Glossaire fiches Laudato Si'

 

 

GLOSSAIRE FICHES LAUDATO SI'

 

 

Anthropocentrisme

L’anthropocentrisme est une vision philosophique ou religieuse qui met l’homme au centre de l’univers et de son devenir. En quoi l’homme est-il unique parmi les créatures ? Non pas comme un despote qui pourrait les utiliser comme de simples objets, qui lui sont « subordonnés » (69), mais en raison de sa dignité particulière d’être doué d’intelligence, ouvert à la réciprocité et au sens d’un bien commun, considérant les créatures pour leur propre valeur à respecter, contempler, déployer. Le troisième chapitre (115, 118, 119, 122) souligne les déviances d’un anthropocentrisme qui néglige la relation avec la terre et les autres êtres vivants. L’enjeu dans ce chapitre est de montrer comment un anthropocentrisme adéquat peur porter à la fois le souci de la terre et des plus faibles parmi les humains. L’homme a la responsabilité d’orienter la terre et de contribuer ainsi à sa propre libération (tout n’est pas parfait, achevé, dans la nature). « La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu […] elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage, de la corruption » (Rm 8, 19-21).

 

 

Autorité politique mondiale

Depuis Jean XXIII, l’enseignement social de l’Eglise, prenant acte du fait que « le bien commun universel pose des problèmes de dimension mondiale » (PT 137), affirme qu’une « autorité politique compétente universelle » est nécessaire pour résoudre ces problèmes. Benoît XVI précise que cette « gouvernance » de la mondialisation doit être pensée non pas d’en haut, de façon technocratique, mais dans le dialogue et l’articulation entre de multiples niveaux et différents domaines de responsabilités. La nécessité d’une « autorité publique […] qui puisse exercer son action sur tout l’étendue de la terre » (PT 137) se fait d’autant plus sentir que l’agenda des questions à traiter au niveau planétaire ne cesse de s’étendre.

Le pape François cite son prédécesseur : « Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour régler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale » (CV 67).

Mais il élargit la perspective, invitant à mener ensemble deux combats trop souvent séparés : la réduction de la pollution et le développement des pays et des régions pauvres. Sa grande préoccupation est la faiblesse des structures politiques en face des forces économiques qui, elles, agissent sans être vraiment contrôlées à un niveau global.

 

 

Bien commun / biens communs

On parle de « biens communs » (au pluriel) pour désigner des enjeux sociaux à l’échelle de la planète. L’usage de ces biens, pour améliorer la vie humaine, dépasse les frontières et concerne aussi bien les générations futures que présentes. Ce sont des éléments de la nature (l’eau, l’air, etc.) partagés entre tous, mais aussi des réalisations comme des découvertes scientifiques, des cultures…

Ils ne sauraient être confisqués par quelques-uns, puisqu’ils représentent un patrimoine commun de l’humanité. Aussi se pose la question de leur gouvernance, qui tienne compte de l’équité entre tous. Cette notion de « biens communs » dépasse celle de « biens publics », qui s’en tient à une approche surtout économique.

Le concept de « bien commun » (au singulier) relève d’une acception beaucoup plus forte et plus large dans l’enseignement social de l’Eglise. Il désigne « l’ensemble des conditions sociales permettant à la personne d’atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement » (MM 65). Il est une visée, un processus toujours à poursuivre, pour que le vivre ensemble soit au service de l’épanouissement de chacun. Il est à la fois le bien de la communauté et ce qui permet à chacun de mener une vie pleinement humaine (nourriture, habitat, éducation, liberté, paix, etc.). Il implique la participation de tous et la coopération sociale. Pour l’Eglise, c’est la tâche spécifique du politique que de viser le « Bien commun ».

 

 

Conversion

Conversion signifie « retournement, changement de direction ». La « conversion écologique », selon le pape, engage le chrétien à repartir à la conquête de la richesse de ses sources : la bonne nouvelle d’une création qui nous est donnée. Pour répondre à la crise écologique, les solutions techniques ne suffiront pas, ni même une législation, car « lorsque c’est la culture qui se corrompt, les lois ne sont qu’un obstacle à contourner » (123) ; c’est donc une « conversion intégrale » (218) qui est demandée, une conversion de nos imaginaires, de nos comportements, de notre rapport aux objets, à la nature, aux autres. Une conversion qui reconnaît nos négligences : elle est « repentir », dit le patriarche Bartholomée (8), car le culte de l’avoir, l’esprit de compétition nous ont souvent détournés du dessein de Dieu. Elle est « conciliation » avec la création et libère un engagement nouveau pour affronter les malheurs du monde (218).

La conversion est aussi communautaire, expérience partagée d’un chemin. Elle n’est pas optionnelle (217). Comme dans l’Évangile, elle nous fait entendre l’annonce : « Le royaume de Dieu est proche » (Tm 4, 17). Savons-nous lire les signes de cet appel aujourd’hui ?

Voir la présentation  du sixième chapitre par Elena Lasida.

 

 

Croissance / Décroissance

La croissance, concept clé de l’économie contemporaine, mesure en pourcentage la progression annuelle du Produit intérieur brut (PIB). Les contradictions de ce concept sont atteintes quand « des offres de consommation continuent de progresser sans limite » (34). Doit-on, comme le proposent certains, s’engager sur la voie d’une décroissance (cf. S. Latouche, Vers une société d’abondance frugale. Contresens et controverses sur la décroissance, Mille et une nuits, Paris, 2011) ? Le mot fait peur à beaucoup ! Mais il veut s’attaquer à l’idéologie d’un progrès qui ne peut se poursuivre qu’en puisant toujours davantage dans les ressources naturelles, pourtant limitées. L’enjeu n’est donc pas de vouloir la décroissance pour elle-même mais de rompre la relation entre croissance du PIB pour les uns et l’injustice pour les autres. Le mot « décroissance » questionne toutes les demi-réponses, les « justes milieux » (194), qui permettent de ne pas regarder en face la gravité des enjeux : « L’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties » (193). Une « certaine » décroissance est aussi, paradoxalement, le chemin d’une vie bonne, respectueuse du bien commun.

Voir aussi « Développement ».

 

 

Démystifier la nature

La nature nous ouvre à la contemplation, à la gratuité, à l’accueil d’une réalité qui nous dépasse. Il ne s’agit pas pour autant de la diviniser. Renoncer au mythe du progrès, ce n’est pas renouer avec les anciens mythes, derrière lesquels peut se cacher une soumission à la fatalité : « Une divinisation de la terre nous priverait de l’appel à collaborer avec elle et à protéger sa fragilité » (90). La nature est aussi lieu de combat et de malheur ; elle demande, elle aussi, à être libérée. Elle n’est pas un « sacré » étranger, mais le lieu d’une histoire avec l’homme, attendant d’être guidée, dans le respect sacré de sa propre valeur (89). Elle est « révélation » (cf. « Le livre de la nature ») dans sa diversité, sa beauté, ses potentialités. Elle invite ainsi à « chanter » avec elle (85) l’hymne d’une existence qui nous est donnée et qui est appelée à grandir.

Avec la révélation biblique, le sacré change de sens. Il traduit, au cœur même de la vie « profane », un appel à l’ouverture à un plus grand. Mais celui-ci ne s’impose pas de l’extérieur, suscitant crainte et soumission. Il désigne une présence qui est source. Il engage à respecter une dignité inaliénable qui se reconnaît précisément à travers les relations. Le sacré devient histoire sainte, « sacrement » d’une plénitude promise.

 

 

Destination universelle des biens

« Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous » (GS 69). Tout être humain a donc le droit de trouver dans les biens de la création de quoi vivre, et vivre bien (pas seulement le « minimum vital »).

Dieu nous confie la responsabilité de faire fructifier les biens de la terre pour tous : ceux qui vivent aujourd’hui, mais aussi ceux qui vivront à l’avenir. La terre est un héritage commun et ses fruits doivent bénéficier à tous (93). Il ne s’agit pas d’une idéologie distributrice, mais de la prise en compte des droits fondamentaux trop souvent négligés : accès à l’eau, à la nourriture, à un toit, à la terre, etc. Faire respecter ce droit universel est une « règle d’or » (93).

La propriété privée a une fonction sociale – sur elle pèse une « hypothèque sociale » (SRS 42) – qui fait qu’elle est soumise aux besoins éventuels de la communauté. Au plan international, ce principe implique un devoir de solidarité vis-à-vis des pays pauvres.

 

 

Dette

Le pape distingue la dette financière des pays pauvres, « transformée en un instrument de contrôle » (52) de la dette sociale et de la dette écologique : « Ce monde a une grave dette sociale envers les pauvres qui n’ont pas accès à l’eau potable, parce que c’est leur nier leur droit à al vie enraciné dans leur dignité inaliénable » (30). Mais il y a aussi « une vraie dette écologique, particulièrement entre le Nord et le Sud, liée à des déséquilibres commerciaux, avec des conséquences dans le domaine écologique, et à l’utilisation disproportionnée des ressources naturelles, historiquement pratiquée par certains pays » (50). Cette dernière concerne également les générations futures.

Sur les liens entre les trois dettes, voir Patrick Viveret : http://www.revue-projet.com/articles/les-trois-dettes/

 

 

Développement

Le concile Vatican II a porté sur le développement un regard positif. Il encourage « le progrès technique, l’esprit d’innovation, la création et l’extension d’entreprises, les efforts soutenus de tous ceux qui participent à la production, en un mot tout ce qui peut contribuer à cet essor », mais rappelle que « le but d’une telle production n’est pas la seule multiplication des biens produits, ni le profit, ou la puissance ; c’est le service de l’homme : de l’homme tout entier » (GS 64).

Pour Paul VI, « chaque homme est appelé à se développer » (PP 15). Il ne craint pas de parler de « vocation à la croissance », au sens de croissance en humanité, d’accès à l’épanouissement, à la fois personnel et communautaire.

Benoît XVI, s’il reconnaît que la perspective dans laquelle s’inscrivait son prédécesseur visait avant tout à faire sortir les peuples de la faim et de la misère, n’en considère pas moins le « développement comme une vocation » (CV 16), c’est-à-dire une appel qui demande une réponse responsable. Le « développement humain intégral » revêt aujourd’hui une portée de plus en plus complexe (CV 30-33), avec de nouvelles fractures au sein de la famille humaine.

 

 

Dialogue

Dès le début, l’encyclique se présente comme un « appel » à entrer en dialogue avec tous, au sujet de notre maison commune. Le ton est direct et personnel, vigoureux souvent, mais sans position de surplomb. Le dialogue sur l’avenir de la planète est la vie proposée pour ouvrir de nouvelles perspectives. Toutes les orientations données au chapitre 5 sont exprimées sous ce titre : dialogue au plan international, au plan national et local, entre politique et économie, entre sciences et religions.

Dans La joie de l’Évangile, le pape soulignait déjà cette place du dialogue comme contribution à la paix (EG 238 et 258). Derrière cette instance, c’est toute une théologie de l’Eglise qui se dit : « l’Eglise se fait dialogue » (Paul VI, Ecclesiam suam 67) et promeut une vision de l’homme « capable de dialogue » (81). « L’ouverture à un « tu », capable de connaître, d’aimer » est la grande noblesse de la personne humaine (119).

 

 

Dignité de la personne humaine

« La personne humaine qui, de par sa nature même, a absolument besoin d’une vie sociale, est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions » (GS 25). La personne humaine et la reconnaissance de sa dignité sont au centre de l’enseignement social et de toute la pensée morale de l’Eglise. Gaudium et spes décrit longuement dans son premier chapitre, intitulé « La dignité de la personne humaine » (GS 12-22), cette « juste conception de la personne humaine, de sa valeur unique ». Pour les chrétiens, les institutions sociales doivent être jugées en fonction de la manière dont elles respectent et promeuvent la dignité de chacun. L’Eglise précise cette vision de la dignité autour de trois dimensions : son caractère inaliénable – quelles que soient les faiblesses ou les divisions – (RN 1-26 ; GS 12), la condition corporelle de l’homme et de la femme (GS 14) et la dimension relationnelle de l’être humain (CV 53).

 

 

Écologie humaine

La manière dont l’expression « écologie humaine » est ici employée est particulièrement notable. Le pape François fait bouger les concepts : alors que le concept d’écologie humaine s’est répandu depuis quelques années pour désigner une manière de respecter la nature biologique de l’être humain, dans Laudato si’ l’expression désigne la manière dont les pauvres habitent et sauvent un lieu.

Voir LS 148 et 152 et, en 155, la référence à Benoît XVI parlant d’une « écologie de l’homme ».

 

 

Écologie intégrale

L’expression s’inspire de celle de Paul VI, parlant dans Populorum progressio de « développement intégral » : « Le développement ne se réduit pas à la simple croissance économique. Pour être authentique, il doit être intégral, c’est-à-dire promouvoir tout homme et tout l’homme » (PP 14). Voir aussi Benoît XVI dans CV 8.

L’adjectif « intégral », ici, vise à prendre en compte toute la complexité des enjeux. Il ne s’agit pas de l’écologie « profonde » qui risque de convertir au culte de la terre et de tout lui subordonner, mais du rappel que l’écologie touche en profondeur toutes les dimensions de nos vies, de notre civilisation, de nos modes d’agir et de penser. Il s’agit de se libérer du modèle techno-économique qui ordonne habituellement nos discours et les rend conformes à ses postulats pour tout résoudre.

 

 

Espérance

Laudato si’, « Loué sois-tu Seigneur ! ». La louange donne son ton à l’encyclique, réveillant l’espérance. Au-delà de la force du diagnostic, c’est bien l’espérance qui est la clé de notre conversion. Elle fait voir à l’avance un avenir ouvert. Elle exprime la possibilité de tenir ferme et nous guide. Elle nous invite à « reconnaître qu’il y a toujours un chemin de sortie » (61). Elle nous dit que « le monde est plus qu’un problème à résoudre : un mystère joyeux que nous contemplons » (12).

Le grand texte de Vatican II sur la lecture des signes des temps, Gaudium et spes, dit que « les joies et les espoirs des hommes de ce temps sont les joies de l’Eglise ». François reprend cette lecture des espoirs et des questions d’aujourd’hui à propos de l’avenir de notre maison commune. Oui, son regard est plein d’espérance.

Tout au long de l’encyclique, il évoque les « potentialités » dont Dieu a doté l’univers (80), les « immenses possibilités » que nous avons pour poursuivre son œuvre de Créateur (192). Comme au temps de Noé, Dieu veut « ouvrir un chemin de salut, la possibilité d’un nouveau commencement » (71).

Voir l’Introduction d’Alain Thomasset et Grégoire Catta.

 

 

État

La doctrine sociale de l’Eglise propose une vision exigeante du rôle de l’État : « Il n’est pas seulement le gardien de l’ordre, mais il doit travailler énergiquement à ce que, par tout l’ensemble des lois et des institutions, fleurisse la propriété publique et privée » (QA 27, citant RN 26). François précise que l’écologie est « nécessairement institutionnelle » : l’État a la charge de régulier les relations impliquées dans le système productif et social (142).

L’État doit orienter la recherche du bien commun ; son action est guidée par les deux principes de solidarité – avec « une sollicitude particulière pour les déshérités » (RN 39) – et de subsidiarité, « dans le respect des individus et des groupes » (CA 10).

Il doit certes entrer en dialogue avec les acteurs économiques (189 et suivants), en tenant compte de leurs responsabilités. Mais c’est à lui que revient la décision ultime (OA 46), dans une vision à long terme – en particulier sur les questions visées par l’encyclique. « Planifier, coordonner, veiller et sanctionner sont des fonctions impératives de l’État » (177), mais aussi celle de soutenir toutes les initiatives allant dans le sens du bien commun.

Cette mission est un vrai défi : elle demande de résister aux inerties et aux pressions de ceux qui ne voient que les coûts immédiats des décisions à prendre (181), de repousser toutes les tentations de corruption, d’ouvrir un débat large et transparent (182). « Quand l’État ne joue pas son rôle, ce sont finalement des groupes qui s’approprient le pouvoir », sous les formes les plus diverses, les lobbies et dans certains cas des organisations criminelles (197).

 

 

Finance / bulle financière

François interpelle vigoureusement nos sociétés sur la place prise par le pouvoir financier. « L’argent doit servir et non pas gouverner », disait-il dans La joie de l’Évangile (EG 58). Mais le secteur financier – où le rêve de gains sans limites (grâce à des technologies de plus en plus sophistiquées) est un puissant moteur – est celui qui résiste le plus aux efforts nécessaires pour sortir d’une vision purement quantitative de l’activité économique : « Le marché à lui seul ne garantit pas le développement humain intégral » (109). La bulle financière, « une bulle productive » (189), contribue à l’impasse dans laquelle nous sommes : « Les finances étouffent l’économie réelle » (109).

 

 

Fragilité / Faiblesse

La prise en compte du droit des générations futures, posée entre autres par Hans Jonas dans le Principe responsabilité (Seuil, 1990) : « Chaque communauté peut prélever de la bonté de la terre ce qui lui est nécessaire pour survivre, mais elle a aussi le devoir de la sauvegarder et de garantir la continuité de sa fertilité pour les générations futures » (67). Cette considération n’est pas sans lien avec le principe du bien commun : « La notion de bien commun inclut aussi les générations futures » (159). Et finalement, avec la compréhension de notre « propre dignité » : « Nous sommes, nous-mêmes, les premier à avoir intérêt à laisser une planète habitable à l’humanité qui nous succèdera. » Il en va du « sens de notre propre passage sur terre » (160).

Parler du futur, c’est se situer dans une perspective d’espérance et pas seulement d’inquiétude, c’est semer des graines aujourd’hui pour une terre habitable pour tous.

 

 

Habiter

Voir « Maison commune »

 

 

Intégral

Intégral s’oppose à isolé, découpé, « spécifique » (139). L’homme est constitué de relations : en lui-même (le morceler c’est blesser son unité, ne pas voir « tout l’homme » dans ses multiples dimensions) et avec les autres (oublier c’est rejeter certains, ne pas attendre de « tout homme » sa contribution). L’usage de cet adjectif (« approche intégrale », « solutions intégrales », « conversion intégrale ») souligne qu’il s’agit du sens de la personne humaine et de sa place dans l’univers.

Dans Populorum progressio, Paul VI appelait à un « développement intégral ». L’écologie intégrale est pour François l’autre nom de ce développement. Elle invite à prendre en compte les interactions, à l’intérieur de chaque « système », comme entre différents systèmes naturels et avec les systèmes sociaux. « Tout est lié » : agir sur un seul point, sur une seule cause, dans une « confiance aveugle dans les solutions techniques » (14) aurait des effets dommageables. Ainsi, « l’analyse des problèmes environnementaux ne peut être séparée des contextes humains, familiaux, de travail, urbains » (141).

Ce regard intégral est, finalement, de communion : tout orienter vers la plénitude en Christ. « C’est dans l’ensemble de la réalité naturelle que le mystère du Christ opère » (99).

 

 

Limites

Depuis le rapport du Club de Rome, The Limits of Growth (1971), la question de la limite des ressources est un thème central de la littérature écologique. Sous le plume du pape François, ce concept entre dans la doctrine sociale, mais dans le cadre d’une réflexion beaucoup plus large, associée au thème biblique de la limite de la toute-puissance (75), pour critiquer « le mythe moderne du progrès matériel sans limites ».

Ce devoir de lucidité s’accompagne d’une invitation à récuser l’individualisme afin de redécouvrir nos liens avec les autres, avec la nature. L’individu séparé n’est pas la référence : sans liens, isolé par lui-même ou exclu, il révèle sa fragilité         . Les limites, finalement, sont un appel à vivre en relations. Le développement en humanité n’est pas le rêve d’une simple croissance mais le développement des potentialités de tous, quelles que soient leurs fragilités.

 

 

Livre de la nature / Révélation

À côté des Écritures, la nature est un autre Livre, porteur lui aussi de « Révélation ». Le pape nous invite à l’ouvrir et à le lire. « Un splendide Livre dans lequel Dieu nous parle et nous révèle quelque chose de sa beauté et de sa bonté » (12). « Son reflet se trouve dans tout ce qui existe » (87). Alors que nous l’utilisons comme un simple objet dont nous usons et que nous jetons, « l’univers matériel est un langage d’amour de Dieu », un appel à la relation, au déploiement de la vie quelles que soient les fragilités… Pour François, « il y a une mystique dans une feuille, dans un chemin, dans la rosée, dans le visage du pauvre » (233).

Ce Livre est ouvert à tous les hommes, souligne-t-il, citant un maître soufi. Il nous engage à « trouver Dieu en toutes choses » (saint Bonaventure). Il aurait pu rappeler aussi la contemplation qui clôt les Exercices spirituels de saint Ignace : « Regarder comment Dieu habite dans les créatures, dans les éléments, les plantes, les animaux, dans les hommes et donc en moi… Comment il travaille en toutes choses créées sur la terre… Demander une connaissance intime du bien reçu » (Contemplatio ad amorem, « pour obtenir l’amour »).

 

 

Maison commune

La pape appelle « à prendre soin de ce monde que nous habitons » (prière finale), à prendre soin de « notre maison commune » (titre de l’encyclique). L’expression, qui revient régulièrement dans le texte, mérite d’être remarquée. Les papes ont parlé souvent de la « famille humaine », mais François élargit notre perception : nul ne peut vivre sans habiter. La maison est un foyer, un lieu qui permet de se poser, de se retrouver. Nous sommes appelés à considérer la terre comme « l’habitat » de l’homme et non comme une simple commodité. Un habiter qui est à la fois un don et la construction d’un vivre-ensemble.

La maison est aussi un regroupement (une « maisonnée ») : le chez soi n’est pas repli, mais appartenance à une communauté, invitation à des relations multiples.

 

 

Nature

L’encyclique parle à plusieurs reprises de « nature », non pas au sens de paysage à contempler et à cultiver, mais au sens d’une vocation inscrite dans chaque créature et en l’homme lui-même : son « essence ». Celle-ci n’est pas purement indéterminée, elle est un don et un appel. Le pape n’évoque pas le concept de « loi naturelle », dont la compréhension est parfois difficile, mais reprend seulement le mot « nature », non pas comme une norme extérieure à laquelle se conformer, mais comme un dynamisme reçu. Pour Thomas d’Aquin, cité par François (80), cette vision dynamique désigne un principe d’avenir, englobant non seulement des caractéristiques communes mais celles qui rendent chacun capable de devenir pleinement homme. Thomas d’Aquin parle de « continuation de l’action créatrice », d’« univers de potentialités ».

Voir aussi « Livre de la nature ».

 

 

Option préférentielle pour les pauvres

L’expression a été mise en avant en Amérique latine à la fin des années 60, mais elle se nourrit de l’Évangile et de l’exemple du Christ. L’Eglise a fait sienne cette expression, qui indique son désir de travailler de manière prioritaire à « soulager, défendre et libérer les pauvres » (Congrégation pour la doctrine de la foi, Liberté chrétienne et libération, 68). À la suite de son Seigneur qui a voulu s’identifier « aux plus petits » (Mt 25, 40-45) et qui a prise sur lui la misère des hommes (Mt 8, 17), l’Eglise est invitée à exercer son amour de préférence à l’égard de ceux qui sont dans le plus grand besoin, tant par des actions individuelles que par des changements structurels.

Cette option nous rappelle que la création d’un avenir pour tous ne passe pas par un bricolage d’assistance mais par la reconnaissance de la capacité donnée à chacun d’apporter quelque chose au bien commun. Les pauvres sont aussi des acteurs, des créateurs et non pas des appendices de nos communautés (148, 158). Aujourd’hui, étant donné la dimension mondiale de la question sociale, cet amour préférentiel ne peut pas ne pas embrasser tous ceux qui souffrent encore et qui n’ont pas accès à la sécurité sur un sol (cf. SRS 42).

 

 

Paradigme technocratique

Les techniques peuvent être des outils physiques mais aussi des procédures (juridiques, politiques, de communication). Elles conduisent à considérer que, face à tout besoin, des solutions peuvent répondre de façon de plus en plus adaptée. Elles sont, certes, invention de chemins nouveaux. Mais elles peuvent être source de l’illusion d’une maîtrise extérieure ou instrumentalisation de l’humain, le « paradigme », autrement dit le modèle, la grille de lecture qui s’impose pour aborder tout problème. C’est une vision de la société comme un grand système, régi par des « lois » de fonctionnement « nécessaires », « optimales » tant au niveau technique qu’économique, dirigé par des technocrates sans véritable esprit critique qui sont des rouages du système. Avec ce paradigme, le souci du développement humain et du bien commun de l’humanité est perdu de vue au profit des intérêts personnes ou catégoriels immédiats.

Le pape reprend une expression du philosophe Herbert Marcuse en parlant d’un « paradigme homogène et unidimensionnel » (106). Son utilisation au singulier souligne le lien avec la science, l’économie, la finance et le caractère aveugle de leur développement.

 

 

Pauvres

Voir « Option préférentielle pour les pauvres ».

 

 

Propriété

Dans la tradition chrétienne, la propriété privée n’est pas un droit de souveraineté. C’est un pouvoir dont chacun aura à rendre compte. Ce pouvoir doit s’exercer dans le sens du Bien commun. Nous sommes ici aux antipodes d’une conception très répandue, qui identifie propriété privée et pouvoir absolu du propriétaire. Thomas d’Aquin rappelait combien la propriété privée favorisait la responsabilité particulière de chacun et, par contrecoup, la liberté authentique (LE 14 ; CA 30). Les différentes formes de propriété (privée ou publique) ne sont pas considérées comme un droit de propriété mais comme un droit de l’homme à la propriété. La nuance ramène à la finalité : la condition de l’homme comme sujet, pleinement responsable à travers ce qui lui assure l’existence, mais en rapport au bien commun.

Voir paragraphe 115.

Voir aussi « Destination universelle des biens ».

 

 

Relations

L’être humain est relations. Ce rappel est au cœur de l’anthropologie que défend l’encyclique. Il n’est pas une monade, se déployant en considérant les autres créatures comme de simples utilités. Il vit des liens qu’il noue dans une réciprocité constitutive de son essence. L’écologie appelle à reconnaître les relations multiformes qui existent entre les espèces et leur environnement. « Quand on parle d’environnement, on désigne une relation » et pas seulement un « cadre » (39). Mais cela vaut d’autant plus pur l’homme, dont l’existence « repose sur trois relations fondamentales » (66) : celle qui l’ouvre à un sens, à une transcendance l’appelant à se dépasser, à Dieu ; celle avec les autres ; celle avec la nature. Elles ne sont pas des « systèmes » fermés (mécaniques) mais ouverts, appelant à découvrir d’innombrables formes de participation (79), révélant une « inépuisable richesse » (86). Ce sont elles qui nous nourrissent, qui nous donnent la clé de notre propre épanouissement. On ne saurait d’ailleurs y échapper, sinon ces relations deviennent conflictuelles et finalement destructrices. François nous invite à transformer nos modes de penser et d’agir pour découvrir « le mystère de ces relations » vivantes (20), pour « vivre en communion » (240).

La clé de ce « mystère » n’est-elle pas d’ailleurs en Dieu lui-même ? Les Personnes divines sont des relations subsistantes (240).

 

 

Le sacré dans la nature

Voir « Démystifier la nature » et « Livre de la nature ».

 

 

Sommets mondiaux (COP 21)

Le pape rappelle qu’au sommet de Rio, en 1992, on a proclamé que « les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable ». Le protocole de Kyoto a constitué une première avancée. Mais de Conférence en Conférence, son application et son actualisation se heurtent à des tergiversations et à des conflits sur les modalités. Deux enjeux sont particulièrement à l’ordre du jour : la répartition de l’effort entre pays riches et pays pauvres (les pays en développement considèrent que les engagements pris par les pays développés ne sont pas au niveau de leur responsabilité historique dans les émissions de CO2) et la question du financement des politiques climatiques, avec la mise en place d’un « Fonds vert », qui met en jeu la promesse de mobiliser 100 milliards par an en direction des pays pauvres.

À la fin de l’année 2015, la COP 21 se réunit près de paris, au Bourget. Cette « Conférence des Parties » (les États et les Organisations régionales comme l’Union Européenne, signataires de la convention pour le climat) est une étape décisive pour mettre en place une véritable solidarité dans la recherche d’un bien commun, celui de l’avenir de la planète, de la prise en compte des générations futures.

Pour avoir un aperçu des nombreuses rencontres internationales réalisées depuis les années 70, on peut se référer à deux dossiers de La Documentation française : « Le développement durable en France : de la stratégie nationale au Grenelle de l’environnement » (en particulier, le chapitre sur les grands accords internationaux sur le développement durable – déc. 2007) ; « Le changement climatique » (en particulier le chapitre sur la chronologie – déc. 2011).

Cf. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/

 

 

Subsidiarité

Le terme vient du latin subsidium qui signifie « aide ». la société – toute société ou collectivité – est ordonnée à la personne. Elle doit laisser sa juste place à l’initiative et à la responsabilité des personnes et des communautés intermédiaires au niveau où elles peuvent agir (MM 53, PT 140). Mais, selon ce même principe, l’État et la société doivent aussi aider les membres du corps social quand ils n’ont pas les moyens de déployer leur liberté (QA 88). Il faut « donner la liberté au développement des capacités présentes à tous les niveaux », mais celui qui détient plus de pouvoir a davantage de responsabilité pour le bien commun (196).

Ceci vaut aussi au plan international : Benoît XVI parlait de gouvernance mondiale « de nature subsidiaire » : « Le développement intégral des peuples et la collaboration internationale exigent que soit institué un degré supérieur d’organisation à l’échelle internationale de type subsidiaire pour la gouvernance de la mondialisation » (CV 67). Le pape François insiste à la fois sur la responsabilité locale et sur la nécessité de régulations internationales.

 

 

Travail

Le texte le plus important sur le travail, dans l’enseignement social de l’Eglise, est l’encyclique de Jean-Paul II Laborem exercens (1981), à laquelle François se réfère ici. L’intervention humaine est une manière de « prendre soin du créé » (124) pour en faire apparaître les potentialités. Toute activité, même non manuelle, implique quelque transformation (125). Elle est aussi lieu d’une « relation » entre les hommes. Le travail aujourd’hui est affecté par les mutations que connaît l’entreprise, soumise à la technicisation, mais aussi aux contraintes du marché et à l’imposition d’une logique financière. Sa fonction intégratrice, son rôle de construction d’une maison commune se perdent. La poids du paradigme technocratique risque d’en vider le sens.

 

 

Valeur propre des créatures

La liberté de l’homme ne doit pas être défendue au détriment des autres créatures, car leur valeur ne dépend pas de leur utilité pour l’homme. Elles ne sont pas subordonnées au bien de l’homme. Elles sont objet de contemplation, d’admiration et de louange. Leur valeur vient non seulement de leur qualité de créature reçue de Dieu, mais aussi du fait qu’elles participent, chacune à sa manière, au processus créateur. Elles bénéficient analogiquement d’une capacité créatrice, illustrée par une image empruntée à saint Thomas : comme si le bois pouvait « se modifier lui-même pour prendre la forme de navire » (80).

 

 

Villes

Selon la Bible, la vielle peut être lieu d’orgueil (comme Ninive ou Babel), mais c’est aussi Jérusalem, lieu de promesse (OA 12). À une époque d’urbanisation croissante, elle est, sur le front des enjeux écologiques, un lieu de plus en plus partagé d’un vivre-ensemble, d’un habitat parmi et avec d’autres. Au-delà d’un cadre, elle représente un défi dans la recherche d’un bien commun qui est sa raison d’être : il s’agit de créer des modes de relations pour prendre en charge un avenir collectif difficile (OA 12).

Le pape François est particulièrement marqué par son expérience des villes de l’Amérique latine. Il avait déjà évoqué les « cultures urbaines » dans son exhortation (EG 71-75). Il s’interroge ici sur les conditions d’une ville « habitable » : la participation des citoyens à sa construction (150), la lutte contre l’anonymat social dans certains quartiers (149), la relation entre l’homme et son environnement (113, 143, 153).

 

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