Apprendre à comprendre

Eglise d'Arras n°17

 

L’accélération du temps est souvent exprimée par “que le temps passe vite !”. A cette impression il faudrait associer la rapide transformation des moyens de communication. L’ère du tweet, du facebook et l’envoi de séquences vidéo a modifié l’art de communiquer. La littérature ordinaire serait-elle devenue une succession de petites phrases échangées, tweetées ou, plutôt, envoyée à la figure de l’autre, ami ou ennemi. Les récentes déclarations du philosophe Luc Ferry contre la BFMisation de l’information vont dans le même sens : il ne suffit pas d’asséner avec une répétitivité désarmante les mêmes affirmations pour qu’elles deviennent vérité.

 

En choisissant le titre « Apprendre à comprendre…. », il y a invitation à vérifier quelles sont nos attentes au moment où tant d’opinions sont diffusées rarement vérifiées ou justifiées. Avoir beaucoup de « like » suffit-il à faire d’une opinion une vérité ?

 

Le retour des fondamentalismes, qu’ils soient islamiques ou chrétiens, ou juif, illustre la difficulté de certaines générations à comprendre de où l’on vient, où l’on va. “Y’a rien à comprendre, c’est comme çà !”, dit-on parfois et l’on voit fleurir telle ou telle phrase extraite d’un long récit (biblique ou coranique) pour en faire une norme que Dieu aurait décidé de toute éternité. Le coran ou la Bible sont appelés à la rescousse pour défendre telle ou telle affirmation, oubliant l’insertion d’une parole, d’une phrase dans le contexte d’un récit lui-même inséré dans une histoire, celle de son auteur, celle de son entourage, celle de la civilisation qui l’a vu naître. Et la compréhension de ces bouts de phrase dépend de l’histoire du lecteur et de l’entourage dans lequel il se trouve inséré. Le long discours de Benoit XVI chez les Bernardins en 2007 appelle au travail d’interprétation pour comprendre.

La culture et l’accès aux savoirs ont souvent dérangé certains pouvoirs, au point qu’il y eut des autodafés, des destructions de savoirs acquis longuement et patiemment, que ce soit au temps du nazisme, que ce soit chez les Khmers ou les islamistes de Tombouctou, que ce soit dans le passé des chrétiens au temps de l’Inquisition. Quand les pouvoirs en arrivent à considérer les progrès comme venant du diable, n’y a-t-il pas refus du don d’intelligence que Dieu a confiée aux hommes pour qu’ils s’en servent ?

 

Apprendre à comprendre et apprendre à savoir faire sont tous deux nécessaires. Deux mots du dictionnaire expriment la différence : l’apprentissage et l’initiation. Dans l’urgence on donne priorité à l’apprentissage, aux savoir-faire et l’on voit se développer des parcours techniques en vue de… Pourtant l’on voit aussi se développer des parcours fondamentaux, en exégèse, en théologie, en sciences humaines (quoi que certains courants de l’Eglise d’aujourd’hui s’en méfient). On demandera des parcours de préparation au baptême, au mariage, aux funérailles… mais qu’est-ce que le baptême, le mariage, la mort ?

 

Lorsqu’on voit le parcours torturé de Péguy dans sa recherche de sens à l’existence, la multiplicité des chemins qu’il a parcourus (de la défense de Dreyfus au bellicisme, du christianisme de son enfance à la découverte de l’art des cathédrales, mystique et vivre-ensemble, etc.), alors on peut comprendre ce que signifie « chercher l’intelligence de la foi ».

 

C’est à cela que s’attèlent bien des chrétiens dans les parcours de formation. Catéchèse et catéchuménat aiment parler d’initiation… ce ne sont pas des apprentissages, c’est autre chose. Beaucoup de nos lecteurs ont une responsabilité dans le faire, mais ils n’oublient pas qu’ils ont aussi à approfondir leurs connaissances, à veiller, avec l’évêque, premier veilleur du peuple de Dieu, pour avoir de la vigilance comme cela était demandé aux prophètes : Jérémie le veilleur, ou Isaïe. Les prophètes avaient mission de guider sur le droit chemin, de rectifier si nécessaire, de discerner… A chacun de nous de prendre la mesure de ce qui dit, diffusé pour en discerner la justesse et l’intérêt pour la conduite des enfants de Dieu dispersés !

Abbé Emile Hennart