Prêtres africains au service du diocèse

Témoignages

  Jacques Tangombé Jacques Tangombé    Six prêtres originaires de l’Afrique subsaharienne assurent un ministère dans quelques paroisses du diocèse. A l’occasion de la semaine missionnaire mondiale et du synode des évêques, Eglise d’Arras leur a demandé qui ils étaient, comment ils étaient reçus, comment ils percevaient le rapport au religieux chez nous. Auguste Agbodjan, originaire du Togo est à Norrent-Fontes. Barthélemy Enama, du Cameroun, à Lapunoy. Thomas Nkoulou, du Cameroun est à Saint Pol sur Ternoise. Éloi Romba, du Burkina Faso, est au Portel. Jacques Tangombé, de la République Démocratique du Congo, réside à Pas en Artois.

Auguste Agbodjan,

  

Agbodjan Agbodjan  Auguste Agbodjan, ordonné en 1998, a été professeur de séminaire, en paroisse et en aumônerie de lycée au Togo. Aujourd’hui, il est étudiant à la faculté de droit de la Catho de Lille et exerce, avec l’Abbé Michel Delannoy, un ministère dans les paroisses « Sts Lugle et Luglien » et « Pays de St Benoît Labre », soit 16 clochers, autour de Lillers et Norrent-Fontes.
Depuis mon arrivée en février 2007, je me sens très bien accueilli à la fois par les prêtres du secteur et par les chrétiens. J’emprunterais volontiers les mots de la deuxième lecture de ce 27e dimanche pour dire, à l’instar du Christ, que je n’ai pas honte d’appeler « mes frères et mes sœurs », tous ceux que je rencontre. C’est ce que je fais à chaque Eucharistie. Grâce à l’amitié de tous - j’insiste sur celle des confrères – le projet impossible d’être en paroisse tout en faisant des études lourdes se transforme en réalité difficile. Merci à chacun !


Agbodjan Agbodjan  La difficulté de ce deal est en plus amoindrie grâce à l’implication dans la vie paroissiale de plusieurs chrétiens. La coresponsabilité laïc-prêtre, nécessaire en tous lieux et en tous temps, est au surplus une chance pour l’Eglise ici confrontée à une pénurie de prêtres. Il ne s’agit pas que les laïcs remplacent les prêtres mais que ces derniers, en nombre décroissant, ne voient pas leur charge alourdie par des rôles à la périphérie de leur mission spécifique. Il y a là une collaboration fructueuse à développer dans le respect des rôles de chacun. A l’inverse de cet atout parmi tant d’autres, les freins à la foi sont nombreux.
A mon sens, être chrétien c’est être relié au Christ ; une relation qui implique une vie de foi aux dimensions à la fois personnelle et collective. Les deux sont indissociables et se nourrissent mutuellement. J’ose dire qu’on peut être baptisé sans être chrétien. C’est le cas lorsqu’on n’entretient plus de lien avec la communauté. Or cela est très commode ici (en Afrique, la communauté est importante). A cela, il y aurait plusieurs raisons dont deux essentielles :
- Une exagération à outrance de la dimension personnelle de la foi : « la foi relève de la vie privée ». Lorsque cette exagération se renforce de l’individualisme sociétal, la conséquence est triste: on gère la foi comme on veut ; on y met ce qu’on veut croire ; on ne revient vers la communauté que pour demander des rites. Bref : une foi taillée sur mesures. Or, sans la vie avec la communauté, il n’y a pas d’écoute de la parole de Dieu. Certes il y a une foi. Mais est-ce une foi au Dieu révélé ou à celui de sa raison propre? N’y aurait-il pas là une idolâtrie de bonne foi ? Les « maisons d’évangile » sont en ce sens une belle initiative.


- Une coïncidence à plusieurs niveaux de certaines valeurs chrétiennes avec les valeurs laïques. Cela prouve les racines chrétiennes de l’Europe. Par exemple, la charité chrétienne et la fraternité universelle. Ce fait, en soi heureux, comporte le danger de réduire la foi chrétienne à une idéologie. Or, pour croire en Dieu, il ne suffit pas de vivre des valeurs (ce que peut faire un idéologue) mais aussi d’être en relation avec Dieu. Cette relation aux personnes divines implique, entre autres attitudes, la prière. De son côté, la science fait tellement de prouesses et nous remplit de tellement de rêves que, pour beaucoup, prier semble une naïveté. Rejoindre la communauté en prière ou prier personnellement ne semble plus alors une nécessité. Or la foi se nourrit de prière.
La mission n’est pourtant pas impossible. La moisson est simplement abondante.

 

Eloi Romba,
 


Eloi Romba, originaire du Burkina Faso, a été ordonné le 5 juillet 1980. Après quelques années en paroisse, des études de journalisme à Lille, une dizaine d’année comme directeur de la radio diocésaine à Ouahigouya, il est en mission à Boulogne sur mer depuis 2005. Sa vocation il la doit en partie à un Père Blanc, originaire de Tourcoing, Christophe Tiberghien. Aujourd’hui il apprécie l’accueil qui lui est fait par les prêtres et les fidèles.

 

Ministère, apostolat et évangélisation ;
S’il apprécie ce qui lui est demandé dans son ministère, il exprime une difficulté : « celle qui provient de la tendance à réduire l’apostolat à la sacramentalisation : messes, baptêmes, mariages, etc., comme s’il suffirait de bien préparer ces célébrations et tout irait très bien ! Mais à la longue le prêtre se lasse de se voir réduit à être « une machine à messes » au point de perdre de vue l’ensemble de la vie des fidèles. Comment aider les gens à « vivre leurs prières et à prier leur vie » ?


L’Eglise pour nous en Afrique, est « la famille de Dieu parmi les hommes ». Une famille où chacun a sa place et son rôle à jouer. Tout comme dans la famille de sang. Mais la famille n’a pas toujours le même visage ici que chez nous. Peut-être ceci explique cela. …
La collaboration avec certains laïcs coince parfois. Certains et certaines deviennent des « curés ». On pourrait reprocher à certaines communautés leur « laïcalisme », tout comme on a reproché aux prêtres leur cléricalisme.» Son expérience passée en Afrique l’aide à mesurer quelques différences dans le rapport au religieux, à la foi.

De prime abord j’ai été surpris du petit nombre des fidèles aux célébrations dominicales. Chez nous, en Afrique, les églises s’avèrent petites, ne peuvent pas contenir les fidèles et ici elles sont vides. Notre diocèse est une Eglise née après le concile et n’a que 50 ans. C’est une Eglise qui essaie d’adapter ses liturgies à ses coutumes et aussi au modernisme, avec une facilité de changer, de s’adapter. Ici je trouve une Eglise préconciliaire, qui semble figée sur certains points. Une Eglise qui donne l’impression de « ployer sous le poids de l’âge et des habitudes ». Un refrain que j’entends souvent : « on a toujours fait ainsi, il n’y a pas de raison de changer ». Une église où les liturgies ont besoin de plus de vitalité.

 

De son ministère en Afrique puis en Pas-de-Calais, il émet quelques questions:
Après cinq ans de présence ici je me pose certaines questions qui me paraissent fondamentales sans toujours y trouver des réponses :
- La place de Jésus dans la vie de nos communautés chrétiennes de base et dans certaines de nos célébrations. « Pour vous qui suis-je » ? Il serait bon de rappeler à certains, laïcs comme prêtres, « pour qui nous roulons ? ».
- La place de la Parole de Dieu dans nos vies de foi. Il n’y a que la messe qui compte pour beaucoup.
- La place et le rôle du prêtre dans une église où les vocations sacerdotales sont en diminution. N’est-il pas urgent de revoir le statut et le rôle du prêtre dans l’animation des communautés de base ?
- La formation continue des chrétiens : nous baptisons, nous marions, mais après ? On ne les voit plus. Comment favoriser une rencontre personnelle avec Jésus ?
- La place des jeunes et des enfants ne semblent pas trouver leur place dans nos assemblées paroissiales.
La vie est belle. 
 

Barthélémy Enama

 

Barthélémy Enama ordonné prêtre le 6 décembre 2003, est né le 17 décembre 1975 à Yaoundé, capitale du Cameroun et siège des Institutions. Issu d’une famille profondément chrétienne, j’ai très vite embrassé la foi grâce à ma maman alors catéchiste et rappelée vers le Père le 7 mars 2009. Elle aura été la « boulangère » essentielle de ma vie. Elle s’est sacrifiée et saignée, pour m’assurer une éducation tous azimuts.

Né dans un quartier assez mal famé et dans le tumulte embarrassant où se côtoyaient et s’entremêlaient certainement le bon et le mauvais, mais où le négatif semblait s’être royalement installé (vol, banditisme, délinquance juvénile, prostitution, pauvreté etc.), ma maman m’a permis de tirer mon épingle du jeu, grâce à sa pugnacité, sa ténacité, son courage, son abnégation, sans grands moyens matériels ni financiers. Elle s’est privée pour ma scolarité dans établissements privés catholiques : école, puis petit Séminaire Saint Joseph d’Efok, du diocèse d’Obala, puis Grand séminaire, où il fallait payer sa scolarité.


Un parcours aux multiples responsabilités et péripéties.

Après l’obtention de mon Baccalauréat « A » Philo, je vais au Grand Séminaire de Nkol-bisson à Yaoundé, et concomitamment à l’Université Catholique d’Afrique Centrale pour des études de Philosophie, après être passé bien sûr par une année de Propédeutique à Otélé. Au bout de deux ans, j’obtiens un D.E.U.G. et un Baccalauréat Canonique en Philosophie. C’est alors que je suis envoyé en stage canonique au Petit Séminaire d’Efok où j’aurai été précédemment formé. J’y ai assuré la tâche d’économe. Le stage terminé, je commence trois années de Théologie à l’Université Catholique au bout desquelles je suis ordonné Diacre pour le compte du diocèse d’Obala en 2002. Après un stage pastoral en paroisse comme vicaire, je suis ordonné prêtre le 6 décembre 2003. Je suis alors nommé curé, l’année suivante, dans une paroisse qu’il fallait porter sur les fonts baptismaux. Une paroisse très pauvre et sans presbytère, mais riche de ses fidèles et de la foi qui y était vécue. Heureusement encore ! En même temps que mes fonctions de curé, je poursuis des études de Philosophie à l’Université de Yaoundé. En cours d’année de Maîtrise option Philosophie morale et politique (le système LMD se mettant encore timidement en place), je reçois un coup de fil du Vicaire Général qui m’intime l’ordre de le rencontrer impérativement. Il Je me parle du partenariat avec Arras (voir Eglise d’Arras septembre 2006). La joie est immense et l’émotion vive. J’ai laissé les choses suivent leur cours normal jusqu’au jour où il fallait voyager nonobstant toutes les tracasseries administratives au Cameroun. Heureusement que le père Jean Claude Vieillard est intervenu. C’est ainsi que j’arrive à Lapugnoy le 17 octobre 2007.

 

Accueil de la commune et de la paroisse
Mon accueil à Lapugnoy aura été des plus chaleureux. Un comité d’accueil ouvert, courtois, gentil, aimable, affable, dévoué et respectueux de ce prêtre africain. Les services de la mairie sous l’impulsion du maire sans nul dout, s’y sont invités. Le presbytère a pris un bain de jouvence, il est presque flambant-neuf, le nécessaire y est, la joie est au comble. Que toutes ces personnes en soient remerciées. C’est dans ces conditions on ne peut plus exceptionnelles que je commence la pastorale. Pour l’ Africain que je suis, il faut se forger un nouveau « modus vivendi ».

 

 

Découverte de l’Eglise en Pas-de-Calais
La culture est différente, les pratiques aussi. Mais j’ai été très positivement frappé par la forte implication des laïcs dans la vie de l’Eglise en général, et dans celle de nos paroisses en particulier. C’est véritablement Vatican II qui est appliqué. Cela se met encore très timidement en place dans nos pays africains, du moins pour ce qui est de mon pays. Beaucoup ne comprennent pas encore que la mission de l’Eglise est collégiale. Et cette collégialité devrait rayonner jusques dans notre implication pastorale, plutôt que de gérer l’Eglise de Dieu et la nôtre certes, comme une chefferie traditionnelle. Des efforts de communion ecclésiale sont certainement visibles ça et là dans nos Eglises locales africaines, mais beaucoup reste à faire. Le gros et véritable handicap étant que les laïcs ne sont pas formés. Contrairement donc à ce qui se passe ici, où les laïcs sont formés, volontaire, dévoués, disponibles, performants. C’est une Grâce !


Cependant, et là je parle de ma petite vision d’homme averti, il serait indiqué de faire comprendre à nos amis et collaborateurs laïcs ce qu’est le service d’Eglise. Cela suppose ouverture aux autres, accueil de ceux qui frappent et qui pourraient aussi rendre un service d’Eglise et ne jamais faire les « indispensables ». Car le risque est grand de vouloir gérer l’espace paroissial dont on a la charge comme notre « petite boutique », au point de la fermer ou l’ouvrir à qui on veut et quand on le veut, quand il ne reste plus qu’à mettre l’étole pour célébrer en l’absence du Prêtre. C’est dire combien il reste important de baliser et de canaliser le volontariat.


Cela me conduit à parler de la place que devrait continuer d’ occuper le ministère ordonné. Il doit continuer d’assurer une présence sacerdotale permanente et non accidentelle. Il me semble souvent mal indiqué de demander à un prêtre s’il veut dire un mot lors d’une célébration quand cela semble aller de soi. Il ne doit pas être comme un lambeau que l’on vient coller sur un morceau d’étoffe. Somme toute il faut garder un bon équilibre ecclésial. Ce la sera source d’avenir de l’Eglise dans le Pas-de-Calais. Le nombre de prêtres s’amenuise. Soit ! Mais que le nombre présent et heureusement encore sur le champ pastoral, ait encore la possibilité de continuer de présenter un visage sacerdotal. Voilà comment ils pourraient encore susciter des vocations sacerdotales. Ce n’est qu’une vigne qui donne véritablement des raisins.


La présence de prêtres africains est loin d’être la solution au problème de vocations. D’aucuns ont souvent pensé que, pour avoir été évangélisé par l’Occident, le moment est venu pour l’Afrique d’évangéliser l’Occident. Je m’inscris en faux contre cette façon de voir les choses. Je pense personnellement participer tout simplement à la mission universelle de l’Eglise.

 

Toutes proportions gardées, « ma foi d’Africain » se trouve affermie par toutes les expériences et les rencontres depuis mon arrivée. Seulement dans une société en pleine mutation, il faudrait plus de conviction dans notre relation au religieux, au sacré. Ne pas banaliser ces réalités ô combien essentielles. Ne pas verser nous aussi dans ce que le célèbre sociologue Durkheim appelle l’ « anomie », qui est une sorte de perte de toutes valeurs, de tout référentiel. Les grandes économies mondiales ont montré leurs limites. Le capitalisme outrancier dénué de toute éthique s’est trouvé naufragé sinon étranglé. Les populations ont vraisemblablement des problèmes existentiels. Il y a là comme une perte de repères. Serions-nous étonnés de voir les gens revenir à l’Eglise à la recherche des repères plus rassurants ? Et s’ils n’en trouvaient pas ? Ce serait justement parce que nous, nous les aurions fait disparaître en les vidant de leur sens et de leur densité. D’où l’importance de vivre une foi communionnelle forte, qui ne saurait se diluer ou être phagocytée par les vraies fausses valeurs que propose la société. Mais la foi-communion est-elle notre préoccupation majeure ? La question demeure !
 

Article publié par Emile Hennart - Maison d'Evangile • Publié • 9019 visites