Père Raphaël Buyse

“C'est un piège de vouloir absolument meubler notre ennui”

Après avoir exercé son ministère pendant 35 ans tambour battant,

 

Raphaël Buyse, prêtre du diocèse de Lille,

 

'est retiré dans un monastère et s'est confronté au vertige de l'ennui.

Il évoque cette expérience comme une ligne de crête... et ce qu'elle lui a enseigné dans le livre « Autrement Dieu »

 

 

 

La vie spirituelle n'est pas là pour remplir un vide existentiel, mais pour ouvrir sur une autre dimension de l'existence.

 

 

 

Je suis le dernier d'une famille de sept enfants, arrivé bien après l'avant-dernier. Mes parents étaient commerçants bouchers et ne prenaient qu'un seul jour de congé dans l'année : le vendredi saint ! Très jeune, j'ai donc dû vivre tout seul. Et cette solitude, quelquefois ennuyeuse, m'a appris à ne rien faire, à rêver, à flâner, à imaginer - c'est l'une des vertus bienheureuses de l'ennui que de booster la créativité de ceux qui s'y livrent.

Mais au fil du temps, j'ai été rattrapé par le chromosome familial de l'hyperactivité ! Pendant des années et des années, j'ai vécu ma vie de prêtre en courant. Il fallait toujours inventer des projets, créer des équipes, lancer des rencontres... jusqu'au jour où j'ai senti que quelque chose ne sonnait pas juste.

 

 

 

Au bout de 15 ans comme responsable de la pastorale des jeunes, un ministère au rythme trépidant, j'ai donc voulu arrêter ma course au remplissage et faire une expérience de vie monastique - elle me fascinait depuis l'adolescence. Je suis allé me poser au monastère bénédictin de Clerlande, en Belgique, avec, peut-être, l'idée d'y rester. Mais alors que j'étais parti pour rencontrer Dieu... il n'était pas là ! Dans la monotonie de mes journées, dans la troublante expérience de son absence, j'ai essayé d'obtenir des réponses : « Dieu, où es-tu ? » En écho, j'entendais : « Es-tu ? Est-ce que tu existes ? Qui es-tu vraiment ? Après quoi cours-tu ? Acceptes-tu de laisser ce vide se creuser en toi ? » Le choc abyssal de l'ennui m'a ouvert l'oreille à ces questions essentielles et quand, l'année suivante, j'ai retrouvé mon diocèse de Lille, je n'étais plus tout à fait le même homme.

 

 

 

Alors que j'étais parti pour rencontrer Dieu en monastère... il n'était pas là !

Comment laisser Dieu creuser en nous le vide pour qu'il soit fécond ?

Le psaume 62 me touche beaucoup : « Dans la nuit, je me souviens de toi et je reste des heures à te parler. Oui, tu es venu à mon secours : je crie de joie à l'ombre de tes ailes. » On peut remplacer « nuit » par « ennui »... Dans la nuit de notre ennui, souvenons-nous des bénédictions de Dieu, faisons mémoire de tout ce que nous avons déjà reçu de nos frères, de nos amis, de nos communautés, dans l'Église et dans tant d'autres lieux. Alors nous pourrons « crier de joie », d'une joie ténue, recueillie. Alors pourra jaillir, de notre ennui saturé de désir, une « lumière noire » selon la belle expression de Madeleine Delbrêl.

 

 

L'ennui serait lié au désir ?

Je m'ennuie parce que je désire quelque chose, et ce quelque chose, j'ai parfois du mal à l'identifier ou bien il me fait défaut, alors cela me travaille. Donc oui, l'ennui est du côté du désir. Alors que l'oisiveté, elle, consiste à ne plus rien désirer, à perdre le goût de tout, à ne pas être en éveil et à se laisser aller.

 

 

 

L'ennui aussi peut être un « démon » - celui de l'acédie dont parlaient les moines. Alors comment discerner le bon du mauvais ?

Il y a un ennui spirituel qui peut étouffer en nous le désir. Perdre le goût de Dieu, ce n'est pas si grave - il ne nous en voudra pas ! Mais perdre le goût des autres... c'est terrible. Si nous sentons poindre ce mauvais ennui en nous, alors nous devons nous remonter les bretelles, taper des pieds au fond de la piscine pour remonter bien vite ! Et si nous le voyons chez un frère, nous avons le devoir de l'aider. La clé de ce combat ? Sortir de soi et regarder l'autre. D'où l'importance aussi, dans ces périodes difficiles, de ne pas avoir peur d'appeler à l'aide, de se faire accompagner. J'ai cette conviction profonde : nous sommes confiés les uns aux autres.

Perdre le goût de Dieu, ce n'est pas si grave – il ne nous en voudra pas ! Mais perdre le goût des autres... c'est terrible.

 

 

 

 

Toute recherche de performances ou de résultats est à bannir dans notre dialogue avec Dieu...

 

Il nous faut faire le deuil d'une performance, d'un retour sur investissement, en effet ! La prière ne donne pas forcément des réponses lumineuses à nos questions existentielles, elle n'est pas toujours un dialogue fou d'amour et ardent avec Dieu. Elle est quelquefois - très souvent - dans un simple « être-là », et Dieu n'attend que ça, que nous nous déposions en Lui, que nous lui fassions le don de notre présence nue. Je suis très touché par ce courant de méditation qui fleurit un peu partout en France et dans le monde. Les chrétiens font souvent la fine bouche en disant : « Ce n'est pas la prière », mais le fait de se mettre en présence et de prendre conscience d'exister est un acte éminemment spirituel ! Ne rien faire, être là, tout simplement.

 

Extrait du journal « La vie » rubrique les essentiels du 23 avril 2020

 

B Henry