le Dimanche 31 oct 2021


Le dimanche 31 octobre Mgr Olivier Leborgne venait célébrer l'eucharistie dans notre paroisse Notre Dame du Haut-Pays. L'église était pleine et de nombreux paroissiens sont venus nous demander si nous avions le texte de son homélie.


Ce jour-là deux familles se rencontraient à l'occasion des fiançailles de leurs enfants, Juliette et Antoine (explication utile pour comprendre certains passages du texte). Les familles avaint souhaité que cette journée démarre par l'eucharistie. Ils ont eu la surprise de découvrir que notre évêque était présent. Grâce à l'enregistrement puis à la retranscription effectués par Monsieur Yvon Pérès, nous avons plaisir à mettre en ligne ce magnifique texte. Nous lui renouvelons tous nos remerciements.

 

Si Dieu nous commande c’est parce qu’il veut la vie ; c’était dans la 1ère lecture, vous l’avez entendue : « Tu observeras tous ces commandements et ces ordres que je te prescris aujourd’hui et tu auras longue vie. » La question est de savoir si nous voulons vivre, et pas seulement survivre. Notre société bien souvent ne crois plus qu’il est possible de vivre et s’enferme dans une survie individualiste et mortifère.
Si nous ne voulons pas survivre mais vivre vraiment, alors il n’y a pas d’autre solution que d’aimer.
Permettez-moi de vous partager un petit souvenir qui m’est revenu : j’avais 21 ans, j’annonçais à mes frères, à mes parents que j’allais quitter mes études pour entrer au séminaire. Mes parents me disaient que ce n’était pas une bonne idée. Je quittais mon école avant l’obtention du diplôme, je comprenais qu’ils me le disent et ils me donnaient tous les arguments raisonnables, et ils avaient raison. Trois jours après, je reçois une lettre de mon père : « Olivier tu viens de nous annoncer à ta mère et à moi-même que tu voulais entrer au séminaire... » - et Dieu sait qu’ils n’ont pas été contents d’avoir un fils qui pense à être prêtre - mais il m’écrit : « c’est une bêtise et voilà pourquoi. » Une page de raisons très raisonnables et que j’entendais ; et puis à la fin mon père conclut : « Mais Olivier, il n’y a qu’une chose importante dans la vie, c’est d’aimer. Alors aime, et aime à tout casser. Ton père qui sera toujours avec toi. » Quand vous avez une vingtaine et que vous recevez ces mots de votre père, vous êtes armés, boostés pour la vie.
Il n’y a qu’une seule chose importante, c’est d’aimer. Mais la question est de savoir ce que veut dire aimer : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » nous dit Jésus. Qu’est-ce que ça veut dire que d’aimer, ce n’est pas si simple.
Aimer n’est pas simplement se sentir bien avec l’autre. On réduit trop souvent le fait de t’aimer à « je me sens bien avec toi ». « Triste amour » dit André Comte-Sponville qui n’est pas vraiment un chrétien mais qui a de belles réflexions sur l’amour, « triste amour qui n’est amour que de soi. » Quand je réduis l’amour au fait de me sentir bien avec toi, en fait je ne t’aime pas. J’aime mon cœur qui chauffe, et tant que tu le fais chauffer c’est bien, sinon c’est la porte ouverte à la société du déchet : quand tu ne fais plus chauffer mon cœur, tu peux partir. C’est l’amour-pompe à chaleur, mais je n’aime pas l’autre, j’aime mon cœur qui bat. J’espère Antoine et Juliette que vous aurez plaisir à être ensemble ; mais si vous réduisez l’amour seulement à vous sentir bien l’un avec l’autre, il ne durera pas parce que, même dans les plus belles amours, il y a des moments qu’il faut traverser autrement qu’en se sentant bien l’un avec l’autre.
L’amour fondamentalement, je le crois, c’est : je veux ton bien. Et ce n’est pas si simple que cela. L’amour me décentre de moi et m’invite à voir le bien de l’autre sinon l’amour de l’ennemi n’est pas possible or Jésus nous invite à aimer nos ennemis. De deux choses l’une : soit Jésus nous dit quelque chose que nous pouvons faire, soit il nous dit quelque chose que nous ne pouvons pas faire, et si nous ne pouvons pas le faire, c’est qu’il se moque de nous. Aucun éducateur ne demanderait à quelqu’un, à un jeune, de faire quelque chose qu’il ne pourrait pas faire ou alors cet éducateur serait inique. Je pose l’hypothèse que Jésus n’est pas inique, donc s’il me demande d’aimer mon ennemi, c’est possible. Et c’est là que l’amour ne peut pas être seulement « je me sens bien avec toi » parce qu’avec mon ennemi, je ne me sens pas bien. En revanche, je peux vouloir le bien de mon ennemi : « je veux ton bien. »

Qu’est-ce que c’est de vouloir le bien de l’autre ? Est-il possible pour une victime d’aimer son bourreau ? N’est-ce pas odieux de le demander ? Méfions-nous d’aller trop vite à dire qu’il faut aimer. Les chrétiens pourraient être suspectés soit de mièvrerie – ils ne savent pas ce dont ils parlent et nous avons fait parfois de l’Évangile quelque chose de mielleux, de doucereux qui n’a aucun intérêt – soit ils disent : « parlez encore et vivez de ce que vous dîtes, et vous en vivez si mal » – et l’actualité nous le montre : nous ne sommes pas crédibles.
« Je veux ton bien » : je ferai tout pour te puisse grandir vers ce bien qui ne m’appartient pas. Jusqu’à servir la vérité, et si jamais tu as erré, si jamais tu as agressé, alors t’aimer c’est vouloir la vérité, c’est vouloir la justice, et là je ne lâcherai rien. Nous avons trop pensé qu’il fallait sauver la réputation de l’Église : nous n’aimions pas les victimes. Parce que nous aimons les victimes et que nous voulons aimer le bien des agresseurs, alors nous exigeons justice. Parce qu’il n’y a pas de charité, de plénitude du bien sans mettre la vérité dans ce qu’on a fait, c’est un service qu’on rend. Si vous m’aimez frères et sœurs, quand bien même je suis votre évêque, si vous percevez que je prends un chemin qui n’est pas un chemin juste, si je fais des choses qui ne sont pas conformes à l’Évangile, sois vous m’aimez et vous me le dites, soit vous vous taisez parce que « c’est l’évêque et il ne faut rien lui dire » et vous ne m’aimez pas. Moi, comme votre évêque, j’ai droit à être aidé : aidez-moi ! Comme j’ai envie de vous aider.
Aimer, c’est voir le bien de l’autre et ce n’est pas si simple. Si nous continuons à réfléchir, il y a des gens qui savent très bien quel est ton bien et qui te l’imposent et c’est insupportable. C’est servir le bien de l’autre qui ne m’appartient pas.
Il y a trois mots en grecs : eros, philia et agapè. Eros c’est l’amour de désir – même si notre société a dévoyé l’érotisme. J’espère qu’il y a du désir entre vous Antoine et Juliette.
Mais cet amour risque de tomber dans la consommation de l’autre s’il n’est pas assumé dans un amour plus profond, philia, l’amour d’amitié : « Tu es là, je suis là, tout est bien. » J’ai vu un couple qui fêtait ses 60 de mariage – Antoine et Juliette c’est devant vous – 60 de route ensemble et on sentait : « Tu es là, je suis là, tout est bien. »
Mais il y a encore un autre mot dans l’Écriture, agapè, l’amour qui dit Dieu, l’amour qui se donne pour faire exister l’autre mais sans être propriétaire de l’autre – un autre mot de la chasteté. Un amour qui donne à l’autre tout l’espace dont il a besoin pour grandir, qui se donne pour le faire grandir, et qui refuse d’être propriétaire de l’autre et du don qu’il fait de lui-même. Ainsi est l’amour, le don de Dieu qu’il fait à chaque Eucharistie : c’est Dieu dans la plénitude de son être, Christ ressuscité qui se donne à nous. Dans la banalité d’un morceau de pain, c’est réellement le Christ ressuscité qui se donne complètement dans nos existences et, en même temps, il ne manipule rien.
L’amour d’agapè, cet amour qui se donne en créant l’espace pour que je grandisse. On ne peut aimer parfois des gens qui ont pris tout l’espace. Il y a des amours qui occupent tout l’espace, qui sont des amours narcissiques. Quand je prends tout l’espace, c’est que je veux exister. Tu as le droit d’être blessé dans ton amour narcissique, mais ce n’est pas l’amour. L’amour ne sursature pas l’espace, il le libère pour que tu puisses marcher vers ton bien. Dans la vérité, c’est nécessaire, avec force et fermeté ; et en même temps je ne suis propriétaire ni de toi ni même du don que je te fais de moi-même.
L’amour est une question de vie, mais ce n’est pas si simple. Aimer celui ou celle avec qui on a envie de passer 60 ans, 80 ans peut-être.
Aimer ceux que l’on n’aime pas. J’y pensais en roulant... Je ne sais pas dans quel paysage politique se trouvent les gens que vous n’aimez pas : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Comment aimer pour certains M. Macron ? Pour d’autres M. Zemour ? Pour d’autres M. Melanchon ? Est-ce que l’Évangile dit des choses vraies ou est-ce que c’est du vent ? C’est jusqu’à ce point-là ! Cela ne veut pas dire que je suis d’accord avec eux, nous avons le droit d’avoir des opinions différentes. Mais est-ce que nous les portons dans la prière ? M. Melanchon, M. Macron, M. Zemour... tous les hommes et femmes politiques.
Aimer, c’est vital : il n’y a pas de vie hors de l’amour et en même temps comme c’est compliqué non seulement à décrire mais surtout à vivre.
Alors j’ai toujours été frappé par quelque chose dans l’Évangile : « quel est le plus grand des commandements ? » Jésus dit : « Le premier : tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Le second – et dans un autre évangile Jésus ajoutera « qui lui est semblable » mais qui demeure second – tu aimeras ton prochain comme toi-même. » C’est capital, frères et sœurs, les deux sont donnés en semble mais il demeure une hiérarchie. Non pas que Dieu nous dit : « aimez-moi d’abord et les autres après. » Non, chassez le Dieu pervers qui traîne dans vos esprits. Pourquoi Dieu veut que nous l’aimions en premier ? C’est parce qu’aimer Dieu c’est apprendre à me laisser aimer par Dieu. C’est ce Dieu qui se dépouille à chaque eucharistie, c’est ce Dieu qui se donne pour me faire exister et l’aimer c’est mourir, c’est me rendre disponible, c’est l’accueillir en moi et alors, peut-être que l’amour du prochain jusqu’à l’amour de l’ennemi va devenir possible, parce que j’ai tant de mal à aimer.
Cela devient une promesse : le Christ ressuscité vient aimer en vous, Juliette et Antoine, ne le lâchez jamais, il est le secret d’un amour réussi. Et plus vous aimerez Dieu, plus vous apprendrez à vous aimer : comme Dieu aime votre conjoint ! Je peux vous le dire : cela va vous emmener ailleurs qui si vous vous aimez sans lui. Bien plus haut. Le premier commandement, l’amour de Dieu, est la condition du second commandement, l’amour du prochain. C’est capital. Vivez de l’Eucharistie, vivez de l’adoration du Seigneur dans sa Parole méditée, dans la prière. L’adoration du Seigneur, il n’en a pas besoin. Quand Dieu nous commande quelque chose, ce n’est pas pour lui, c’est pour nous. Parce qu’il n’y a pas de vie hors de l’amour et qu’il n’y a pas d’amour véritablement possible sans que lui vienne aimer en nous.
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force et tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

 

Homélie du 31° dimanche ordinaire :  Dt 6,2-6 - HB 7,23-28 - Mc 12,28b-34