Je ne sais pas

Édito de Monseigneur Jaeger - Eglise d'Arras n°5 - Mai 2020

Mgr_Jean-Paul_Jaeger,_eveque_d'Arras Mgr_Jean-Paul_Jaeger,_eveque_d'Arras  Les semaines de confinement peuvent paraître bien longues à certains. En ce domaine, comme en tant d’autres, les inégalités crèvent les yeux. Cette exigence sanitaire fait apparaître, une fois de plus, que notre société se construit sur des différences qui handicapent toujours les plus

pauvres et les plus faibles.

Un virus ignore les distinctions sociales, mais la parade qu’on lui oppose est bien fragile quand les moyens humains, matériels, financiers et technologiques font défaut.

L’épreuve que traverse le monde bouleverse les ordres établis qui finissent toujours par faire consensus, malgré les revendications et les remises en question occasionnelles vite renvoyées à la marge par quelques concessions ou aménagements. La réalité nous ouvrira peut-être les yeux.

Depuis quelques semaines, il apparaît clairement que des catégories de personnes, de professions, souvent oubliées, négligées, parfois même méprisées, sont indispensables au fonctionnement concret et quotidien de l’existence commune.

Nous ne pourrons plus, à l’avenir oublier les applaudissements de 20 heures, comme on a naguère bien vite renié les embrassades réservées aux représentants de l’ordre, au moment des attentats terroristes.

Retiendrons-nous que la qualité d’une société dépend d’abord de l’heureuse harmonie et reconnaissance entre tous ses membres appelés à être honorés et respectés à part égale ? Nous avons tellement répété après chaque gros coup que demain ne serait plus comme hier, qu’il est parfois difficile de nous croire nousmêmes.

Les forces, les puissances, les influences reconquièrent tellement vite le terrain un moment abandonné !

Jour après jour, nous apprenons à prononcer l’imprononçable.

Nous sommes ébranlés presque scandalisés quand nous entendons dire ou répéter nous-mêmes : « Je ne sais pas. » Dans les premiers jours de la crise, chaque spécialiste assénait sa vérité, immédiatement confrontée à une autre vérité. Il a fallu le temps et l’expérience pour reconnaître que le Covid-19 est un inconnu rebelle et que personne ne peut présumer de ses ravages. Les discours de ceux qui savaient et donc parlaient ont fait place au doute, à la réflexion, à la recherche.

Il faut beaucoup de modestie et d’humilité pour reconnaître que rien n’a été prévu, envisagé, anticipé et qu’il est maintenant urgent de courir après les événements avant qu’ils ne se retournent contre nous ! Il n’est pas facile d’admettre que l’humanité n’a pas su ou

voulu voir la proximité d’un fléau susceptible de lui échapper. Son attention et son intérêt étaient ailleurs.

Les pouvoirs et les peuples, fascinés par la science, la technologie, l’économie et la finance étaient aveugles et sourds. Ils étaient dans l’incapacité de se rappeler et d’admettre qu’un virus peut réduire à néant la certitude inébranlable de la toute-puissance de l’être humain, la suprématie des plus forts, la domination des plus riches.

Un château de cartes s’écroule. Il n’existe aujourd’hui aucun individu, aucune communauté qui ne soit contraint de s’examiner et de se réévaluer au regard d’une réalité qui le dépasse.

 

L’urgence d’une approche écologique avait déjà fait apparaître des lézardes dans la muraille. Ce sont, en ce printemps 2020, des pans de murs qui s’effondrent.

Non, même au XXIème siècle, l’homme ne sait pas tout. Descendant de son piédestal, il ne sera lui-même que s’il reconnaît et accepte ses limites. Il sera grand s’il se laisse gagner par l’altérité de la nature, de la création, de ses semblables et de Dieu.

Nous ne vivons pas l’heure de la vengeance divine. Dieu crée par amour. Il n’a pas envoyé son Fils pour détruire, mais pour relever et faire vivre d’une vie nouvelle. Ces mots de notre foi et de notre catéchisme nous renvoient à un chemin quotidien qu’il faut retrouver ou tracer. Plaise à Dieu qu’au sein de l’Église, nous sachions témoigner de cette nouveauté et en être, à l’appel du Seigneur et à sa suite, les fidèles instruments ! En elle aussi, bien des examens de conscience et des changements de pratique s’imposent. 

 

+ Jean-Paul Jaeger