Les vendredis du Touquet

Conférence de Mgr Claude Dagens

                                      

Où nous conduit le pape François ?

 

Conférence de Monseigneur Claude Dagens, évêque d’Angoulême

 

Accueil : Monsieur l’abbé Guy Pillain, curé du Touquet.

 

touquetconferencedagens006 touquetconferencedagens006  Après avoir remercié Monseigneur Dagens de sa participation aux conférences d’été du Touquet, il remercie les nombreux participants ce 18 juillet. Il présente alors Monseigneur Dagens.

Claude Dagens, évêque d’Angoulême, est né dans un quartier de Bordeaux en 1940 et c’est dans cette ville qu’il a fait ses études au lycée Montaigne. Il entre à Normale sup et devient agrégé de Lettres. En 1975 il devient docteur en Lettres avec une thèse sur Saint Grégoire le Grand.
Il choisit de devenir prêtre et il est ordonné en octobre 1970 pour le diocèse de Bordeaux. Il exerce d’abord son ministère à Paris pendant deux ans puis à Bordeaux, de 1972 à 1987. En juillet 87 il est nommé évêque auxiliaire de Poitiers et consacré évêque en septembre 87. En juin 1993, il est nommé évêque coadjuteur de Mgr Georges Roi, évêque d’Angoulême auquel il succède le 22/12/93.

Il réfléchit beaucoup à la place des chrétiens dans la société à travers la question : Comment proposer la foi dans la société d’aujourd’hui ? Il dirige la publication de la « Lettre aux catholiques de France » pour laquelle il obtiendra le prix de l’Académie Française . Elu à cette même Académie en avril 2008, il succède

A René Rémond et il est reçu sous la Coupole le 14/05/2009.

Connu pour son questionnement sur l’Eglise dans la société d’aujourd’hui, on lui dit qu’il a certainement trouvé un allié dans la personne du pape François.

 

Mgr Dagens prend la parole et se félicite d’expérimenter l’hospitalité pratiquée dans l’Eglise catholique : « Je découvre une région que je ne connais pas bien : Berck, Le Touquet , Boulogne-sur-Mer. Je découvre la variété des paysages, la rapidité des changements de temps : ciel bleu, puis gris…Je suis heureux de retrouver Mgr Jacques Noyer. Je fais l’expérience de l’hospitalité et de la confiance.

 

Mgr Dagens en vient au sujet de l’entretien de ce soir : Où le pape François nous conduit-il ?

Le pape François nous conduit vers une rénovation très radicale de la vie chrétienne et de l’Eglise. Un renouveau de la vie chrétienne à partir du Christ mort, ressuscité et vivant. Notre Eglise un peu vieillie est capable de nous réserver de grandes surprises.

Il retrace alors la transition de Benoît XVI au pape François..

  • Le 11/02/2013 , le pape Benoît XVI a annoncé, en latin, qu’il renonçait à sa charge d’évêque de Rome pour des raisons de santé et de grande fatigue.
  • Le 28/02/2013, le pape part pour Castelgondolfo.

Le conclave se réunit pour l’élection d’un nouveau pape. Le mardi soir, une fumée noire s’élève dans le ciel de Rome. Le mercredi matin : même chose. Le mercredi soir, c’est une fumée blanche. J’ai alors prévenu les amis de Montmoreau chez qui je devais me rendre que je serai un peu en retard. A 20 heures j’entends : 

« Habemus papam », il s’appelle Jorge Marium Bergoglio. Je suis tombé à genoux, j’ai pleuré et, sur la route, j’ai appris le nom de pape qu’il avait choisi : François ! C’était déjà l’indication d’un engagement à suivre le chemin du riche fils du drapier fortuné d’Assise, Bernardone, lequel fils se dépouille de tout et même de ses vêtements, afin de suivre le Christ Jésus et de vivre sa joie.

Dès le premier moment, sur la place Saint Pierre à Rome, la foule attendait la bénédiction du nouveau pape. Or ce n’est pas par là que le pape François commence. Il déclare : « je vous demande de prier sur moi pour que la bénédiction de Dieu soit sur moi » (manifestation de son humilité) et il ajoute que nous sommes liés les uns aux autres : « Je ne serai pas seul ». Il renonce à habiter les appartements pontificaux mis à sa disposition (lesquels, dit-il, sont un entonnoir dont j’aurai peine à sortir). Il veut habiter au milieu des autres, à la Maison Sainte Marthe. Cet homme allait pratiquer le « nous ». Il est inséparablement lié au peuple.

 

Où nous conduit-il ? C’est un chemin ouvert, une route à parcourir. Dans son Exhortation apostolique et son ouvrage : « Evangeli Gaudium »(La joie de l’Evangile ), il présente une pratique du « vivre ensemble ». Il faut se mélanger, se rencontrer, se prendre dans les bras. Le pape François sait embrasser. Il faut se soutenir, participer à cette « marée chaotique » qui devient caravane solidaire. Il faut rencontrer l’autre dans un constant « corps à corps ». Cette réconciliation avec le « corps à corps » constitue une révolution de la tendresse.

Nous allons aussi vers une pastorale du cheminement. Il y a des routes et des portes à ouvrir. Le pape s’oppose à l’immobilisme. Il rejoint Jean XXIII qui disait :  « Je dois dire mon complet désaccord avec des pessimistes sans élan ». Je suis convaincu, déclare ensuite Mgr Dagens, que le pape François nous invite à un travail intense de conversion de toute l’Eglise. Il évoque aussi un livre de 1950 de Yves Marie Congar : « Vraies et fausses réformes de l’Eglise ».

Je vais maintenant, ajoute-t-il aborder en deux temps l’approche du pape François :

  1. Qui est cet homme ? Cet argentin préparé à la papauté par le travail de l’Esprit-Saint
  2. Mise en relief des grandes exigences du travail de conversion auquel nous sommes conviés

Dans les Etudes des membres de la communauté Sant’ Egidio, Mgr Dagens a trouvé un livre intéressant :

« In Argentina per conocere papa Bergoglio »(dans lequel on apprend qu’il a vécu sous des régimes militaires violents). Il cite aussi un livre de Victor Manuel Fernandez : « Ce que nous dit François » (Editions de l’Atelier).

Le nouveau pape naît en 1936 à Buenos Aires. Il a longtemps cherché sa voie. Il a commencé par faire des études de chimie, puis il a travaillé dans un laboratoire. Un collègue agnostique de cette époque a déclaré « qu’il essayait toujours de comprendre. » A l’âge de 20 ans, il connaît la maladie : une sérieuse atteinte pulmonaire. Une religieuse qui le soigne a l’intuition qu’il est capable d’assimiler de fortes doses de médicaments. Elle les lui administre donc , et il s’en trouve bien.

Un jour, il entre dans une église de Buenos Aires pour recevoir le sacrement du pardon. Il le reçoit et le prêtre lui dit qu’il est peut-être appelé à devenir prêtre. Il contacte alors les jésuites dont les grandes lignes de conduite sont : * le sens du discernement

                              *Le sens de la mission

                              *La discipline

Il est devenu jésuite , a voyagé en Espagne et au Chili. Il devient prêtre en 1969 puis provincial des jésuites en Argentine, à trente ans, sous un régime de dictature. Il est nommé évêque auxiliaire en 1992, puis coadjuteur de l’évêque de Buenos Aires. Il devient ensuite cardina            l en 2011 et il est élu pape le 13/03/2013.

  1. C’est un homme qui n’a pas cessé d’apprendre en répondant aux appels de Dieu
  2. Il est d’après le concile Vatican II, auquel il n’a pas participé
  3. Il a appris à aimer et à suivre le Christ à travers ses épreuves

Il respecte profondément le mystère de l’homme. Il rejoint par là le français Jean Luc Marion qui déclare que nous sommes « inconnaissables », un mystère. Nous avons besoin de respecter ce mystère chez les autres. Il faut que chacun apprenne à « ôter ses sandales devant la terre sacrée de l’autre » (comme Moïse devant le Buisson ardent du milieu duquel Dieu lui parle).

Ainsi le pape tient-il au principe de respect qui doit nous animer devant les autres. Interrogé à propos des personnes homosexuelles il répond : « Si quelqu’un est gay et qu’il cherche le Seigneur, qui suis-je pour le juger ? ». Quand Dieu regarde une personne homosexuelle , la regarde-t-il avec affection ou la repousse-t-il ? Il se voit lui-même comme un pécheur sur lequel le regard du Christ s’est posé.

 

Le pape François, alors évêque, a vécu une expérience très rude de gouvernement. En 1973, les évêques argentins sont très divisés. Le général Peron instaure un régime autoritaire alors que sa femme, Evita, est considérée comme une madone pour le pays. Il est renversé en 73 puis revient en 74 et meurt. S’ensuit un  régime militaire sanglant. Il y a beaucoup de prisonniers. Des femmes « les Mères de Mai » protestent contre la disparition ou la mort de leurs enfants. Jorge Bergoglio est, à cette époque, provincial des jésuites. Il vit le dilemme de la fidélité à son ordre et de la compréhension de ceux qui choisissent de vivre la « théologie de la libération ». Aussi a-t-il averti ses camarades des dangers qui les menaçaient. Il ne les a pas dénoncés. Il a essayé de les protéger. Ensuite  il cesse d’être provincial, devient supérieur d’un collège jésuite à Buenos Aires. On l’envoie en Allemagne à Francfort, puis il s’en va à Munich. Il travaille sur les archives de Romano Guardini, un théologien allemand.

Revenu en Argentine, Jorge Bergoglio est envoyé à Cordoba (Argentine) où il devient confesseur et accompagnateur spirituel. A travers cette activité il a appris l’art du discernement et la « casuistique », l’analyse au cas par cas.. Comme confesseur il se demande devant une personne qui cherche Dieu et sa grâce, que faire ? Il faut con sidérer les choses au cas par cas , partir de l’essentiel : l’amour de Jésus Christ. Il y a un grand déplacement de perspective, on s’appuie sur une hiérarchie des vérités, pas des principes.

     La pastorale missionnaire, elle, passe par une série de choses compliquées mais on s’attache à ce qui « aimante », à ce qui rend le cœur tout brûlant.

La saveur et la fraîcheur de l’Evangile ne doivent pas disparaître.

Jorge Bergoglio a eu une charge d’évêque sous les régimes successifs de l’Argentine :

*Sous Peron. Il y avait alors recherche d’indépendance économique, de justice sociale mais aussi du militantisme nationaliste, une idéologie de droite pour la défense de la morale et de la culture chrétiennes

*Sous Videla : Vingt ans de dictature sanglante (répressions, disparitions, tortures, exécutions)

*Sous Kirchner (Cristina) Grands travaux, nationalisations
Invité à une traditionnelle « messe pour la patrie », Bergoglio qui a vu « la misère de son peuple » le dit. On le tient alors éloigné des milieux de la présidence . Il attendra 7 ans pour obtenir un rendez-vous à la présidence mais…quand il arrive à Rome, Mme Kirchner se précipite pour lui rendre visite. Pendant ces années, il n’a pas pris parti, politiquement mais il a vécu « sel de la terre et lumière du monde »

Le chrétien a vocation d’entrepreneur. Il doit se laisser interroger par un sens plus large de la vie. Il faut assurer la promotion intégrale des pauvres, laquelle dépasse le simple assistanat.

Rencontrant le chef de la communauté Sant’Egidio à Rome, Mgr Dagens déclare que ce dernier lui a dit : « J’ai vu le pape hier. Je l’ai trouvé préoccupé. Ce n’est pas un homme tranquille, à cause du Christ. Il avertit nos sociétés de ce qui les rend inhumaines. Il rappelle que le Christ est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Les prédécesseurs du pape : Jean XXIII, Paul VI, Jean Paul II étaient liés à Vatican II. Lui, il est différent. Il n’a pas participé à Vatican II. Nous sommes libres pour recevoir Vatican II et vivre un temps de renaissance. Il faut pratiquer, sans en faire une théorie, de l’intérieur, le mystère du Christ et de l’Eglise . Dans « La joie de l’Evangile »il dit (271) « Nous sommes appelés à vaincre le mal par le bien, sans nous lasser de faire le bien et sans prétendre être supérieurs […] Il est évident que Jésus Christ ne veut pas que nous soyons comme des princes, qui regardent avec dédain ; mais que nous soyons des hommes et des femmes du peuple […] ainsi nous ferons l’expérience de la joie missionnaire de partager la vie avec le peuple fidèle à Dieu en essayant d’allumer le feu au cœur du monde.

 

 Quel est ce travail de conversion, d’engagement et de discernement auquel nous sommes conviés ? Le pape ne prend pas de vacances, n’a pas de piscine. Il préconise des réformes urgentes comme celle de la Curie romaine. Il engage à la réforme des caractères et des mœurs (fin des « mondanités spirituelles ») Il faut lutter contre « l’esprit de cour », la prétention de dominer l’espace de l’Eglise, la tentation de donner une importance exagérée au « decorum » de la liturgie (qui devient pièce de musée). Il convient de ne pas abuser des dîners-réceptions ; de ne pas donner dans un fonctionnement de type « managers » dans un comportement privé du sceau du Christ incarné, mort et ressuscité.

Il faut retrouver les classes moyennes de la sainteté : nos visages. Les grands services de l’Eglise doivent apprendre à travailler ensemble , parler, se rencontrer. La fraternité doit se manifester dans le corps du Christ que nous formons.

Le cœur de Dieu doit être en lien avec les périphéries de l’existence. Dans les déclarations du pape François, le verbe sortir est employé très fréquemment. « Sortons pour offrir la vie de Jésus. » Je préfère, dit le pape une Eglise pas toujours rangée et impeccable à une Eglise enfermée. Il faut abandonner les habitudes de vie où nous nous sentons tranquilles. Rappelons-nous les paroles du Christ : « Donnez-leur vous-même à manger »Le pape est allé à Lampedusa rencontrer les migrants, comme il y en a à Calais. Il faut dire non à la mondialisation de l’indifférence.

François exerce la mission prophétique d’un cœur qui voit la misère. Je me souviens, sous la Coupole, dit Mgr Dagens, d’avoir cité l’Evangile de Luc (23) où il est question des deux larrons entourant Jésus sur la croix et de la parole du Christ à celui qui lui demandait : « Souviens-toi de moi lorsque tu seras dans ton royaume » et la réponse de Jésus : « Aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le paradis ». Il se souvient aussi d’une citation du pape à propos de la miséricorde de Dieu : « celle-ci est le propre de Dieu, c’est là où se manifeste sa grandeur. Souvenons-nous aussi de l’Evangile rapportant l’histoire de la femme adultère :Dieu ne se lasse jamais de pardonner. Nous ne devons pas avoir peur de la bonté, de la tendresse de Dieu.

Il faut du temps pour entendre ces appels, prendre un autre point de départ. Il faut se souvenir que :

  • Le tout est plus important que les parties
  • La réconciliation est plus efficace que les conflits
  • Le temps est plus important que l’espace (il ordonne les espaces)

Il faut des dynamismes nouveaux dans la société à promouvoir. Prions pour que le pape François puisse réaliser cela. Que fait Marie, mère de Jésus ? Elle porte son Fils au monde. Si l’Eglise ne porte pas Jésus au monde, elle est morte.

Mgr Dagens conclut : « J’ai regardé le pape François face à face et j’ai vu ses yeux, ils sont marron clair. J’y ai lu l’attention, la bonté et l’inquiétude. Nous abordons un temps d’épreuves et de renaissance.

 

Echange avec les participants

 

  1. Nous avons vécu Vatican II, pourquoi sommes-nous déjà en renaissance ?

La réception d’un concile demande toujours des décennies et elle est suivie de crises. Dans le passé, la crise entre l’Egypte et l’Occident (arianisme) a duré deux siècles. Au concile de Trente, il a été question d’instaurer des séminaires…Il n’y en avait toujours pas à l’époque de saint François de Sales. Vatican I a été un concile inachevé. Vatican II a repensé le travail des évêques.

Avec beaucoup nous commençons à dire : « L’Eglise, c’est nous »

 

  1. Une question concernant Mgr Lefèvre : le pape va-t-il essayer de ramener les lefévristes dans l’Eglise ?

Bien du temps a passé depuis le schisme de1988. Benoît XVI a essayé une reprise de contact. En 98, Joseph Ratzinger est élu pape. Il traite le dossier personnellement avec son secrétaire. On a cru que ça allait marcher. Eh bien non. Quelques mois avant la démission du pape, lors d’une importante réunion s’est posé  la question : faut-il continuer les travaux de rapprochement ? En 2012 Benoît XVI répond : j’ai compris que le litige n’était ni d’ordre théologique, ni liturgique mais psychologique. Les « partisans » de Mgr Lefèvre venaient de familles extrêmement divisées (raisons d’héritages). Ils avaient subi des souffrances personnelles et familiales. Il fallait leur apprendre la force de la réconciliation et du pardon, la leur proposer. Pour eux, Vatican II c’est de l’hérésie. Certains laissaient entendre que, s’il y a une réconciliation « au ciel », sur la terre il y a une victoire du mal (ce qui rejoint le gnosticisme) ( Cf Mgr Ferret.) En fait les questions de théologie et de liturgie ne sont qu’un prétexte à la rupture et Benoît XVI l’avait bien compris.

 

  1. Comment l’Amérique latine accueille-t-elle l’idée (très présente chez elle) du Coeur de Jésus ?

Le culte du Cœur de Jésus n’est pas nouveau et il n’est pas l’apanage de la seule Amérique latine. Il fait partie de la foi commune de l’Eglise Catholique.

 

Bonne lecture, rendez-vous pour ceux qui le peuvent, Vendredi prochain    Edwige

 

Vous retrouverez l’intégralité de sa conférence en cliquant sur le lien ci-après :

 

http://ftpslec.no-ip.info/shares/ftp/02%2520conference%2520Claude%2520Dagens.MP3

 

Vendredi 25 juillet à 20h30

Annexe de l’église du Touquet

 

Conférence de monsieur l’abbé Christian Vénard

Parachutiste et prêtre aumônier des armées

 

« Un prêtre sous les drapeaux, pourquoi faire ? »

Article publié par Michèle Leclercq • Publié • 1670 visites