La pêche artisanale… je m’y intéresse !
Après-midi partage et débat
Un après-midi partage et débat était organisé conjointement par l’Observatoire diocésain de la vie sociale et l’URCEAS (Union régionale des centres d’études et d’action sociale). Si Boulogne garde toujours la première place comme port de pêche en France, avant les ports bretons, quel intérêt portons-nous encore à la pêche artisanale, ses personnels, en quoi nos modes de vie influencent-ils la marchandisation des produits ? Quelle est la place de la pêche régionale dans le contexte européen et mondialisé ? Est-elle condamnée par les nouveaux comportements personnels et économiques ?
L’observatoire diocésain a été voulu par Mgr Jaeger en 2005 pour maintenir l’attention de l’Eglise et de ses services aux réalités socio-économiques du département. L’URCEAS fédère plusieurs centres locaux en Nord-Pas-de-Calais par un travail de recherche, d’animation et d’action, basé sur les principes de l’enseignement social de l’Eglise.
Quatre interventions croisées avec quatre intervenants abordaient le sujet sous des angles différents : le monde de la pêche artisanale (Mr Ramet, étaplois, marin-pêcheur) ; le point de vue des consommateurs (Mme Marie-Louise Depème, CLCV) ; Célia Podvin (ingénieure, représente la CLCV aux instances de la commission européenne) ; Régis Verley (journaliste, chargé de coordonner les numéros de la revue Savoir).
Vu par un marin pêcheur
Marin pécheur retraité, Mr Francis Ramet évoque ses fils et petits-fils marins, actuellement en mer, après des semaines d’inactivité pour raison de tempêtes. Ils partent dans la nuit du dimanche au lundi, pour rentrer le samedi. Le salaire dépend de la pêche mais plus encore des réglementations (quotas et rejets ; coût du gas-oil, qualité et prix de vente du poisson, minimas sociaux imposés). Le développement des règlementations lui donne l’impression qu’on cherche leur disparition : on veut récupérer la mer pour d’autres intérêts. La perspective de champs d’éoliennes complique leur travail : comment louvoyer sans risque entre ces pylônes ; bétonnage et frayères ne vont pas ensemble ; nouvelles normes européennes qui mettent en concurrence bateaux de pêche d’autres pays et les bateaux locaux, etc. La mise en place d’une législation plus tatillonne ne tient pas compte de la réalité du travail du marin pécheur. L’accusation de surexploitation du poisson par la pêche artisanale lui semble un faux procès. Chaque année voit diminuer le nombre des bateaux. Marins de père en fils, ils connaissent bien chaque coin de la mer et les lieux favorables. Mais quel sera leur avenir ?
Vu par une militante CLCV
Pour évoquer le point de vue des consommateurs, Marie-Louise Depème évoque la longue histoire de son association, la CLCV (ex CSCV) Consommation, logement et cadre de vie et se donne comme objectif la défense du consommateur. Le principe de l’action est le travail : consommateurs et producteurs ont des intérêts divergents. Les conflits entre consommateurs et producteurs est une très vieille histoire : on en trouve trace déjà dans la bible. La JOC dès ses origines utilisait la technique de l’enquête avant de mener l’action. Cette technique a été reprise par les adultes issus de la JOC. Ils fonderont la LOC qui deviendra le MPF et, bien plus tard la CSCV. L’adhésion est à la base du fonctionnement de l’association, fondée sur la conviction de base qu’il faut s’organiser pour défendre ensemble ses propres intérêts quand ils sont menacés par d’autres stratégies. L’évolution de la société modifie les attitudes de chacun, et aujourd’hui, on adhère plutôt en cas de besoin, de problème, et beaucoup moins par conviction. Pourtant les enjeux d’une stratégie commune des consommateurs est évidente pour Mme Depème.
Action locale et européenne de la CLCV
Mme Célia Podvin a développé au concret la présentation faite par Mme Depème : activités et informations auprès des consommateurs mais aussi sa représentation au niveau de la commission européenne, là où se prennent bien des décisions qui concernent le monde de la pêche… jusque dans l’assiette du consommateur ; réflexion sur la connaissance (ou la méconnaissance) qui influence la chaine économique depuis la pêche jusque chez nous (quelles espèces privilégions-nous dans nos achats dans les commerces ou supermarchés ?). Nous connaissons tous la remarque des enfants sur le poisson de la cantine qui a les yeux dans les coins… Sait-il seulement de où il vient ? Et nous ? Poisson pêché ou poisson de l’aquaculture, nourri aux PAT (productions animales transformées, plus connues sous le nom de farines animales) ? Mais savons-nous repérer quelles sont les origines des poissons consommés, par exemple qu’y a-t-il sous l’étiquette “Atlantique nord-est” : Mer du Nord, Mer celtique, Manche ou Mer du Nord… ? Ce combat se joue au niveau de l’acheteur, mais aussi auprès de la commission européenne, pour que les étiquetages comportent des labels plus précis, plus indicatifs. Nombreuses et diverses sont les activités au service du consommateur. Par exemple faire connaitre la liste des produits de saison, et donc les coûts les moins élevés. Apprendre lire les étiquettes mais aussi à rendre lisibles ces mêmes étiquettes. Souhaits de labels (ou logos) uniformes que l’on puisse reconnaître. Etudes et publications sur la constitution des prix… brefs tous moyens qui aident le consommateur à acheter en connaissance de cause d’une part (éducation du consommateur dit-on parfois), action en vue de faire valoir l’intérêt du consommateur avant l’intérêt de l’actionnaire… Il serait malséant de ne considérer ces activités que comme utopies !
Regard de journaliste
Le quatrième témoignage nous est donné par Régis Verley, journaliste. Pour lui ce sujet est “économique” ; la pêche artisanale se débat dans un monde en crise, et cela concerne toute la filière de transformation. On risque d’oublier ce que deviennent les hommes, les pêcheurs mais aussi tous les emplois induits. Quand on évoque la probable fermeture de Continental à Boulogne, il faut évoquer son approvisionnement affaibli en déchets issus de la transformation du poisson. C’est un handicap pour son équilibre financier, donc des licenciements, ce qui induit aussi des licenciements dans l’industrie métallurgique qui produit les boîtes d’aliments pour animaux etc. Vaste monde où nous sommes interdépendants, mais bien souvent sans le savoir.
Conclusion
L’intérêt de cette rencontre n’était pas seulement informatif et réservé à un public élitiste. Le débat qui concluait la rencontre invitait à penser à d’autres réalités tout autant concernées, par exemple le monde rural. On aurait pu aussi se demander en quoi le croyant est concerné par ces questions. Ce n’était pas prévu au programme, mais quand il était question d’intérêts divergents on aurait pu se rappeler quelques paroles du pape François, qui parle “d’intérêts du marché divinisé” devant lesquels tout ce qui est fragile se trouve sans défense. (Dans Evangelii Gaudium, par ex. n° 56, 199, le pape évoque les conflits d’intérêts divergents).
On lira avec intérêt le dossier de Savoir, “Pêcheurs d’Etaples : un monde ancien confronté aux nouveaux usages de la mer”. Savoir n° 645 de février 2014 contact@urceas.org, 70 Bd Vauban 59000 Lille
Abbé Emile Hennart