En campagne
Editos d'Eglise d'Arras n°2
Après les primaires organisées par deux grands courants politiques, la France va entrer dans une longue période électorale. Des candidats vont officiellement se déclarer. Ils seront investis par des formations connues, ou indépendants à leur égard.
Les Français prendront connaissance du contenu des programmes. Sous de multiples formes, des débats et des rassemblements seront organisés. Au terme de ce parcours, en avril, en mai, puis en juin, chaque électeur se déterminera en son âme et conscience, dans la solitude de l’isoloir.
L’Église ne donnera, bien sûr, aucune consigne de vote. Chacun sait que, depuis longtemps, les suffrages des fidèles de l’Église catholique se répartissent assez largement sur l’échiquier politique. A juste titre d’ailleurs, personne ne supporterait désormais une quelconque injonction de la part de la hiérarchie de l’Église.
Est-ce à dire que l’Église ès qualité doit se tenir à l’écart et se désintéresser du débat politique ? Certainement pas ! La foi, l’Évangile, la doctrine de l’Église ne se vivent pas dans des cercles privés. Ils n’ont de sens que s’ils nourrissent et irriguent toutes les réalités de l’existence des fidèles et leur proposent un sens. La foi travaille l’humanité. Depuis des siècles, bien que marquée par ses limites, l’Église trace des chemins de paix, de justice, de liberté et de fraternité. Elle n’est pas seule à le faire, mais elle partage humblement sa longue expérience.
Dire, en période électorale, ce qui est conforme à la dynamique évangélique ou ne l’est pas ne constitue en rien une ingérence indue et inexcusable. L’Église manquerait à sa mission et à sa responsabilité si elle ne participait pas à la recherche de ce qui est aujourd’hui le meilleur pour les personnes et la société. Partager la lumière que l’on reçoit n’oblige personne à en accueillir les rayons.
Il y a belle lurette que les promoteurs des lois qui régissent la vie commune dans notre pays ne cherchent plus massivement dans l’Évangile ou l’enseignement de l’Église leur inspiration. Il est bien évident que la profession de foi chrétienne n’habilite pas, de soi, à gérer les affaires publiques. Cette distance ne peut que rendre plus crédible une parole désintéressée qui ne vise pas à conquérir un pouvoir ou à s’y maintenir.
Avec beaucoup de liberté, les membres de l’Église analyseront les programmes et s’exprimeront à leur sujet. Ils n’hésiteront pas à relever, au nom de leur foi, les propositions susceptibles, à leur avis, de faire grandir l’homme et la société ou, au contraire, de les affaiblir et les aliéner. Personne n’est obligé de croire l’Église. Elle serait toutefois infidèle à sa mission si elle ne parlait pas.
Nos communautés, nos mouvements sont appelés à un profond travail de discernement. Les évêques de France soulignent pour leur part un certain nombre de domaines particulièrement sensibles aujourd’hui dans la vie des personnes, des familles, des pays et des peuples. Ils n’apportent pas des solutions à toutes les difficultés et des réponses à toutes les questions. Ils souhaitent l’engagement généreux et désintéressé de chacun pour le bien de tous.
J’invite le plus grand nombre de membres de l’Église dans le diocèse et tous ceux et toutes celles qui voudront bien se joindre à eux à travailler la plaquette « Retrouver le sens du politique », rédigée par le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France. Elle constitue un instrument de travail parmi d’autres pour courir le marathon électoral qui nous mènera à l’été.
Dans cette période de choix et de décision, rien ne serait pire que de s’en remettre à des slogans, à des opinions, à des sondages. Les grandes mises en scène, les formules assassines, les invectives renouvelées, les peurs propagées ne peuvent pas tenir lieu de réflexion, d’analyse et de critique.
L’Évangile n’appartient pas à un camp, il n’est pas au service d’une idéologie. Il est une parole libre. En retour, nous pouvons être assurés qu’aucun programme ne sera la fidèle incarnation du message évangélique.
Le temps de Dieu n’est pas le nôtre. Il lui plaira sans doute d’accorder à l‘humanité d’autres campagnes électorales, nous n’en connaissons pas le nombre, et c’est bien ainsi. Chacune d’entre elles constitue un moment favorable pour nous interroger ensemble sur les progrès à accomplir, les conversions à accepter, les chemins à parcourir. Nous voulons qu’en nous, autour de nous et loin de nous l’être humain soit respecté, servi et restauré dans sa grandeur et sa dignité d’enfant bien-aimé du même Père, de frère ou de sœur de semblables.
Nous croyons que la réalisation plénière de ce projet n’appartient qu’au Christ Rédempteur. Il nous revient cependant de déterminer les voies que nous voulons emprunter pour que ce dessein d’amour s’inscrive chaque jour davantage dans notre histoire et celle de la famille humaine.
+ Jean-Paul Jaeger