Interview de Monseigneur Jaeger

Sur le rôle des communautés religieuses.

    Mgr Jaeger Mgr Jaeger  

Vous avez dans votre diocèse de nombreuses communautés religieuses, les connaissez-vous toutes ?

 

Le diocèse Arras a été longtemps riche en communautés religieuses surtout féminines. Le bassin minier a attiré bon nombre d’entre elles. Les religieux et religieuses sont souvent proches des plus grandes pauvretés. Ils étaient particulièrement attentifs au domaine de la santé, de l’éducation.  Ces réalités ont marqué et marquent encore la population du Pas-de-Calais. Elles expliquent le nombre important de communautés.

 

Cette présence religieuse est l’un des atouts de notre diocèse. Hélas, les effectifs de religieux et de religieuses diminuent de manière proportionnellement plus forte que ceux des prêtres !

 

Je pense connaître toutes les communautés, même si je n’ai pas encore eu la possibilité de m’arrêter dans chacune d’entre elles pour un temps de partage, de prière et de convivialité

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Pour vous, quel est le rôle de ces communautés dans l’Eglise d’aujourd’hui ?

 

Outre le service concret que peut rendre chaque religieux ou chaque religieuse apostolique, la vie en communauté nous donne un signe visible de la présence du Seigneur au milieu des hommes. Elle nous permet de percevoir le sens caché de l’existence marquée par les joies et les peines, les réussites et les échecs, l’enthousiasme et l’angoisse qui parsèment le quotidien de la famille humaine. Les communautés nous disent qu’au cœur des aléas du pèlerinage terrestre, le Royaume de Dieu est déjà, même si nous en attendons la pleine manifestation.

 

Parmi les communautés, il existe deux communautés bénédictines contemplatives à Wisques. Les connaissez-vous plus particulièrement ?

 

Je pense pouvoir dire que je les connais un peu plus et un peu mieux que beaucoup d’autres. Elles sont plus fournies en moines et moniales qu’une communauté apostolique en religieux ou religieuses. Elles peuvent héberger l’évêque comme tant d’autres hôtes. Il est plus facile de les rencontrer puisque leurs activités ne les dispersent pas dans tout le diocèse !

 

Beaucoup de chrétiens pensent que face au manque de prêtres dans les paroisses, il faudrait que les moines les remplacent. Qu’en pensez-vous ?

 

Voilà une bien mauvaise idée. Elle est d’abord irréalisable puisque les moines qui sont chez nous n’ont pas été appelés à être pasteurs au sens où on l’entend des prêtres chargés d’une paroisse ou d’une aumônerie. Ils n’ont aucun désir d’être en paroisse puisque ce n’est pas là que le Seigneur et l’Eglise les attendent ! Par ailleurs, il ne faut pas suppléer une vocation par une autre. Même si une vision très utilitariste nous laisse supposer le contraire, nous avons autant besoin des moines que des prêtres diocésains ! Il peut arriver dans des cas exceptionnels ou dans la paroisse dans laquelle est située une abbaye, qu’un ou plusieurs moines apportent leur concours à la vie paroissiale.

 

La contemplation est pour de nombreuses personnes, parmi lesquelles des chrétiens, une perte de temps, qu’en pensez-vous ?

 

Je dois dire à ces personnes que leur vie et leur foi sont en danger ! L’être humain ne peut pas indéfiniment et sans arrêt courir, produire, parler, s’affairer, donner. Il ne peut exister lui-même que s’il accepte de s’arrêter, de regarder, d’écouter, de s’apaiser, de recevoir, de se recueillir et de prier. Tout, même en moi, ne vient pas de moi. Je dois accueillir l’autre, les autres, me laisser saisir par Dieu. Comme chacun en fait l’expérience, lorsqu’il est habité par l’amour, il faut donner du temps, du silence,  de l’intimité à Celui qui a établi sa demeure au plus profond de chacun d’entre nous. Cette contemplation garantit la qualité de nos nombreuses rencontres et de nos toutes nos activités !

 

Je sais que vous venez régulièrement à Wisques, est-il indiscret de vous demander ce que vous venez y chercher ?

 

Quand je franchis la porte de l’abbaye, je sais que le Seigneur me dit : « Enfin, te voilà, je t’attendais, j’ai tant à te dire et à te donner ! » Je viens vivre ces moments de contemplation que j’évoque ci-dessus. Ils me sont indispensables. S’ils venaient à me manquer, je deviendrais immédiatement le président-directeur général de l’entreprise « Eglise dans le Pas-de-Calais », mes frères prêtres se transformeraient en cadres et en employés, les fidèles en clients. La course permanente me ferait perdre un Père et des frères, l’Eglise deviendrait une association.

 

A l’évêché, le lieu fondamental n’est pas mon bureau, mais la chapelle ! Tout est voulu, organisé et vécu dans une abbaye pour que l’existence prenne ou reprenne racine dans le cœur à cœur avec Dieu et avec nos frères. J’éprouve aussi un réel plaisir à partager la vie paisible et sereine des moines. J’ai l’occasion de leur parler de l’Eglise dans notre diocèse et de solliciter leur prière.

 

Pourriez-vous expliquer la place de la contemplation pour un évêque dans sa mission, dans sa vie ?

 

 Je viens de répondre partiellement à la question. La contemplation me rappelle constamment que Jésus est l’Unique Pasteur. Je ne suis, pour ma part, que son ministre. Le troupeau lui appartient, je ne peux que veiller sur lui et être l’intendant, le plus fidèle possible, des trésors de Dieu. Comment pourrais-je consentir humblement au don de ma vie si le Christ ne me demandait pas de la vivre avec Lui et en Lui par la force de l’Esprit Saint pour marcher vers le Père ? La contemplation nous fait sans cesse remonter à la source pour y boire et vivre avant de reprendre la route du véritable service. Il est impossible d’annoncer la Parole de Dieu sans se laisser pétrir par elle et de parler du Christ sans le laisser plonger son regard dans le mien.

 

Quel est, pour vous, le rôle que doit avoir l’abbaye Saint Paul dans les années à venir sur le doyenné de Saint-Omer, mais aussi au niveau du diocèse ?

 

Je souhaite que la communauté de Saint Paul et celle de Notre Dame, organisées toutes deux selon la Règle de Saint Benoît, demeurent des signes pour celles et ceux qui cherchent la route du bonheur et de l’amour. Ces lieux et ces communautés nous disent que Dieu est présent chez les hommes, que le Christ a déjà vaincu la Mort. Il a remporté la lutte contre le mal et le péché. Le salut nous est donné en Lui. Le monde nouveau, la Jérusalem céleste sont déjà là, même si, selon l’enseignement de Saint Paul ce que nous sommes est encore voilé et caché en Jésus-Christ. Nous recevons ces dons dans les sacrements, notamment l’Eucharistie.

 

Dans une abbaye, un coin du voile est soulevé. Nous voyons un peu mieux, un peu plus ce qui nous est promis. Les moines et les moniales, nous soutiennent, nous encouragent, nous stimulent alors que nous sommes encore en chemin. Même quand nous dormons, ils prient et font monter vers le Seigneur leur louange et la nôtre !

 

Comme beaucoup de communautés religieuses, l’Abbaye Saint Paul souffre d’un manque de vocations, que pourriez-vous dire aux jeunes qui hésitent à s’engager dans cette voie si particulière et exigeante de la vocation ?

 

Je leur dis : « Arrêtez de calculer et  de mesurer. Toutes les raisons que vous chercherez et les argumentaires que vous bâtirez vous éloigneront du bonheur, de l’amour et de Dieu. Si vous entendez l’appel, ne vous retournez pas, laissez sur le bord du chemin ce qui vous retient, allez voir où demeure Celui qui vous interpelle. Croyez-vous qu’il peut combler, nourrir et transformer une vie ? Ne demandez pas à Dieu de vous remettre  avant le départ le prospectus qui vous engagera à partir vers le bonheur comme sur l’île de vos rêves. Ce n’est qu’en marchant aux côtés de son Fils que vous découvrirez qu’Il est Lui-même le bonheur ! »