Mgr Defois, caritas in veritate
animation sociale par des chrétiens.
L’encyclique “Mater et Magistra” a été publiée le 15 mai 1961 par Jean XXIII. Invité au colloque organisé par le Conseil Pontifical Mgr Defois, président de Justice et Paix-Europe, publie une longue réflexion dans “la Lettre de Justice et Paix” n° 160. En voici quelques extraits.
Le caractère commémoratif de cette manifestation et la rencontre avec le Saint Père ont souligné la fidélité de l'Église à l'enseignement social. Son engagement pour la justice et la solidarité à travers les situations complexes de l'économie mondiale a été largement rappelé, mais il l'a été en décrivant le long chemin réflexif parcouru depuis cinquante années particulièrement denses en mutations économiques et politiques dans le monde…
La récente encyclique de Benoît XVI, "Caritas in veritate" a été fréquemment citée lors de ce colloque de mémoire, et l'on a évoqué le chemin qui l'a précédée à travers le Concile, les messages de Paul VI, le synode de 1971 sur la Justice dans le monde. Et, bien sûr, les innombrables enseignements du pape Jean-Paul II. Dès l'ouverture, Benoît XVI nous précisait que Mater et Magistra fut chez Jean Paul II « un élément essentiel de la mission évangélisatrice de l'Église, car partie intégrante de la conception chrétienne de la vie. Pour ce faire, les laïcs ne sont pas des exécutants passifs, mais des acteurs... des collaborateurs précieux des pasteurs... grâce à l'expérience acquise sur le terrain et a leurs propres compétences spécifiques ». Plus encore, les valeurs mises en relief par Jean-Paul II: vérité, amour, justice, et principe de la destination universelle des biens sont aujourd'hui encore des critères fondamentaux pour « interpréter et commencer à résoudre les déséquilibres internes de la mondialisation actuelle ». Et le Pape d'opposer a ces déséquilibres, une raison intégrale qui fasse renaitre la pensée et l'éthique ».
Revenant à plusieurs reprises sur les déséquilibres mondiaux de notre époque, il (Benoit XVI) soulignera les disparités, les différences de richesse. Il marquera l'impact en ce domaine de la finance mondiale, de la spéculation, le prix des ressources énergétiques primaires, des denrées alimentaires, de la terre et de l'eau, autant de réalités de ce monde économique, scientifique, culturel et politique devenues des enjeux financiers et des portes ouvertes a une spéculation sans contrôle. Et Benoit XVI de demander à nouveau des audaces pour la formation des hommes, l'élaboration d'un projet social et d'une pensée inspirée de « l'amour plein de vérité qui habite en Jésus Christ, Verbe de Dieu qui s'est fait homme ». S'il fut un temps, dans les années 1970 où la pensée sociale de l'Eglise a été rangée dans les nuages idéologiques d'une vision idéaliste du monde, ce qui apparait ici, c'est une lecture humaniste de la situation fondée sur les repères évangéliques de l'action.
Les notions traditionnelles de bien commun, de destination universelle des biens, de solidarité connaissent des formes nouvelles dans le contexte de la mondialisation des productions, des marchés et des travailleurs. Des déséquilibres sociaux, fruits des transferts des biens produits, des migrations à finalités économiques parfois transitoires, des conflits traditionnels, culturels ou économiques renforcés par le recours aux moyens armés sophistiqués d'aujourd'hui déplacent les questions de la justice commerciale traditionnelle.
Certes, il est apparu que les chrétiens cherchent à dialoguer avec les responsables politiques ou économiques de leur pays les évêques, soit dans les rencontres officielles, soit par certaines prises de position, expriment une vision chrétienne de la situation et tentent de lire les « signes des temps »… Dans l'esprit de l'importante lettre du Pape Paul VI au cardinal Roy en 1971, l'enseignement social chrétien invite à penser et à innover pour assurer en chaque lieu des perspectives de vérité, de justice, de paix et de liberté solidaire. Ce que le pape Jean-Paul II désignait comme finalités de l'engagement social des chrétiens dans la société… Par là [se dessine] une mission claire de traduction des encycliques dans le contexte d'un pays ou d'un problème.
Ce congrès a été marqué par un effort certain de partager la parole et les expériences dans l’action sociale : politiques d’emploi, subsidiarité dans un ensemble de relations mondialisées, développement varié d'entreprises nouvelles, nouvelles formes de développement et de travail. Mais aussi des thèmes d'importance plus récente : la terre comme milieu de vie (écologie, ressources naturelles, politiques de la terre, du climat, de l’eau). Des questions comme la révolution des démographies, l'écologie humaine, la bioéthique sont devenues incontournables. De même la gouvernance, qu'elle soit sectorielle, nationale ou mondiale, en particulier en ce qui concerne la distribution des richesses.
Ce qui a été marquant à mon sens, durant ces trois jours, c'est l'insistance commune pour dire que l’action sociale et caritative ou humanitaire fait désormais partie de l'annonce de l'Evangile et ne peut se réduire à un service social marginal par rapport à la vie de l'Église, locale ou universelle. Ce qui est encore à prendre en compte en de nombreuses communautés à l'heure d'une redécouverte prioritaire pour certains de l'intériorité et de la spiritualité personnelle. Nous sommes conduits à exprimer de manière renouvelée nos responsabilités économiques, politiques et culturelles. Sur ce dernier point, il est évident que l'encyclique Caritas in veritate pose en termes neufs l'engagement chrétien: il n'est pas seulement économique et politique, il concerne l'homme dans sa réalité anthropologique, son imaginaire, ses repères éthiques et ses visions de l'avenir, son corps comme ses idées, son rapport à la terre et ses structures relationnelles…
Il ne suffit pas d'importer chez l'autre des biens matériels et des forces d'intervention, il est des croissances qui relèvent de l'esprit. Et demeure pour moi cette question : en constatant les distances entre nos propos éthiques et les lignes de force, tant de l'économie que de la formation des acteurs économiques en nos écoles et nos universités, comment l'Église comme institution d'une part, et les chrétiens comme acteurs politiques et économiques d'autre part, peuvent-ils intervenir sur les orientations politiques à l'échelle internationale, par exemple à propos des « paradis fiscaux », y compris pour les chefs d'État, de la corruption comme modèle courant d'échange économique, et cela en interprétant de façon actuelle la « destination universelle des biens » ? Il nous faudrait ainsi réfléchir à l'impact concret des encycliques et de l'enseignement social de l'Église.
L'encyclique est téléchargeable sur le site du service Famille et société de la Conférence épiscopale : http://www.penseesociale.catholique.fr/Mater -et-magistra.html