Homélie de Mgr Olivier Leborgne lors de la messe chrismale le 30 mars 2021
Cathédrale d'Arras
Notre société a de plus en plus de mal à penser la différence. Elle est marquée par une injonction contradictoire : d’un côté la revendication du respect de toute différence envahit l’espace public, d’un autre côté, le fait de distinguer et de nommer les différences est de plus en suspect, dans ce même espace public, de discrimination. Dire qu’un homme n’est pas une femme et vice-versa, par exemple, est vite soupçonné de transporter des schémas culturels dépassés et oppressants, et à ce titre d’être dénoncé comme discrimination.
Notre Église a, elle aussi parfois, du mal à penser les différences. Je suis frappé de ce que, souvent, nous ne savons plus bien rendre compte de ce qui fait la différence entre prêtres, diacres et fidèles laïcs. Cela mène parfois à des relations tendues. C’est la vitalité de l’Église, son témoignage évangélique et son audace missionnaire qui sont alors atteints.
Frères et sœurs, une conviction forte m’habite depuis que je vous ai rejoints : nous sommes des dons faits par le Seigneur les uns aux autres, et c’est ensemble, en nous recevant dans notre commune dignité baptismale et, dans le même mouvement, dans ce qui fait les spécificités de nos vocations et missions, que nous pourrons devenir l’Église que le Seigneur veut pour le Pas-de-Calais et nous engager résolument dans la conversion pastorale à laquelle il nous appelle.
« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction, il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres… » disait Jésus il y a quelques instants, précisant que cette parole s’accomplissait en lui. Je ne peux ici que l’effleurer, mais il me semble qu’une réflexion sur la consécration, à partir de la contemplation de Jésus consacré, pourrait être éclairante.
J’entends déjà trois choses : la consécration est une action de Dieu, elle est une mise à part, elle est un envoi.
« Le Seigneur m’a consacré par l’onction… » La consécration est d’abord une action de Dieu. Elle exige notre collaboration et appelle notre oui, mais elle est fondamentalement œuvre de l’Esprit Saint. Être consacré, c’est se laisser agir par Dieu lui-même pour devenir ce à quoi il nous appelle. Là sera notre joie, car cet agir divin permettra à ce que nous portons d’unique de se déployer pour le bien de tous. La consécration est, de ce fait, toujours gratitude.
« L’Esprit du Seigneur est sur moi… » L’action de Dieu qu’est la consécration met à part. Il y a une mise à part au moins au sens où il crée une différence par un don précis particulier. Sur fond de commune humanité dont la dignité est divine puisqu’elle est de création, le baptisé est mis à part. Sur fond de commune dignité baptismale, pour le service de la communauté et de sa mission, le prêtre et le diacre sont mis à part. Pour Dieu, consacré à Dieu. Le baptême nous plonge dans la mort et la résurrection du Christ – ne me dites jamais que ce n’est rien, c’est l’inouï ! Configurés au Christ-Prêtre ou signes sacramentels du Christ-Serviteur, l’ordination qui « fait » les prêtres et les diacres unit au Christ d’une manière spécifique. Ni supériorité ou source de domination, mais don et responsabilité pour la mission. Nier cela serait nier le don de Dieu.
« [L’Esprit du Seigneur] m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres… » Cette mise à part n’a pas pour but d’isoler mais d’envoyer. La consécration est toujours mission. Celui dans lequel nous sommes consacrés s’est révélé en Jésus Christ. Il n’est pas le grand isolé ou l’éternel suffisant replié dans son quant à soi. Il est le Dieu Unique et Trinité, éternelle relation et perpétuelle donation, qui dans le Fils prend chair de notre chair et vient épouser le monde pour le sauver dans la grâce de l’Esprit.
Consacré par l’onction, le baptisé s’offre au Seigneur pour le monde et offre le monde avec lui, afin que ce monde s’ouvre à la plénitude du don de Dieu et de son salut. Il est marqué du sceau de l’Esprit pour accueillir la vie de Dieu, vivre l’Évangile au cœur du monde et en témoigner.
Par sa consécration, le diacre devient signe du Christ-Serviteur. Mis à part pour devenir signe : les pauvres doivent être au cœur de nos préoccupations et de nos communautés parce qu’ils sont au cœur de Dieu. Et dans l’Église, toute responsabilité et tout pouvoir ne deviennent eux-mêmes que s’ils sont service.
Consacré par l’onction, le prêtre est envoyé en vue de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés. Signe du Christ-Tête, il est serviteur de la communion et de l’évangélisation, l’un appelant l’autre. Au service des membres du Corps du Christ pour qu’ils puissent vivre pleinement de leur baptême, il reçoit grâce et mission pour que, notamment à travers les sacrements, la vie divine coule dans tous les membres du Corps du Christ et irrigue la totalité de l’Église.
Les dons que nous sommes sont parfois abîmés, fragilisés, pervertis même – la crise récente des abus l’a clairement montré. Ainsi, il n’y a pas de reconnaissance des dons de Dieu sans vigilance de la vérité, sans soin mutuel attentif et sans correction fraternelle, quand bien même devrait-elle être parfois vive et ferme. Je sais qu’il y a dans notre Église diocésaine de vraies libérations à accueillir vis-à-vis d’a priori mutuels, des pardons à demander et des réconciliations à vivre. Cela appelle de la part de tous une profonde humilité et la crainte au sens biblique du terme, ce sentiment de saisissement devant l’immense. « Tu nous as choisis pour servir en ta présence » dit la prière eucharistique II. Une parole qui ne cesse pas de m’étonner, de me renverser même. Qui suis-je pour cela ? Cela appelle un désir toujours plus grand d’union au Seigneur et de conversion. Cela appelle aussi une grande confiance dans les dons qu’il fait à l’Église, qu’il nous fait personnellement et qu’il fait aux autres. Prêtres, diacres, ALP, baptisés, habitons humblement et audacieusement les missions et vocations qui sont les nôtres. Renaissons à la grâce que nous sommes les uns pour les autres, et rendons grâce.
Au cours de cette messe chrismale, je vais bénir les huiles saintes, celle du baptême, de la confirmation et de l’ordination sacerdotale, ainsi que l’huile des catéchumènes et l’huile des malades. Au cours de cette messe, les prêtres et les diacres renouvelleront les promesses de leur ordination. Retrouvons confiance dans nos vocations respectives et en nous-mêmes. Accueillons le don de Dieu. Osons tous ensemble la mission.
« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction, il m’a envoyé porter la bonne nouvelle… » Et Jésus de préciser : « Cette parole, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ! » Nous le savons tout particulièrement en ces temps si incertains, il y a urgence.
Que le Seigneur soit béni !
+ Olivier Leborgne,
Évêque d’Arras, Boulogne et Saint-Omer
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