qui console le « crucifié Chagall ».
La figure du crucifié parcourt l’œuvre de Chagall, mais elle est particulièrement émouvante à cette période. C’est que Chagall vit au plus profond de lui le drame de la shoah qu’avec Bella il avait pressenti douloureusement dès 1935. Le Crucifié du tableau représente aussi le peuple juif, qui, comme Chagall, retrouve en sa conscience la force rédemptrice. Bella devient la figure de l’âme du peuple juif.
Par la fenêtre et buisson derrière lui, Chagall manifeste qu’il retrouve la sérénité en se reliant au vaste univers ouvert sur l’amour. Cet amour,-pendule anthropomorphe dans le ciel du tableau, dépasse le temps qui passe : il ouvre sur l’amour qui ne passe pas.
L’autoportrait à la pendule pourrait s’intituler « La sérénité dans l’épreuve », ou « Prière à Bella », il nous fait saisir les étapes par lesquelles a passé celui que l’on peut appeler « le poète et le peintre de la paix ».
Louis Ridez 20/02/13