L'art sacré au XXe siècle- Conférence

A l'abbaye saint Paul de Wisques - Michel Rossi

 

 Michel Rossi : Conférence - abbaye saint Paul de Wisques - le samedi 25 septembre 2010
 
Art et foi catholique au XXème siècle : les voies de la création…
 
 
Introduction : L’art et la foi catholique, alliés pour l’éternité !
 
Visite de Fressin avec M.Rossi et Mme de Rincquese Visite de Fressin avec M.Rossi et Mme de Rincquese  D’où jaillit ce qui nous apparaît comme le suprême mystère des œuvres d’art ?…
C’est le projet fou de transfigurer ce qui nous entoure.
« Ce qui est invisible devient visible dans ce qui apparaît, et le sens de ce qui est visible est livré par ce qui n’apparaît pas grâce à l’interprétation symbolique ». Mystagogie, Maxime le Confesseur, 7ème siècle.
« Les réalités de l’art élargissent les limites de la vie telle qu’elle apparaît d’ordinaire. Parce qu’elles ne reproduisent pas le visible avec plus ou moins de tempérament, mais rendent visible une vision secrète » Paul Klee, Théorie de l’art moderne.
« Un espace d’ouverture où tout se montre autrement que d’habitude […], [et qui] nous saisit littéralement pour nous pousser hors de l’ordinaire dans cette ouverture et transformer de manière radicale nos rapports habituels au monde et à l’entourage […], [et] tout notre ciel étoilé ». Holzwege.
 
 
Au XIXème siècle, notre inestimable patrimoine médiéval a lourdement pesé sur l’imagination religieuse française et rendu plus difficile son renouvellement… Sous l’impulsion du mouvement romantique, le XIXème siècle a redécouvert l’art « gothique ». Sous la poussée anticléricale, il est possible aussi que les chrétiens se soient repliés sur eux-mêmes et se soient forgé un mythe de l’âge d’or du moyen âge. D’où cette floraison de pastiches néo-romans, néo-gothiques ou néo-byzantins…
Le XXème siècle s’ouvre en France avec la séparation des Eglises et de l’Etat (1905), ce qui ralentit les initiatives en matière d’art religieux pour deux décennies…
 
 
Le renouveau est un processus engagé dès la fin du XIXème siècle, en réaction à l’art de Saint-Sulpice qui envahissait les églises. Un certain nombre d’intellectuels et d’artistes (dont Huysmans, Claudel, Maurice Denis) réagirent vigoureusement contre cet art industriel, économique de médiocre qualité, au style fade et mièvre…
Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale que se constituent des groupes d’artistes catholiques désireux de produire de l’art, religieux certes, mais de l’art !
Peintres, sculpteurs, mais aussi artisans (lissiers, brodeurs, orfèvres) sont sollicités. Ces groupes s’organisent dans les années trente.
 
 
I°) Trois artistes pionniers, incontournables : Maurice Denis, Georges Desvallières et Georges Rouault ont nourri un rapport personnel au « sacré ».
 
 
Maurice Denis, Georges Desvallières sur le plan des grandes synthèses décoratives, Georges Rouault sur celui de la satire des mœurs - violente comme la prédication de Jean-Baptiste, représentent les lignes maîtresses de la peinture religieuse du premier XXème siècle.
Gustave Moreau (1826 – 1898), peintre infiniment raffiné, l'un des principaux représentants du courant symboliste, imprégné de mysticisme, a veillé sur le berceau de Matisse, Desvallières et Rouault.
 
 
·                   Georges Desvallières (1861-1950).
 
Desvallières est l’un des (derniers) représentants du mouvement expressionniste. Il accède à une certaine notoriété par des toiles profanes, panneaux décoratifs. La guerre 1914 – 1918 marque une rupture dans la carrière de l’artiste. Il part à 53 ans comme chef de bataillon de chasseur alpin et perd son fils Daniel, tué en 1915. Déchiré par ce deuil, il fait le vœu, s’il réchappe au massacre, de se consacrer exclusivement à la peinture religieuse. Son art sera désormais un art de service et d’apostolat – ce que ne lui pardonnent pas les tenants de l’art pour l’art… La conception de son art est dynamique et cosmique. Il crée un art religieux où la vie est mise en scène.
Desvallières fait les cartons pour les 17 verrières de l’ossuaire de Douaumont (1927) et le chemin de croix de l’église du saint Esprit à Paris (1934-1935), ainsi que deux panneaux décoratifs pour la cathédrale d’Arras (1942). 
« Violence, tendresse et liberté, telle est, nous semble-t-il, cette œuvre magnifique et tourmentée, si souvent tragique, mais où rayonne aussi tant de joie. Une vraie charité l’anime, le double et unique amour de Dieu et des hommes. Au service de cette charité, Desvallières a mis toute son âme, toute sa vie et une puissance d’invention, une imagination des couleurs et des formes, tellement riches que son œuvre évoque, si différente qu’elle soit de tout le passé, les plus grands noms de la peinture. » (L’Artisan liturgique, n°31, 1933).
Certains ont critiqué le caractère confus et obscur de certaines réalisations. Le caractère esquissé des œuvres est parfois perçu comme une maladresse expressive. On regrette aussi parfois la monotonie des couleurs, les grandes créatures élancées mais un peu carrées et rudes têtes rondes.
 
 
·        Maurice Denis (1870 – 1943).
 
Denis participe avec Paul Sérusier à la formation des Nabis (octobre 1888). Ceux-ci cherchent des voies spirituelles au contact de philosophies et de doctrines teintées d’Orient. En 1889, il découvre lors de l’exposition universelle la peinture de Paul Gauguin (1848 - 1903) dont l’influence sera déterminante pour la suite de son œuvre. Il acquiert d’ailleurs l’une de ses peintures en 1903 (l’autoportrait au Christ jaune). Il est fortement inspiré par la poésie symboliste et la poésie épique du moyen-âge. Denis réside une grande partie de sa vie à Saint-Germain en Laye où il construit son atelier en 1912. La guerre et la mort de sa femme (1919) renforcent son action pour un art chrétien. Il se consacre à la décoration de la chapelle de son prieuré par des fresques murales. Membre du Tiers Ordre dominicain, il interprète des thèmes empreints de tendresse. Il adopte une peinture claire, sans modelé, aux rythmes onduleux qui l’apparentent à l’Art nouveau. Son livre « Histoire de l’art religieux » couronne plus d’un demi-siècle de réflexions et de pratique artistique.
 
 
·        Georges Rouault (1871 – 1958).
 
Rouault est né dans une cave parisienne au cours d’un bombardement de la Commune, le 27 mai 1871. Entré en 1885 comme apprenti chez un maître verrier, il rejoint les Beaux-Arts dans l’atelier Elie Delaunay, puis de Gustave Moreau de 1892 à 1895. En 1901, Rouault a fait la connaissance de Huysmans à Ligugé, il fréquente Bloy, Maritain. Rouault est un artiste au tempérament épris d’absolu. De 1903 à 1914, il réalise de nombreuses œuvres qui symbolisent l’humanité misérable, déchue physiquement et moralement. Profondément chrétien, il cherche à traduire picturalement sa vision religieuse et tragique du monde. Il définissait son art comme « ardente confession ». Ses compositions renouent avec les imagiers du Moyen âge (icônes…). Peinture d’un parfum violent (le Miserere, poème de la douleur, entre 1917 et 1927), son œuvre liturgique se borne aux 5 vitraux d’Assy, 2 ou 3 autres et des émaux exécutés à Ligugé.  Rouault rencontre d’abord Jésus en croix, bafoué, dépouillé de tout. La vision plastique de Rouault annonce l’aurore d’une lumière suprasensible. Il y a des fleurs, rappel et prémisse du Paradis.
Lire « Sur l’art et sur la vie ».
 
« Rouault est au cœur de son œuvre comme Rimbaud au centre des Illuminations. Tous deux disent à Dieu qu’ils n’acceptent pas son univers… » Malraux
 
La plupart de ces artistes sont proches de la philosophie de Jacques Maritain (1882 – 1973). Maritain est une des figures du thomisme au XXème siècle. Il est l’auteur de l’Humanisme intégral (1936). Il publie en 1920 « Art et scolastique ». Quoique dédié à sa femme Raïssa, ce livre est écrit en pensant à Rouault qui est alors pour Maritain la première révélation du véritable grand artiste.
« C’est par la façon dont il métamorphose l’univers passant dans son esprit ; pour faire resplendir sur une matière une forme devinée dans les choses, que l’artiste imprime sa marque dans son œuvre. Pour chacune, il recompose, tel qu’en lui-même enfin la poésie le change, un monde plus réel que le réel offert au sens » (Frontières de la poésie, p 699).
L’art est une puissance transformatrice qui confère un éclat comme surnaturel à sa création, qui la nimbe d’une grâce d’ordre naturel qui pourtant renvoie à l’ordre surnaturel auquel Maritain en chrétien est attaché.
 
 
Et les Ateliers d’Art sacré…
 Une des sociétés d’artistes parmi bien d’autres qui entendent rénover l’art catholique après la grande guerre.
Fondés par Maurice Denis et Georges Desvallières le 5 novembre 1919, les Ateliers d’Art sacré ont pour mission de former des artistes et artisans à l’art chrétien. C’est un travail engagé dans l’esprit du compagnonnage, réconciliant l’art et l’artisanat. L’esprit est définit par Maurice Denis : « Je proscris l’académisme parce qu’il sacrifie l’émotion à la convention et à l’artifice, parce qu’il est théâtral ou fade […]. Je proscris le réalisme parce que c’est de la prose et que je veux ‘de la musique avant toute chose’, et de la poésie. Enfin, je prêcherai la beauté. La beauté est un attribut de la divinité. »
Le tout premier à intégrer l’école est le dominicain Marie-Alain Couturier. On rencontre aussi Henri Marret (1878 – 1964) qui a travaillé pour la reconstruction des églises du Pas-de-Calais (dont la cathédrale d’Arras).
C’est un art d’église qui se révèle souvent peu novateur quand on le compare à l’art d’avant-garde de l’époque… Mais il s’agit justement d’un art d’Eglise, liturgique et au service d’une communauté… Nous y reviendront.
Les commandes ecclésiales aux Ateliers seront trop ponctuelles et peu nombreuses pour assurer leur survie – malgré les « chantiers du cardinal » Verdier (1931), archevêque de Paris (1864 – 1940) appelé parfois « l'évêque aux cent églises ».
 
Un dialogue sans cesse recréé entre présent et passé !
 
Certains semblent croire que le passé appartient aux historiens, que l’avenir est réservé aux visionnaires ou aux prophètes… Et que le seul présent peut intéresser les hommes d’aujourd’hui, les vrais contemporains.
L’expérience de la création artistique est celle d’une multi-temporalité. Les artistes sont en fait de véritables anachronistes qui façonnent un art d’avenir en réinventant à leur manière tel ou tel pan de notre passé. C’est ce que vous avez fait dans le cadre de cette exposition « Trésors » à la cathédrale d’Arras. Chaque époque découvre dans le passé des formes, des idées, des secrets d’humanité qu’elle transforme, s’approprie, revivifie à sa manière. Il s’agit autant d’accueillir que de recréer en soi, de réinventer.
 
 
°) L’Eglise catholique et la promotion d’un art sacré au cœur du XXème siècle : quels défis, quels outils ?
 
Quelques repères…
 
·        La revue « L’Art sacré » (1935 à 1969) : vitrine et outil du renouveau de l’art catholique en France au milieu du XXème siècle.
 
C’est une entreprise fondamentalement dominicaine. La revue naît aussi du besoin de se faire connaître du clergé commanditaire.
Rapidement publiée par les Editions du Cerf, elle s’impose par la rigueur et la tenue de sa présentation.
L’apogée de la revue coïncide avec les polémiques qui entourent la construction de l’église d’Assy, la chapelle dominicaine de Vence et l’église paroissiale du Sacré-Cœur d’Audincourt : des responsables locaux font appel à des artistes célèbres, et pas nécessairement chrétiens, pour décorer ces lieux de culte (tels Rouault, Bonnard, Bazaine, Lurçat, Léger, Matisse).
 
·        Deux dominicains pour une revue, et bien plus !Marie-Alain Couturier et Pie-Raymond Régamey.
 
Joseph Pichard (1892-1973) créa l’Art sacré en juillet 1935. Les éditions du Cerf choisissent Raymond (Pie-Raymond) Régamey (1900-1996) et Pierre (Marie-Alain) Couturier (1897-1954), pour être à la tête de la revue en janvier 1937. Celle-ci s’arrêta en 1939. Régamey la remit sur pieds en 1945 et la dirigea à peu près seul jusqu’en septembre 1949, date à laquelle Couturier s’investit activement ; les deux hommes pilotèrent ensemble la revue jusqu’en février 1954 (décès de Couturier).
 
Couturier et Régamey étaient deux grands spirituels, à la personnalité très dissemblable et aux compétences étonnamment complémentaires.
Ancien des Ateliers d’Art sacré de Georges Desvallières et Maurice Denis, Couturier, qui douta toujours de son art, était pourtant un excellent peintre verrier, d’une sensibilité extrême. Régamey, historien de l’art de haut niveau, auteur d’ouvrages (Delacroix, Géricault, Prud’hon), il avait commencé une carrière muséale avant d’entrer dans l’ordre dominicain. Après la guerre, il fut membre du Conseil des musées. Les deux hommes se connaissaient depuis leurs études dominicaines ; il se noua bien vite entre eux un dialogue permanent à propos de l’art dans l’Eglise.
 
            « Raymond Régamey devait devenir dominicain, son militantisme pour l’art chrétien moderne le mit au premier plan quelques années plus tard. Nous commençâmes par communier dans notre ferveur pour Delacroix sur les dernières œuvres duquel il allait écrire une étude, juste avant de rentrer dans les ordres. J’étais heureux de rencontrer quelqu’un qui était à la fois tourné vers l’art et vers la vie intérieure ; issu d’une famille protestante, il s’était converti au catholicisme assez tard ». René Huyghe « Une vie pour l’art », 1994.
    
Le souci majeur de Régamey, auteur de la plupart des textes théoriques, était de gagner le clergé à la cause d’un art religieux digne de ce nom, du fait des enjeux pastoraux.
Couturier et Régamey voulaient absolument rétablir l’alliance, rompue au XIXème siècle, entre l’Eglise et les grands artistes.
Après la Seconde Guerre mondiale, abandonnant le postulat de l’artiste nécessairement chrétien, ils travaillèrent à ouvrir l’art religieux aux véritables créateurs, chrétiens ou non, car ces derniers étaient seuls capables (mais pas n’importe comment !) de trouver, dans leur domaine propre, les formes pertinentes contemporaines du message évangélique.
 
Couturier défendit la thèse qu’en raison des équivalences de son « génie », un grand artiste pouvait, dans certaines circonstances, à défaut d’un art « sacré », produire un art de haute spiritualité. Cette position heurta ; malgré tous les efforts explicatifs, les deux dominicains se trouvèrent en porte-à-faux avec les goûts et la culture majoritaire du clergé (français et romain) et de sa hiérarchie.
Couturier s’est éloigné progressivement de Maurice Denis son maître. Il éprouve bientôt une admiration pour Picasso et Matisse. Cela vaudra les créations majeures qu’il accompagne : Assy et Ronchamp. Couturier critique alors les « Ateliers ». Denis souhaitait une pépinière d’artistes croyants. Couturier voulait de grands artistes, mêmes incroyants…
 
Ecoutons le père Couturier témoigner :
            « Il faut qu’ils épousent la beauté du monde : et parfois c’est en eux qu’elle réside, et c’est de leur imagination et de leur cœur qu’elle rayonne et illumine les maisons, la route et les hommes comme un soleil. » (1947)
            « L’art religieux de notre temps ne peut pas être un art décoratif : il doit être un certain témoignage avant tout : un art de représentation : Rembrandt. »
            « Ce qui fait la perfection d’une œuvre d’art, c’est toujours un maximum d’individualisation, une perfection de la singularité. Toute généralisation en art est abâtardissement et académisme. »
 
·          Les revues « Espace » et « Chroniques d’art sacré »
 
Elles sont éditées à partir de 1977 jusqu’au début des années 2000. Les Chroniques d’art sacré du centre national de pastorale liturgique se situaient dans la sphère diocésaine.
Elles proposaient un regard historique, théologique et liturgique sur les rapports de l’art contemporain et de la foi chrétienne.
 
·        La naissance la revue « Arts sacrés »
 
En 2009, plus culturelle que les « Chroniques », et surtout ouverte aux autres religions est publiée par les éditions Faton.
 
·        La question de la tutelle ecclésiastique : le rôle des CDAS, l’encouragement des « lettres » aux artistes de Jean-Paul II et Benoît XVI.
 
Jamais la tutelle ecclésiastique n’a manqué aux artistes, pour l’agacement de certains peut-être, pour le meilleur aussi. Le dominicain Beato Angelico est le symbole parfait de l’union du spirituel et de l’artistique. N’est-il pas devenu le patron des artistes ?
 
Il est important que l’artiste sorte de l’idolâtrie du « moi » et reconnaisse un pouvoir supérieur. Et il importe que l’autorité ecclésiastique respecte le pouvoir créateur déposé par l’Esprit chez l’artiste.  Le concile Vatican II a jeté les bases de relations renouvelées entre l’Eglise et la culture. Dans la Constitution Gaudium et spes, les Pères conciliaires ont souligné « la grande importance » de la littérature et des arts dans la vie de l’homme.
 
Quelques extraits du pape Jean-Paul II aux artistes (23 avril 1999) – le pape a partagé la vie des artistes comme acteur et auteur :
 
            « Personne mieux que vous artistes, géniaux constructeur de beauté, ne peut avoir l’intuition de quelque chose du pathos avec lequel Dieu, à l’aube de la création, a regardé l’œuvre de ses mains […] Vous avez contemplé l’œuvre de votre inspiration, y percevant comme l’écho du mystère de la création, auquel Dieu, seul créateur de toute choses, a voulu en quelque sorte vous associer. »
            « Pour transmettre le message que le Christ lui a confié, l’Eglise a besoin de l’art. Elle doit en effet rendre perceptible et même, autant que possible, fascinant le monde de l’Esprit, de l’invisible, de Dieu. Elle doit donc traduire en formules significatives ce qui, en soi, est ineffable. »
            « L’Eglise a besoin de l’art. Mais peut-on dire que l’art a besoin de l’Eglise ? La question peut paraître provocante. […] L’artiste est toujours à la recherche du sens profond des choses, son ardent désir est de parvenir à exprimer le monde de l’ineffable. Comment ne pas voir alors quelle grande source d’inspiration peut être pour lui cette sorte de patrie de l’âme qu’est la religion ? »
            « Puissiez-vous être orientés et inspirés par le mystère du Christ ressuscité ! […] Que votre art contribue à l’affermissement d’une beauté authentique qui, comme un reflet de l’Esprit de Dieu, transfigure la matière, ouvrant les esprits au sens de l’éternité ! »
 
Quelques extraits du « Discours aux artistes » de Benoît XVI (21 novembre 2009):
            « Qu’est-ce qui peut redonner l’enthousiasme et la confiance, qu’est-ce qui peut encourager l’âme humaine à retrouver le chemin, à lever le regard vers l’horizon, à rêver d’une vie digne de sa vocation sinon la beauté ? »
            « Le peintre Georges Braque dit ‘L’art est fait pour troubler, alors que la science rassure’. La beauté frappe, mais c’est ainsi qu’elle rappelle l’homme à son destin ultime, qu’elle remet en marche, qu’elle le remplit à nouveau d’espérance, qu’elle lui donne le courage de vivre jusqu’au bout le don unique de l’existence. »
            « Je vous encourage à exprimer toujours mieux, à travers la beauté de vos œuvres, le mystère de Dieu et le mystère de l’homme. »
 
Les principales réalisations sont dues à des initiatives individuelles, personnelles, d’hommes clairvoyants. La hiérarchie ecclésiastique les a accueillies une fois terminées, elle ne les a pas fait naître.  
Un contre-exemple est le cas de l’église d’Audincourt dans le diocèse de Besançon. C’est alors l’autorité diocésaine elle-même qui suscite, contrôle et appuie l’un des efforts les plus remarquables pour le renouveau de l’art sacré. Le 20 janvier 1951, la CDAS, réunie sous la présidence de l’Archevêque et de l’Evêque Auxiliaire, approuve les esquisses de vitraux présentées par Fernand Léger et la maquette d’une grande mosaïque de Bazaine pour l’église d’Audincourt.
 
III°) Des réalisations emblématiques… et  problématiques :  
Diaporama
 
·        L’église Notre-Dame du Raincy en 1923 est un point de départ.
Construite en treize mois par Auguste Perret (1871 – 1954), ce ne devait être qu’une construction d’urgence… une œuvre provisoire ! L’architecte exploite rationnellement les ressources du béton et il en dégage un style. La finesse des supports, la légèreté des voûtes (que Perret appelait « en coquille d’œuf ») sont pleinement mises en valeur. La dignité austère du béton brut y est pour la première fois affirmée. Perret avait ouvert la voie. Malheureusement son exemple ne fut pas compris ni des milieux ecclésiastiques ni des architectes français. En France, la mode était à l’architecture « régionaliste ».
Un bénédictin, Dom Paul Bellot (1876 - 1944) fait exception et tente de créer un style personnel à la fois moderne par l’emploi franc de matériaux et des tracés géométriques rigoureux, et traditionnel par l’adoption d’éléments empruntés au passé (plein cintre, arcs, coupoles). On l’appelle parfois le « poète de la brique ». Pour donner une allure nouvelle à ces formes anciennes, Dom Bellot les modèle selon des figures insolites : paraboles, ovoïdes, dentelures en escalier. Il croit avoir trouvé la solution en utilisant de grandes formes brisées par lesquelles tout le volume intérieur est comme taillé à facettes.
 
·        L’église du Saint-Esprit à Paris (12ème)
 
Construite sous l'impulsion du cardinal Jean Verdier, l'église fut conçue par l'architecte Paul Tournon et voit sa construction commencée en 1928 et sa crypte ouverte au culte en 1929. Bâtie entièrement en béton armé l'église possède une nef carrée surmontée par une coupole mesurant 22 mètres de diamètre pour 33 m de hauteur qui est inspirée par la célèbre coupole de Sainte-Sophie d'Istanbul. C’est un reliquaire des peintures du grand prix de Rome.
 
·        Assy : une « querelle de l’Art sacré », en 1951, autour de la figure du Christ de Germaine Richier.
 
C’est autour d’Assy que se cristallise la querelle de l’Art sacré. La chapelle Notre-Dame-de- Toute-Grâce, à Assy (Haute-Savoie) commencée en 1938, est consacrée le 4 août 1950 et suscite de violentes controverses, en raison de son modernisme en général et de la figure du Christ sculptée par Germaine Richier (1904 – 1959) notamment.
La polémique est encore avivée par la décision que prend le 1er avril 1951 Monseigneur Cesbron, l’évêque d’Annecy, de retirer le principal objet du scandale, le Christ de Germaine Richier qui était placé dans le chœur derrière l’autel. Il fut relégué pendant vingt ans dans la sacristie avant de retrouver son emplacement initial près du maître-autel, en 1971.
Un des caractères marquants de la polémique sur Assy est sa focalisation sur cette œuvre du côté des défenseurs du projet comme de ses détracteurs. Le premier tract d’Angers, diffusé en janvier 1951 à l’occasion d’une conférence prononcée dans cette ville par le chanoine Devemy, bâtisseur de l’église, et qui lance la grande offensive contre la chapelle, est illustré par la seule sculpture de Germaine Richier.
Dans un article élogieux, « L’église d’Assy ou la résurrection de l’art sacré », Bernard Dorival salue l’entreprise qui « mettra pour jamais fin au divorce qui existait entre l’art et l’art chrétien » et, s’il exprime des réserves sur l’architecture comme sur le rapport entre certaines œuvres et le parti d’ensemble, il fait surtout l’éloge du Christ de Germaine Richier, « douloureux et grandiose, dont les bras, démesurément ouverts, inspirent confiance et respect, et dont l’expressionnisme pathétique se double d’une noble plasticité. » Le critique, alors conservateur au musée d’art moderne, poursuit : « Il est sans doute la première image pas trop indigne de son objet que la sculpture nous ait donnée depuis la fin du Moyen âge. »
 
Ce corps martelé, broyé, qu’est le Christ de Germaine Richier, c’est la vision d’Isaïe coulée dans du bronze, lorsqu’il décrit le serviteur souffrant : « son aspect était défiguré, - il n’avait plus d’apparence humaine… Comme un surgeon il a grandi devant nous, comme une racine en terre aride. Sans beauté ni éclat… sans aimable apparence, objet de mépris et rebut de l’humanité, homme de douleur pétri par la souffrance, comme ceux devant qui on se voile la face… » (Is 52, 14 ; 53, 2-3).
C’est là sa force, « parce qu’il n’a plus figure humaine », parce qu’il est sans visage, ce Christ est précisément tous les visages, visages de l’humanité universelle, rejointe au coeur de la souffrance, vers laquelle ses bras et son buste s’inclinent – détachés de la croix, délivrés, pour embrasser le monde. « Arbre de douleur et de tendresse, ce corps-là, planté au cœur de l’église d’Assy, fait sens » Marie-Claude Rousseau.
 
A l’inverse, dans le clan des détracteurs, Henri Charlier voit dans le corps du Christ un simple « moignon sculpté », tandis que Gabriel Marcel décrit la sculpture comme « un rameau rachitique et couvert d’une espèce de moisissure » qui n’est que « le fruit mort d’une cérébralité desséchée ». Madeleine Ochsé, quelques années plus tard, ironise sur ce qui est à ses yeux « une simple ébauche », « un tronçon pourri qui a renoncé à sa forme humaine et ouvert pour nous ses grands bras déchiquetés ». Une formule qu’on retrouve dans un article de Mgr Costantini, secrétaire de la Congrégation De propaganda fide, paru le 10 juin 1951 dans l’Osservatore romano, condense l’ensemble de ses critiques : « Ce Christ est une image caricaturale qu’on veut faire passer pour un crucifix, une insulte à la majesté de Dieu, un scandale pour la piété des fidèles ».
 
Cette querelle entraîne des réactions autoritaires dans l’Eglise, tant en France qu’à Rome. Les directives du diocèse de Strasbourg précisent par exemple : « La représentation artistique des thèmes chrétiens a pris, au cours des derniers temps, un aspect sombre et triste, reflétant tout le tragique de la condition humaine au milieu d’une époque bouleversée par le matérialisme athée ». L’artiste travaillant pour l’Eglise doit, au contraire, « retracer les motifs permanents de l’espérance chrétienne transfigurant la souffrance ».
 
On n’oubliera pas de lire ce qu’écrit Couturier sur Assy, « la leçon d’Assy », en 1950 :
« On se disait ‘Tout artiste est un inspiré’. Déjà par nature, par tempérament, il est préparé, prédisposé aux intuitions spirituelles : pourquoi pas à la venue de cet Esprit lui-même qui souffle, après tout, où Il veut ? »
 
 
·        La chapelle de Vence.
Bénie le 25 juin 1951, cette chapelle est entièrement conçue par Matisse. Cette œuvre, écrit-il, m’a demandé quatre ans de travail exclusif et assidu, et elle est le résultat de toute ma vie active. Il a tenu compte du moindre élément, jusqu’aux chasubles et à l’habit des sœurs.
 
 
·        Ronchamp : la révolution architecturale !
 
En confiant à Le Corbusier de reconstruire la chapelle de Ronchamp, on donnait enfin l’occasion de s’exprimer à l’un des plus grands constructeurs du XXème siècle. Notre-Dame du Haut, inaugurée le 25 juin 1955 constitue une étape décisive dans l’histoire de l’architecture religieuse.
Le couvent dominicain de l’Arbresle, construit en 1959, a permis au génie de Le Corbusier de s’exprimer dans une tonalité différente, toute de rigueur et de dépouillement. Comme Ronchamp, l’architecture appelle le mouvement.  
 
·        Hem : la chapelle sainte Thérèse.
 
Laissons Alfred Manessier nous guider (interview en 1960) : «Les vitraux ont été employés uniquement comme une espèce de chant, un moyen de créer un lieu lumineux sacré où l’on puisse prier, célébrer la messe. Ils sont destinés à créer l’ambiance. Par contre en deux points il fallait appuyer un peu sur le côté figuratif. D’abord à l’entrée où j’ai fait une mosaïque qui conduit de la rue à l’intérieur de l’église. […] Ensuite, au fond de l’église, on aperçoit la Sainte-Face de Rouault. Lorsque nous avons voulu insister sur la Sainte-Face, j’ai tout de suite pensé à Rouault. J’étais devenu assez intime avec lui, je le voyais souvent et je lui parlais de cette chapelle. Un jour je lui ai demandé : ‘Accepteriez-vous de me confier une de vos œuvres et me permettriez-vous de la transposer ?’ Il était, en effet, nécessaire de traduire les couleurs en valeurs parce que la tapisserie allait être entourée de couleurs très fortes. Il a tout de suite accepté… »
·        L’église d’Audinghen
 
L'église saint Pierre, reconstruite après la Seconde Guerre mondiale, en 1960, est l’œuvre de l'architecte Alexandre Colladant. L’immense fresque de 200m² représentant le Christ embrassant le monde est l’œuvre de Geneviève d’Andréis, épouse de l’architecte.
 
Conclusion : Quel « art sacré » ? L’art sacré existe-t-il ?
 
Concilier les inconciliables… Le visible et l’invisible.
Rapprocher l’homme et Dieu…
« L’art, disait Delacroix, est un pont jeté entre l’esprit du peintre et celui du spectateur ».
 
L’artiste d’aujourd’hui, subjectif et théoricien, a parfois eu tendance à couper ce pont…
L’Art sacré est d’abord et avant tout art d’église, d’Eglise. C’est un art communautaire et liturgique, requérant de ses auteurs la soumission à l’édifice, au programme iconographique et décoratif, le respect de la mentalité des fidèles, bref le renoncement à l’originalité pour elle-même : c’est, en définitif, un art de service…
 
Là où le respect fait défaut, l’amour est absent. Un art peut-il revendiquer l’épithète de sacré sans amour ? L’œuvre d’art sacrée est à la fois une question et une catéchèse. Peut-être là est sa force ou son secret… L’art sacré est censé faire plus que faire penser celui qui le contemple ! Ne l’oublions jamais.
 
Mais l’esprit dominant de notre époque contemporaine est le culte du moi, de la personnalité de l’artiste, jusqu’au mépris parfois de celle des autres… Pourtant, à côté de l’art liturgique d’Eglise, il y a toujours la place pour le témoignage individuel. Mais sa place n’est peut-être pas derrière l’autel ?
 
Durant toute le seconde moitié du XXème siècle, l’Etat, par le truchement des Monuments historiques, s’est substitué à l’Eglise pour faire appel à des artistes, et le glissement de l’église lieu de culte à l’église lieu culturel, s’est peu à peu accentué…
 
Si la vérité vient à nous par le langage comme dévoilement, seule la parole poétique de tous les arts a le pouvoir d’atteindre l’intériorité.
L’art sacré poursuit le travail de création. Il a une action double : sur les artistes et sur les fidèles. Théophanie qui ne peut que sans cesse renouveler la création, la tradition…
 
 
MR sept.-10
 

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