Fiche 9, Jean ch. 10

L'aveugle guéri accède à la foi. Jésus porte du bercail. Contestations

Jésus berger.

La fête de la dédicace, tensions avec les Juifs

 

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Siloé Siloé  La coupure de l’été a pu nous éloigner des précédentes lectures. Les ch 9 et 10 sont la suite directe des chapitres 5 à 8 où s’est révélé l’identité de Jésus. Il y a eu affrontement de Jésus devant “les Juifs” qui le traitent de blasphémateur, qui veulent le lapider.  pour avoir signifié que lui et son Père ne font qu’un, qu’il fait les œuvres de son Père. Jésus a repris pour lui l’affirmation faite à Moise, au buisson ardent : “Je suis” (Exode 3, 14). Lors des discussions du ch.9, Jésus n’est pas présent. Seul l’aveugle-né guéri résiste aux Juifs et donne son témoignage et sa foi en Jésus. C’est la figure du catéchumène. Par sa réponse “Je crois”, il entre dans l’Eglise. Jésus précise : “Je suis la porte, je suis le berger”. Ici encore, il y a de la polémique, avec la parabole de l’enclos et de la porte, avec les brigands et le bon pasteur… Le troupeau représente ceux qui ont mis leur foi en la parole de Jésus (les premiers chrétiens). Ils sont objet de l’appétit des ‘mauvais bergers’ qui n’ont pas reconnu l’œuvre de Dieu et ne les ont pas conduits sur le chemin vers le Père. Seul le Christ est le vrai berger, la porte par où passer.

 

Lecture d’ensemble

Chaque année, lors du 4ème dimanche de Pâques, la liturgie nous donne à entendre, sur trois années, des extraits du chapitre 10, détachés les uns des autres et de leur contexte. Nous avons en mémoire certaines images du bon pasteur et de la brebis égarée, selon Matthieu, Marc ou Luc. Ici ce n’est pas la même image. C’est d’abord la porte, invitation à ne pas se tromper au milieu des sollicitations. Ensuite allusion à un espace de liberté, le bercail, où l’on peut aller et venir, entrer et sortir avec le berger. Le bercail n’est pas un lieu d’enfermement. Brigands et mercenaires sont probablement les Juifs hostile à Jésus et aux chrétiens. De semblables accusations se retrouvent dans la parabole des vignerons homicides.

 

Jésus s’adresse aux autorités, sous forme de parabole. Elle parle d’un enclos et d’un brigand qui saute la clôture pour s’accaparer des brebis sans passer par la porte, ou encore de mercenaires. Jésus précise les relations entre les brebis, la porte et leur berger : elles entendent le son de sa voix, mais elles fuient la voix d’un étranger. Comme bien souvent les auditeurs ne comprennent pas le sens de l’histoire. D’où un début d’explication : “Je suis la porte dit Jésus ! Je suis venu pour que les brebis aient la vie en abondance... Je suis le bon berger…” La voix suffit à le reconnaître.

 

Une parabole. Jésus prend appui sur la vie ordinaire, et invite à déplacer le regard vers une dimension spirituelle. Les Juifs connaissaient les pratiques pastorales : plusieurs familles peuvent confier à un unique berger leurs brebis. Le troupeau parcourt le pays, (avec des risques) ; les brebis n’approchent pas de l’étranger, mais savent reconnaître chacune leur maître… Jésus n’ignore pas que l’image du berger et du troupeau est fort utilisée par les prophètes pour évoquer le troupeau de Yahvé que de mauvais bergers (les rois et les mauvais prophètes) ont égaré et maltraité. Relire Ezéchiel 34. Jésus vise sans aucun doute les actuels chefs du peuple et les autorités juives de son temps : ‘est-ce pour nous que tu parles ?’ Au-delà de la polémique, Jésus parle de sa relation aux brebis et à son Père. Une parabole est une histoire qui invite à penser au-delà de l’image. Laporte et le portier, le berger et le troupeau, le voleur et le mercenaire, chaque élément de la description a son  importance. Il nous faut les associer pour construire le sens de la parabole.

 

La porte a pour fonction de garantir l’accès à l’enclos, ce que fait le Christ, à la différence du mercenaire qui s’enfuie devant le danger. Les brebis peuvent aussi entrer et sortir de l’enclos (ce qui ne ressemble pas au modèle des sectes). Pour nous aider dans la lecture, il faudrait se demander comment est décrit le rôle de chacun : la porte, le berger, le voleur, le mercenaire, la brebis ou le troupeau… On pourrait même faire des cases sur une feuille, une pour chaque élément et y accumuler ce qu’on a repéré. Cette manière de faire éclaire le sens du texte. Bientôt il est question du Père (v.15). Alors se profile la mission universelle de Jésus (les brebis hors de l’enclos) et le risque de mort (je donne ma vie pour mes brebis) : ce n’est pas une fatalité mais un choix ; ce n’est pas une expiation, mais un don pour qu’elles aient la vie ! Tel est l’éclairage que Saint Jean nous donne sur la passion à venir de Jésus.

 

Nouvelles ruptures avec les Juifs, aux versets 19 et 31.

La parabole et son explication ont semé la division chez les Juifs au sujet de Jésus (v. 19-21). Jésus est interpellé une nouvelle fois dans le Temple, cette fois-ci lors de la fête de la Dédicace ou Hanoukkah. Jésus affirme à nouveau qu’il fait les œuvres du Père, jusqu’à dire “Moi et le Père nous sommes un”. Pour le Zoom (v. 31-39), nous avons choisi le dernier “moment d’explications” entre Jésus et les Juifs. Ce chapitre 10 montre que Jésus est l’intermédiaire obligé entre le Père et les brebis.

Question annexe : dans les chapitres 5 à 12, où est-il question des Douze apôtres, que font-ils ? Jean semble très discret. Réponse en fin d’année.

 

Zoom 10, 31-39 L’identité de Jésus contestée

Avec ce zoom se termine le cycle du ministère de Jésus à Jérusalem.

C’est aussi le dernier dialogue de Jésus avec les Juifs. L’accusation et l’interrogatoire portent sur deux points :

  • a) 24-31 : la question de la messianité de Jésus : “Si tu es le Christ, dis-le nous ouvertement !”. Jésus renvoie aux œuvres qu’il a faites (l’ensemble de sa vie : paroles, enseignements et signes). Mais, pour ceux qui refusent de faire partie du troupeau, il est impossible de comprendre et de croire. Le lien des brebis à Jésus et de Jésus au Père est encore affirmé. Jésus ne peut le dire plus clairement : “Moi et le Père nous sommes un”. Cette phrase condamne définitivement Jésus, mais un nouvel et ultime échange de l’interrogatoire est provoqué par Jésus pour obliger les Juifs à justifier leur rejet.
     
  • b) 32-39 l’identité de Jésus, son lien avec Dieu. Tout a déjà été dit : “Toi qui es un homme, tu te fais Dieu”. Le renvoi aux Ecritures, le renvoi aux œuvres accomplies, tout cela ne débouche sur rien. (Après l’an 70, l’exclusion hors de la synagogue des chrétiens par les pharisiens sera justifiée par l’affirmation des chrétiens que Jésus vient de Dieu).

 

Le verset 33 explique le blasphème, par un malentendu fondamental entre les Juifs et Jésus (et, à leur suite entre Juifs et chrétiens). “Toi qui n’es qu’un homme, tu te fais Dieu”. Or toute la foi chrétienne exprime l’inverse : Dieu s’est fait homme. Dès le prologue : “Dieu, le Verbe s’est fait chair”. La théologie parlera d’incarnation et non de divinisation. Peut-on comprendre que Dieu s’intéresse à nous à ce point ?

 

Vous êtes des dieux…

Pour priver de fondement de l’accusation de blasphème portée par les Juifs, Jésus reprend une citation de l’Ecriture, et utilise les techniques de raisonnement de l’exégèse de l’époque. Puisque l’Ecriture (c’est-à-dire Dieu) nomme dieux tous ceux qui reçoivent la Parole, on ne peut pas accuser de blasphème un fils d’Israël (Jésus) qui se dit fils de Dieu, en conformité avec le psaume 82,6 : “Je le déclare, vous êtes des dieux, vous êtes tous des fils du Très-Haut”. Associées à l’Ecriture, les œuvres de Jésus sont à recevoir comme témoignages de qui il est. Les œuvres, ce ne sont pas seulement les signes ou miracles, mais tout ce qui fait la vie de Jésus. On a le même type de raisonnement dans les synoptiques lors d’une discussion sur l’origine des guérisons. Cf. Matthieu ch. 12, 24 et suivants). Les adversaires refusent l’affirmation de Jésus et veulent l’arrêter… une fois encore ! Jésus passe alors de l’autre côté du Jourdain. On viendra le rechercher au moment de la mort de Lazare.

 

L’usage de la citation ‘Vous êtes des dieux’. L’argumentation de Jésus peut nous surprendre. Les règles exégétiques ne sont pas les mêmes hier et aujourd’hui, en particulier pour l’utilisation et l’interprétation d’expressions tirées de l’Ecriture. Ce type de raisonnement est aussi présent dans les lettres de Paul et les Actes ; cela peut nous sembler fondamentaliste, trop littéral. Ceci peut nous aider à comprendre que la civilisation et les modes de raisonner peuvent changer entre 20 siècles de distance. Ici, la compréhension n’est pas trop difficile. Nous aurions peut-être raisonné autrement… mais saint Jean et Jésus parlent et raisonnent selon les mentalités des gens de leur temps, pas avec notre logique du XXIème siècle. .

 

Nous avons l’impression de répétition dans les débats avec les Juifs… N’oublions pas que ce chapitre 10 constitue la fin des discussions de Jésus avec les autorités juives. Jésus repart au bord du Jourdain. Jean (reprenant les paroles de Jésus) résume, rassemble dans ce chapitre ce qui est le cœur de la rupture entre le judaïsme et christianisme en germe. C’étaient déjà affirmé aux premières lignes de l’Evangile : le Verbe vient de Dieu et il est Dieu… Il vient pour renouer l’alliance de Dieu avec son peuple (les noces de Cana) et même surpasser Moïse. Les pharisiens ne peuvent pas l’accepter. Le Verbe, Parole de Dieu est reçu et n’est pas reçu. A ceux qui l’ont reçu, petit troupeau qui devient grand, le Verbe révèle Dieu, il donne de devenir enfants de Dieu. (Jn 1, 12-13)

 

Pour aller plus loin

Ezéchiel et les mauvais bergers.

“Mauvais berger” est une accusation fréquente dans l’Ecriture. On peut lire en Ezéchiel 34, 3-5 : “Vous n'avez pas fait paître le troupeau. Vous n'avez pas fortifié les brebis chétives, soigné celle qui était malade, pansé celle qui était blessée. Vous n'avez pas ramené celle qui s'égarait, cherché celle qui était perdue. Mais vous les avez régies avec violence et dureté. Elles se sont dispersées, faute de pasteur, pour devenir la proie de toute bête sauvage ; elles se sont dispersées”. C’est un des nombreux textes de l’ancien Testament sur le thème du berger. Jésus n’est pas plus dur que ne le furent les prophètes. Voir Isaïe 40, ou Jérémie 31, ou les psaumes 23, 78, etc.

 

C’était l’hiver… Encore un de ces détails sur lesquels nous ne nous arrêtons pas et sur lesquels les pères de l’Eglise ont prêté attention (comme la nuit pour Nicodème ou le midi pour la Samaritaine). De fait, la fête de la Dédicace avait lieu en décembre. Appelée aussi Hanoukka, ou fête de la Lumière, elle célébrait la restauration et la purification du Temple après sa profanation au 2ème siècle (Cf. Livre des Maccabées). Saint Augustin voit dans cette notation du froid une dimension symbolique : “C’était l’hiver, et leurs cœurs étaient froids, parce qu’ils étaient lents à approcher le feu divin, car pour l’approcher, il faut croire. Celui qui croit s’en approche, celui qui refuse de croire s’en éloigne.” Le climat entre Jésus et les autorités juives est devenu glacial. Désormais quand les autorités seront citées par Jean, c’est pour signaler leurs pensées meurtrières.

 

L’utilisation de citations de l’Ecriture, hier et aujourd’hui. Jusque dans les années 1960, les théologiens et prédicateurs ont pu utiliser des extraits de l’Ecriture, comme on extrayait les pierres d’une carrière, en vue de leur faire dire ce qui correspondait à leur pensée, sans trop tenir compte du contexte dans lequel cette phrase avait été écrite. Il en était ainsi dans l’Ecriture. Benoit XVI a plusieurs fois a rappelé les nouvelles exigences, quand on emprunte aux Ecritures, de tenir compte de la communauté d’origine du texte et de la communauté de lecteurs aujourd’hui, afin de ne pas faire dire n’importe quoi à une citation. Vers 1970, Congar, à propos des conférenciers, parlait de “citations ornementales”, utilisées pour donner du style à leur conférence. Nous étions loin d’être fidèles à l’intention des autorités citées.

 

Progression de la pensée de Jean : Avec la lecture continue depuis un an, nous avons pu mieux découvrir que Jean développe sa pensée sur plusieurs chapitres. Tout est dit dans l’introduction (1, 1-18) mais le développement se fait par la suite, en particulier dans les grands discours des chapitres 5 à 9. On peut considérer les dernières lignes 10, 24-39, comme une synthèse concernant la compréhension que la communauté de Jean avait de Jésus. Le Verbe, Lumière, s’est fait chair pour que nous devenions enfants de Dieu. Cette démarche n’a pas été comprise “et les ténèbres ne l’ont pas saisie”. A ceux qui l’ont reçu…

 

Jean et le lectionnaire. Lors de la mise en place du lectionnaire pour la Liturgie de Paul VI en 1969, il a été prévu trois années (A, B, C) pour Matthieu, Marc et Luc. Des textes de saint Jean ont été disséminés dans la liturgie de ces trois années, ce qui rend plus difficile de saisir l’ensemble de la pensée de Jean à partir du seul Missel. Il ne faut pas s’en étonner. Lecture liturgique et méditation d’un texte dans sa continuité, cela n’a pas le même but. C’est à chacun de nous que revient d rassembler, de réunir les éléments dispersés.

 

Parole d’humoriste. Regardant la désaffection des fidèles vis-à-vis des églises et le soin apporté par les clercs envers ceux qui étaient restés, un humoriste se demandait s’il ne fallait pas relire la parabole des 99 brebis autrement (Luc 15) : le Christ aurait laissé dans l’enclos l’unique brebis pour courir à la recherche des 99 autres brebis. Bien sûr nous n’en sommes pas encore là…, mais saurons-nous entendre l’appel de Jésus : j’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos. Celles-là aussi, il faut que je les mène.

 

Prier la Parole

Avec Jésus notre berger.

 

Toi, le Christ,

Tu te charges de ce qui nous charge,

Au point que, débarrassé de ce qui alourdit notre existence,

Nous reprenions à tout moment la marche légère

De l’inquiétude vers la confiance,

De l’ombre vers la clarté de l’eau vive,

De notre propre volonté vers la vision du Royaume qui vient.

Alors, bien que nous osions à peine l’espérer,

Tu offres à chaque être humain

D’être un reflet de ton visage.

Frère Roger (Taizé)

 

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Article publié par Emile Hennart - Maison d'Evangile • Publié • 2768 visites