Sur la paille
Édito de Monseigneur Jaeger - Eglise d'Arras n°11
A nouveau, les marchés de Noël agrémentent de leurs chalets les places principales de nos villes. Les éclairages étincelants suscitent, une fois de plus, l’admiration. La foule se rassemble autour de ces points de joyeuse convivialité. Tout cela pour le ravissement des enfants.
Ne boudons pas notre plaisir. Cette animation arrive à point nommé en la période de l’année où nous devons nous accommoder de la domination de la nuit et de l’obscurité.
D’appétissants calendriers de l’Avent, des crèches installées bien avant l’heure, une superbe tour de la nativité à Arras nous rappellent quand même l’enracinement religieux de cet engouement. Certaines de nos églises bien situées géographiquement seront très visitées. Que se passera-t-il dans les yeux, les oreilles, le cœur des personnes qui feront halte en ces lieux familiers de l’expression de notre foi ? Dieu seul le sait !
L’anticipation et le déplacement des réjouissances permettent peut-être d’accueillir avec plus d’authenticité la venue du Fils de Dieu en notre chair. Celui qui, selon les paroles du cantique était promis depuis plus de quatre mille ans, rate en quelque sorte le rendez-vous : une étable, une mangeoire, des parents paniqués, l’indifférence.
L’aventure débute bien mal. Elle se poursuivra dans la même pauvreté, la même faiblesse et la même humilité qui culmineront sur la croix. Une résurrection triomphale et triomphante aurait pu rattraper le coup ! Il n’en sera rien.
La contemplation de la crèche suscite aujourd’hui l’émotion et l’émerveillement. L’enthousiasme ne doit pas nous cacher la réalité. Bien sûr, ce n’est pas rien d’accueillir le sauveur de l’humanité ! La tradition a embelli et enjolivé Noël, nous ne pouvons pas, pour autant, ignorer que toute la vie et la mission de l’Eglise sont à jamais marquées par le dépouillement et le dénuement du Christ, celui de la crèche, celui de la croix.
Le pape François n’utilise pas beaucoup les emballages-cadeaux. Quand il secoue les somnolences, les engourdissements, les dévoiements, les compromissions, l’affairisme, le carriérisme, il n’oublie pas la générosité, le don de soi, la fidélité de tant de membres du peuple de Dieu ; il débusque la tentation permanente de construire et de bénir des systèmes devenus plus puissants et séduisants que les mystères de la foi qu’ils pourraient éventuellement servir.
Les crèches ne sont pas d’abord des objets d’exposition ou de visite. Les croix ne sont pas que des signes de ralliement ou des bijoux. Les unes et les autres nous emmènent au cœur de notre foi.
Saint Paul écrit aux Corinthiens : « Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. (1) » Ces mots de l’apôtre deviennent ceux de l’Eglise qui reconnaît dans la conversion de l’apôtre le chemin obligé de sa marche et de sa mission marche à la suite et à l’appel du Christ.
Si nous sommes tentés, à notre tour, d’affadir le sens et la réalité de la pauvreté, de l’humilité, de la faiblesse de l’Eglise et dans l’Eglise, l’histoire contemporaine se charge de nous y ramener. Ne craignons pas : dans les périodes les plus sombres de l’Eglise, en dépit de l’indignité de certains de ses responsables, l’Esprit de Dieu a suscité des témoins qui ont porté le message, en imitant le Christ de la crèche, le Christ de la Croix !
L’Eglise parle beaucoup de pauvreté. Elle doit le faire. Elle reconnait Jésus et se reconnaît dans les plus pauvres. Elle sait porter leurs épreuves, faire route avec eux, soulager, pour sa part, leurs souffrances. Si elle ne le faisait pas, elle trahirait le Christ.
En 2018, la confrontation à la pauvreté ne fait que commencer. Faut-il s’en plaindre ? Nous allons attendre, accueillir, célébrer, chanter, prier le Fils de Dieu couché dans la paille et nous redouterions pour nous-mêmes et pour l’Eglise la pauvreté ? Alors, Noël, c’est quoi ?
+ Jean-Paul JAEGER
1- 1èreCorinthiens 1, 25