RE-INVENTONS NOTRE MANIERE DE VIVRE LE CHRISTIANISME

Adrien Candiard, dominicain et islamologue

 

Unité des chrétiens Unité des chrétiens  

La Croix L’Hebdo : Cette fin d’année a été particulièrement rude en France, avec l’épidémie de Covid-19 et la crise sociale qui s’annonce. Comment voyez-vous cette actualité ?

Adrien Candiard :

[…]

Par la force des choses – les progrès de la science, la perte de son poids politique –, et bien qu’en perte de vitesse, le christianisme continue à être encore un peu, de façon ambiguë, un facteur de cohésion de la société, d’identité et de mémoire de la nation. Lorsque Notre-Dame a brûlé, tout le pays était en larmes,. Mais c’est une position délicate : les chrétiens d’aujourd’hui ne peuvent être les seuls dépositaires de cette mémoire, ni jouer le rôle de gardiens de musée.

La baisse du nombre de croyants ou de pratiquants est un vrai défi mais nous n’avons pas à regretter la perte des fonctions de la religion romaine. Être missionnaire, ce n’est pas chercher à regagner ce terrain perdu, mais revenir au cœur de la foi chrétienne : l’annonce du Salut, la recherche de la Vérité.

 

 

 

Vaste programme ! Avez-vous des pistes pour cela ?

A. C. :[…]

 Cette perspective de long terme me conduit seulement à constater qu’il va nous falloir repenser de fond en comble les formes de notre vie paroissiale. Alors que l’érosion de la pratique dominicale est un phénomène ancien, mais profond, l’épidémie a fragilisé la messe du dimanche, et les confinements ont posé bien des questions sur notre rapport aux sacrements. Il sera difficile de se contenter de faire comme avant !

[…]

 

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Avant d’entrer dans la vie religieuse, vous avez été engagé politiquement, au côté de Dominique Strauss-Kahn notamment. Que gardez-vous de vos expériences professionnelles passées ?

A. C. : […]

Dans cette ancienne vie, j’ai beaucoup fréquenté des gens assez loin de la foi et j’en suis heureux. Quand on est prêtre, on se retrouve essentiellement en lien avec des catholiques. On peut vite s’enfermer dans un univers minoritaire qui tourne facilement sur lui-même, un univers finalement relativement clos.

 […]

 

 

Pourquoi la découverte du pluralisme religieux est-elle si douloureuse pour les catholiques de France 

A. C. : En plus de la crise sanitaire, du terrorisme, nous sommes en train de comprendre que, comme catholiques, nous sommes minoritaires en France, et ce n’est pas une mince affaire. Tout au long du XXe siècle, nous avons repensé notre rapport à la société, acceptant qu’elle ne soit pas structurée par la foi catholique ; mais dans cette société, nous restions majoritaires. Et notre théologie et notre spiritualité sont imprégnées de cet ancien état majoritaire.

[…]

Une partie de notre drame actuel vient du fait que nous n’avons pas encore les cadres de pensée adaptés pour notre nouvelle situation.

 

 

Pentecote Pentecote  

Nous vivons cette situation minoritaire depuis déjà quelques décennies. Il ne semble pourtant pas y avoir de lieu où les chrétiens pensent et travaillent sur le sujet ?

 

A. C. : La situation est difficile, avec infiniment moins de théologiens que dans les périodes précédentes, du fait de la diminution des vocations de prêtres.

De plus, le grand effort du catholicisme pour entrer en dialogue avec la modernité lors du concile Vatican II, s’est heurté à une mauvaise surprise. Alors que nous pensions avoir réconcilié l’Église et la modernité politique et sociale, la modernité a basculé dans une 2e phase : celle de la libéralisation des conduites sexuelles. En l’espace de quelques années, la morale commune, comme la morale bourgeoise, s’est détachée de la morale chrétienne.

 Jusque-là, croyants ou non-croyants vivaient peu ou prou de la même façon.

 Soudain, les catholiques doivent apprendre à trouver leur place dans une société pluraliste dont leur foi n’est plus la référence, même implicite. C’est un chantier immense, et forcément un peu douloureux !

 

 

Que voyez-vous comme pistes possibles pour mieux vivre en tant que catholique dans nos sociétés contemporaines ?

A. C. : Ce n’est pas la 1ère  fois que nous faisons l’expérience en Occident, de cette situation minoritaire. Jusqu’à la fin du IVe siècle, les chrétiens ne sont qu’un élément de la société antique

Un auteur chrétien anonyme du IIe siècle  explique que les chrétiens ne doivent pas chercher à former un peuple à part, avec ses lois et ses coutumes propres, mais qu’ils doivent être pour le monde ce que l’âme est pour le corps. Être l’âme du monde d’aujourd’hui, ce n’est pas une petite mission

 

Pentecote Pentecote  

Vous évoquiez les déchirements entre catholiques français. Pourquoi les débats dans l’Église sont-ils vifs ?

A. C. : Le travail théologique reste à faire pour le contexte français, et sur un terrain miné. Qui a raison entre ceux qui tiennent à célébrer l’Eucharistie coûte que coûte pendant le confinement et ceux qui veulent d’abord protéger les personnes âgées ? Nous sommes incapables de le dire parce que nous n’avons plus de doctrine implicite définissant notre rapport au monde. Tous nos anciens clivages jouent à plein et empêchent de réfléchir sereinement et collectivement.

 

 

Comment vivre cette période de manière à peu près apaisée ? Votre expérience de chrétien « minoritaire » en Égypte vous y aide-t-elle ?

A. C. : Je n’ai de leçons à donner à personne, dans une période difficile où chacun fait ce qu’il peut. Mais, nous n’en sortirons que par le haut, en nous posant les bonnes questions.

 

 Comment pouvons-nous être l’âme d’un monde traversé par l’angoisse, la maladie et la misère ? Si nous adoptons cette perspective, bien des débats récents ( privilégier la messe ou la charité, par exemple) nous sembleront totalement dénués de sens.

 

 

 

Extraits d’un article que j’ai trouvé intéressant dans l’hebdo La Croix du 20 décembre 2020, recueilli par Anne-Bénédicte Hoffner, le 22/12/2020 à 06:44

https://www.la-croix.com/Religion/Adrien-Candiard-Reinventons-notre-maniere-vivre-christianisme-2020-12-22-1201131436

 

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Adrien Candiard, dominicain français, né le 31 octobre 1982, Vivant au couvent du Caire, il est membre de l'Institut dominicain d'études orientales.

Il est également l’auteur d’ouvrages à succès sur la tolérance, l’espérance ou la liberté intérieure. Depuis son couvent égyptien, il observe les débats qui traversent le christianisme, et tente d’y apporter sa contribution.

 

 

Ce qu’il aime :   

Saint Dominique a compris sa vocation de prêcheur en parlant de Dieu toute une nuit avec un aubergiste cathare, à Toulouse. Alors j’ai une affection particulière pour les bistrots, et tous les lieux où une rencontre informelle et gratuite est possible.Mansaf Mansaf  

 

Un plat :        Le mansaf : C’est le plat national jordanien, issu de la cuisine bédouine : Un plat très convivial, autour duquel on se rassemble.