Mot d'accueil et homélie des funérailles de l'abbé Hervé Camier

Notre Dame en Béthunois

11 FEVRIER 2020

 

FUNERAILLES D’HERVE CAMIER

 

Eglise Saint Vaast, Béthune

 

 

Mot d'accueil : 

 

herve camier herve camier  Hervé, un éloge funèbre, je ne suis pas sûr que ce soit de ton goût :  alors rassure-toi tu n'auras pas à subir le long discours de circonstance à l'usage des grands hommes disparus. D'abord, parce que tu n'es pas disparu pour nous , ensuite parce que tu n'entres pas dans la catégorie des grands, des importants, on pourrait plutôt, si tu me le permets, t'apparenter à une sorte d'OVNI parfois très brillant dans le ciel parfois tout à fait indétectable d'où la difficulté du propos ; j'ai néanmoins réussi à recueillir  le témoignage de ceux qui ont eu la chance de t'observer et de te rencontrer.

Certains attestent t'avoir aperçu il y a bien longtemps au fin fond de l'Artois sous les traits d'un enfant du pays, d'autres à Arras sous la forme d'un séminariste, d'autres à Béthune sous la forme d'un prêtre hyperactif organisant, baptémes collectifs, célébrations de Noël pour les petits de classes maternelles, marches nocturnes à Lorette, veillées de prières, tables rondes, conférences etc. 

Certains témoins t'auraient même vu enseigner des cours de  physique et de maths  au lycée Saint Vaast Saint Dominique, ils se souviennent en particulier de cours de géométrie dans l'espace où tu tentais de faire apparaître  dans une gestuelle subtile et mystérieuse des objets 3D comme des cônes, certains tronqués, des pyramides, des cubes de toutes dimensions qui prenaient un malin plaisir  à se projeter sur des plans multiples, Certains arrivaient à  voir quelquechose d'autres se sont contentés d'admirer la chorégraphie du  prof qui dansait avec ses bras.

Un ancien collègue m'a raconté que pour expliquer la force centifuge tu avais effectué plusieurs tours dans la cour de l'école avec sa 2CV, assez vite parait-il.

 Mais  tu n'étais pas seulement un scientifique de haut vol, un pédagogue original, tu avais de nombreux autres centres d'intérêt : les langues par exemple : l' espagnol, le polonais, l'allemand, le flamand,  tu les parlais  aussi aisément que le patois de Fruges. Tu aimais aussi la musique et la chanson : beaucoup t'ont entendu chanter à tue tête Brassens, ton poète et chanteur préféré! Il y a  deux ans tu le chantais encore sur un lit de l'EHPAD accompagné de quelques amis. Tu connaissais la musique au point de la goûter et de l'apprécier en lisant seulement la partition, une fois tu m'as montré une page de Bach et tu m'as dis : lis comme c'est beau Jean Louis, j'ai répondu : Oui l'abbé.

 De tous ces témoins il ressort qu'outre tes multiples dons tu avais la capacité extraordinaire de t'émerveiller de tout, d'un simple trait d'humour à un psaume de la Bible,  d'un chant d'oiseau à l'Hymne à la joie de Beethoven (que tu connaissais par cœur) Ton mot favori pour traduire ton admiration c'était «phénoménal »  Tout ce que tu trouvais de bon et de beau était « phénoménal »

Je voudrais aussi évoquer un objet phénoménal qui pourrait symboliser l'amitié que tu vouais rapidement à tous ceux que tu rencontrais  : ton agenda où chacune et chacun ici sans doute, jouissait d' une concession d'un centimètre carré où se serraient l'adresse, le téléphone et la date anniversaire.  Il y a beaucoup d'arbres qui te doivent la vie grâce à ta manière d'utiliser le papier, ils te disent merci aussi.

Certains t'ont vu un moment dans les bibliothéques dévorer les volumes de Teilhard de Chardin, ton collègue scientifique et compagnon un moment de ton cheminement spirituel. Mais après tu es passé à autre chose, tu ne pouvais jamais t'arrêter pour t'installer où que ce soit dans un système ou dans un lieu, certains déclarent t'avoir vu apparaître au Mexique et dans d'autres pays d'Amérique centrale où tu exerçais ton ministère  en défendant âprement la cause des paysans du Chiapas, beaucoup se souviennent avec quelle colère tu dénonçais les conditions d'asservissement de la femme là et partout dans le monde, beaucoup aussi t'ont vu dans des réunions prendre courageusement la parole pour condamner  l'argent roi , l'ultralibéralisme qui partout broient les hommes.  tu étais le prêtre des pauvres, de ceux qui ne comptent pas, le prêtre des enfants et des femmes que tu essayais de remettre au centre. Il est vrai que nous sommes chacun des figures du Christ mais chez toi il y avait vraiment un air de famille. Ton regard un peu mystérieux d'ange de Reims aimant, tendre, bienveillant mais sans complaisance  pour ce qui heurtait tes valeurs. Il t'est arrivé  de jeter dans la confusion des gens pourtant bien intentionnés à ton égard. Ala fin d'une conférence sur le Mexique quelqu'un t'a promis : « mon  Père j'irais vous voir quand vous serez au Mexique » et tu lui as répondu :  «surtout pas, donnez-moi plutôt l'argent du voyage pour ma paroisse du Chiapas qui en a bien besoin. Beaucoup ont entendu cette phrase, je ne sais pas si tu en es l'auteur, mais tu la répétais souvent  : « ne donnez pas d'argent aux pays pauvres, rendez leur. »

Bon voilà Hervé, tu vois je n'ai pas dit que tu étais un grand homme, un héros, juste quelqu'un de... phénoménal !   Salut Hervé, quelle chance et quelle fierté de t'avoir connu !

 

Jean Louis Thersen

 

 

 

 

HOMELIE

 

1 Jean 3, 14-16

Luc 24, 1-11

 

                « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité »

 

                Ces propos de deux hommes en habit éblouissant s’adressent à des femmes venues, à la pointe de l’aurore, au tombeau où, la veille, avait été déposé le corps de Jésus.

                L’évangéliste Luc nous donne leurs noms : Marie-Madeleine, Jeanne, Marie, mère de Jacques et les autres femmes dit-il encore. Et l’homme en habit éblouissant continue son propos, il leur rappelle des paroles de Jésus. Alors, elles comprennent et vont rapporter tout cela aux apôtres qui trouvent ce témoignage délirant.

                Marie-Madeleine et les autres femmes se sont rappelé les propos de Jésus.

                Si nous poursuivions la lecture de ce chapitre 24 de Saint Luc, nous ferions la rencontre des disciples d’Emmaüs qui se disent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Ecritures ? » Puis, dans les derniers versets, c’est Jésus qui apparaît aux apôtres et, dit l’Evangile : « il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Ecritures ».

 

                Celui que nous accompagnons de notre prière ce matin, Hervé, était un passionné des Ecritures. Il y a longtemps qu’il était passé de la mort à la vie parce qu’il aimait ses frères et sœurs en humanité. Il y a longtemps que, comme le dit Saint Jean dans notre première lecture, il avait donné sa vie pour ses frères et d’abord en devenant prêtre le 5 juillet 1953.

 

                Le prêtre Hervé que j’ai connu ne portait pas un habit éblouissant mais souvent un habit blanc. J’ai de lui un texte dans lequel il écrit « j’ai habité ou traversé des villes violentes : Sao Polo, Lima, Mexico ; avec mon habit blanc, j’ai dû impressionner d’éventuels agresseurs ».

 

                Je ne suis pas le mieux placé pour parler de lui car je ne connais Hervé que depuis son retour de mission, fin 1999. Il résidait alors à Arras où je travaillais. Nous nous sommes vus souvent soit au Foyer du Clair Logis pour le repas du midi, soit pour faire route ensemble entre Arras et Béthune où Hervé avait gardé de solides amitiés.

 

                Il était pour moi l’ami en blanc qui me rappelait avec beaucoup d’à propos et d’humour, et toujours avec beaucoup de délicatesse les paroles de Jésus.

 

                Volontiers provocateur, il souhaitait une réforme d’envergure dans l’Eglise. Lui, l’enfant de Fressin, connaissait-il les propos de Georges Bernanos, autre enfant de Fressin, : « on ne réforme l’Eglise qu’en souffrant pour elle, on ne réforme l’Eglise visible qu’en souffrant pour l’Eglise invisible. L’Eglise n’a pas besoin de réformateurs mais des saints ».

 

                La conversation d’Hervé portait souvent sur la place des femmes dans l’Eglise, dans la société, dans le monde. Les larmes lui venaient aux yeux quand il parlait des jeunes femmes victimes de l’excision. Ce sujet lui tenait particulièrement à cœur et nous pouvons noter qu’il est entré dans la Vie le 6 février, journée mondiale contre les mutilations génitales féminines. Le 6 février, c’est aussi la fête de Saint Vaast, patron de notre diocèse et la ville d’Arras.

 

                Les funérailles d’Hervé sont célébrées le 11 février, jour où l’Eglise fait mémoire de l’apparition de la Vierge Marie à Lourdes, à une jeune fille pauvre, Bernadette. Marie, la femme ayant le soleil pour manteau, la lune sous ses pieds et sur la tête une couronne de douze étoiles. Marie, n’en doutons pas, Marie accompagnée de Marie-Madeleine, a pris la main d’Hervé qui a tant aimé ses sœurs en humanité pour l’aider à rejoindre la place préparée pour lui dans le Royaume de Paix et de Lumière.

 

                Dans ses dispositions pour ses funérailles, Hervé écrit « Par respect pour Jésus, que mon corps soit incinéré ». Ce ne sont pas des cendres mais des pétales de vie, d’amour et d’humanité vraie qui vont s’envoler vers le Chiapas, vers le Brésil, vers toutes les jeunes femmes victimes de l’excision dans au moins 25 pays du monde, vers tous les pauvres et exclus du monde.

 

homélie de Guy Catouillard, diacre