La tentation de l'Hermite

"La tentation de l'Hermite" Texte de Loïc DUHANEL Paroisses des Quatre Evangélistes du Ternois

 

La tentation de l’Hermite.

 

              Nous vous parlions dans notre dernière édition de l'influence du culte sur nos récits et légendes locaux. L'un des conteurs les plus renommés de la région est né à Saint-Pol, en 1849. Il s'est beaucoup impliqué dans la vie locale, et c'est par l'un de ses ouvrages, rédigé en patois, que nous est parvenue la légende de l'Ermite des Blancs-Monts racontée ci-après.

Nous sommes quelques temps avant la Révolution française. A cette époque, à l'écart sur le Mont, se tient près d'une source une petite maison où vit un anachorète, c'est à dire un ermite, retiré afin de se consacrer à la prière.

 

              A l'ermitage se pressent les polopolitains d'alors, afin d'obtenir conseils et protection de la part du religieux, qu'ils échangent contre des vivres. La sagesse de cet homme est telle qu'on le cite en exemple ; il se fait généreux et altruiste, ce qui le rend populaire dans les environs.

Un beau jour, en chemin vers la source pour y puiser de l'eau, notre ermite croise un homme imposant, vêtu d'un long tablier noir, caractéristique d'une profession de l'époque : les étameurs. Tenant sur son dos des poêles et des ustensiles de cuisine, il occupe toute la largeur de la voyette menant à la source, ce qui susla tentation la tentation  cite chez l'ermite un certain courroux. L'étameur finit par se retourner, demandant à l'ermite de lui acheter une poêle.

 

             Après tout, c'est bientôt Pâques, et les festins qu'occasionne en temps normal cette fête justifieraient cet achat. Énervé d'avoir été retardé, l'ermite se fâche, arguant qu'il ne mange que des végétaux, et qu'il a été assez ennuyé par cet indésirable. Il n'achètera donc pas de poêle à l'homme, qui ricane et crie, alors qu'il le dépasse : « Un bon homme comme vous ne devrait pas s’énerver… ! »

 

          Puisant son eau à la source, l'ermite commence à être envahi de visions ; que de bonnes choses il aurait pu préparer dans cette poêle ! Cochon, bœuf... Des saucisses, du jambon ! Ces visions sont telles que l'odeur lui monte au nez, et devient même entêtante. Pour bannir ces mauvaises pensées, il rentre chez lui, s'agenouille face à son crucifix, priant toute la nuit.

 

              Le lendemain, c'est le vendredi saint. Descendant en ville pour le prêche de la passion, il trouve sur son chemin des paysans allant au marché pour vendre leurs volailles. Et là, les visions reviennent ! Il salive, et à bien du mal à se débarrasser des tentations qui lui hantent l'esprit. Face à lui, soudain, une horde de diables noirs se dresse ! Il essaie de passer outre mais rien à faire, une force l'attire, et l'oblige à les suivre vers son ermitage. Et là, à côté, se dresse une grande maison, peuplée de marmitons, dansant avec des animaux sacrifiés pour être cuisinés dans une grande cheminée. L'ermite dépassé s'assoit à la table, et, alors qu'il s'apprête à prendre la première bouchée d'un beau boudin disposé sur la table, il voit, dans un coin de la pièce, l'étameur au grand tablier noir, qui ricane de son rictus caractéristique.

Reprenant alors soudainement ses esprits, l'ermite se lève et court vers sa cabane, prenant un goupillon d'eau bénite, qu'il asperge sur l'assemblée. Cela a pour effet de transformer la vision en fumée.

Rentrant chez lui, il se fit la promesse de ne plus jamais s'emporter, et de ne jamais plus être tenté...

 

              Le récit que nous vous avons rapporté ici fut publié en 1902, et servit bien souvent dans le ternois pour calmer ceux dont l'esprit s'emportait...

 

 

Une illustration faisant penser à ce récit... D. TENIERS II, La tentation de Saint Antoine

 

Loïc Duhanez