Religiosités populaires
Journée de rentrée pour les équipes liturgiques
Pour sa journée de rentrée, le service diocésain de liturgie avait choisi le thème “Piété populaire, lieu d’expression de la foi”. Le père Hervé Destrès, du diocèse de Coutances et professeur de liturgie au Centre d’études théologiques de Caen, animait cette journée.
La conférence était émaillée par de nombreux exemples du délicat rapport entre “foi”, “croyances” et “piétés populaires”. Ainsi le dialogue entre une jeune mère demandant le baptême de son enfant avec le prêtre l’invitant à découvrir le lien entre le baptême et la foi en Jésus-Christ : “Je viens vous demander le baptême, pas d’en faire un chrétien”. Accueillir, accompagner et évangéliser les démarches nous incombent pour favoriser la rencontre des gens avec le Christ.
Diversités des expressions de piété populaire.
Pour introduire la journée, Mr Dominique Aucremanne, directeur du service diocésain des pèlerinages offrait un bouquet de situations, à partir de ce qu’il pouvait rencontrer dans sa responsabilité. Il rappelle d’abord l’étonnement de nombre de pèlerins du diocèse devant l’extériorisation des mammas italiennes ou espagnoles. Etonnement devant leur bousculades afin d’être en très grande proximité avec le saint-sacrement ou la statue lors de la procession. On marche au plus près possible. Il faut même que la statue soit au milieu des pèlerins, car elle fait partie des pèlerins qui processionnent.
Passé ce moment d’étonnement, peut-être faut-il se rappeler que le pèlerin est un nomade, un errant, quelqu’un qui est aimanté par une découverte, un chemin à parcourir vers…, un chemin pour arriver à Dieu. Que ce soit Compostelle ou Avila, ou Lourdes, ou Jérusalem : partir en pèlerinage, c’est se mettre en route. A Avila, devant la statue qui termine la procession, on trouve non pas le clergé ni les évêques, mais l’armée et le maire, qui marquent ainsi leur dévotion à Thérèse d’Avila.
Bien des processions sont des temps de catéchèse ; ainsi lors des pèlerinages diocésains, autant qu’il est possible. Il faudrait prendre le temps de décrypter les bannières des paroisses et associations. A partir d’elles, avec quelques clés de lectures, on peut dire quelque chose qui ouvre les esprits. De même pour les chants et les cantiques. Chanter ensemble le soir à Lourdes, c’est se sentir unis en un seul peuple qui prie Dieu autour de Marie, qui élève en même temps le cierge au refrain. Lors de la procession ND de Boulogne, on trouvera nombre de chants spécifiques au monde des marins. Même si les puristes en musique regrettent le style, il n’en reste pas moins une réelle expression de foi et de prière, avec Marie, tournés vers Dieu.
Il existe des expressions plus individuelles, comme les cahiers des intentions. Quand on les parcourt, on mesure les situations concrètes qu’elles évoquent : la vie coule du stylo qui a écrit ces pages. Déposer leurs intentions, c’est une manière d’exprimer sa foi avec les mots du moment. Dans leur diversité, les expressions de piété populaire touchent les différents sens : la vue, le toucher (la pierre, les reliques), la lumière, le cierge qui continue à bruler après le départ…
D’autres formes peuvent exprimer cette piété : à Fatima, le cire représentant un enfant ou un organe malade et que l’on jette au feu ; l’ex-voto ; l’eau que l’on ramène pour l’ami qui n’a pas pu participer au pèlerinage. L’église portugaise essaie de limiter ce phénomène. Parfois on entre dans l’église sans but précis, et l’on allume une bougie, et l’on se met à dire une prière…
Ces gestes, ces signes de piété sont d’abord à recevoir comme signes extérieurs. Sans doute faut-il les éduquer, ne pas tout bénir par principe. L’eau renvoie au baptême mais elle peut aussi être considérée comme objet magique.
Autre expression de foi, celle qui passe par la douleur : l’esplanade de Fatima de près d’1km que certains se forcent à parcourir à genoux. A une certaine époque à Lourdes, pour le chemin de Croix, il en était de même. Ce n’est cependant pas sans interrogations sur le sens que l’on donne à la douleur.
Dominique Aucremanne rappelle la diversité des sacramentaux, comme le chapelet de Lourdes, aujourd’hui relayé par Internet. Il permet au loin à des personnes d’être nomade virtuel avec les pèlerins présents. Les nombreuses bénédictions, où le prêtre peut rappeler que c’est la personne qui reçoit la bénédiction. Parfois on assiste à un mélange des rites comme au Mexique où l’on mélange des rites païens, indiens et catholiques ; on en arrive au risque de syncrétisme. En conclusion, il nous appartient d’être tout à la fois accueillant et vigilants.
Accueillir, accompagner, évangéliser
Curé de Villedieu-les-Poêles, le père Destrès évoque l’importance des bénédictions de cloches. Autrefois, c’était le rituel du baptême, avec parrain, marraine et saint chrême. Cette pratique a été modifié dans le nouveau rituel, fort heureusement. Dans les années 70 on a parlé de religiosités populaires, remettant en cause les pratiques évoquées ci-dessus. Depuis on s’est aperçu qu’il fallait prendre en compte, non les gestes de religiosité, mais les gens eux-mêmes. Leur foi s’exprime, mais pas toujours selon les livres canoniques. L’expression religieuse vient avec ce que l’on est et il nous appartient que ces moments deviennent actes d’évangélisation. Mais là encore, nous avons vite fait de nous situer du bon côté face à eux, ces gens à évangéliser, qui seraient de l’autre côté !
Méditer l’accueil de Jésus.
Une femme malade cherche à toucher Jésus, au milieu de la foule. Jésus se retourne, voit cette femme et lui dit “Ta foi t’a sauvée”. Il sait cette femme malade et en attente ; il ne reçoit pas son geste comme expression d’une religiosité dont il se faudrait se méfier ; il voit une femme qui souffre et qu’il faut prendre en compte. Et nous ? La personne qui souffre, qui est ébranlée dans sa vie, nous avons à la regarder, à voir ce qui se passe pour elle et à l’accompagner si possible ; nous n’avons pas à nous situer en juge. Le geste de toucher Jésus, au milieu d’une foule comporte une dimension communautaire et une dimension personnelle de la foi. C’est à prendre en compte, en particulier lorsque la foi est fragilisée. On retrouvera cela dans le directoire sur la piété populaire.
Lorsqu’on est “sec”, qu’on ne sait quoi faire, le rite supplée, tout comme le geste de la femme qui vient toucher… toucher, quand on ne sait plus quoi faire ou dire, hier comme aujourd’hui.
Il nous faut à tout prix chercher à comprendre ce que demande la personne. Le père Destrès fait appel à son expérience personnelle en évoquant des personnes qui demandent de se confesser. Aussitôt, dit-il, la machine de mon vocabulaire se met en route et je lui demande si elle veut se confesser au confessionnal ou tout simplement parler ici même. La personne à qui je propose cela , que cherche-t-elle ???? Elle ne vient pas chercher le pardon du Seigneur, ele cherche quelqu’un à qui parler pour que sa vie puisse être libérée.
Que ce soit devant la mort, ou l’occasion d’une naissance, ils sont nombreux à se dire qu’il y a quelque chose à faire. Mais quoi ? Parler de la mort semble plus compliqué aujourd’hui, or nous avons à aider d’abord les gens à consentir la mort. La difficulté rencontrée avec les familles en deuil est d’accompagner ce temps du deuil : il manque quelque chose et ils désirent combler cette absence. Face à la mort, quelles propositions ? Où se situe notre réponse ? A la naissance de l’enfant, on sent qu’il faut faire quelque chose ; même sans la foi c’est un besoin. Dans les mariages aussi, on a besoin de quelque chose : on veut un mariage, mais “pas trop catholique”. Toutes ces situations expriment le besoin d’une marque sociale devant laquelle l’Eglise se refuse, d’où parfois, des baptêmes républicains où les gens ont ce qu’ils demandent. Question pour nous : quelle est la société de laquelle on sort et comment ouvrir un chemin vers la rencontre de Jésus ?
Accompagner, évangéliser.
La piété populaire ce sont deux mots associés : piété et populaire. La liturgie peut-elle favoriser le rapprochement entre le populaire et la piété ? L’Eglise propose d’accueillir, même si nous émettons des réserves. Nous ne devons pas ignorer de où vient la demande et garder attention à la personne qui demande.
Crèche
Il y a autour de nous bien des choses qui nous dépassent : guirlandes, sapins, vitrines, crèches, etc… L’Eglise à quelque chose à vivre à partir de tout cela. Noël, tout le monde le vit. Notre conviction c’est qu’à Noël “L’Eglise fête le mystère de l’incarnation”. Le missel romain écrit plus simplement : Fête de la nativité. Point ! Peut-on arriver à fêter Noël en faisant le vide de tout ce qui l’entoure ? Combien de représentations de la vie actuelle sont apportées auprès de l’enfant de la crèche ?
L’époque de St François et des grandes cathédrales a vu grandir le désir de mettre en scène quelque chose, parce que les gens ne savent pas. Il faut traduire, représenter, donner à voir. Ainsi la statuaire et les vitraux. Ainsi François met en place des moyes concrets pour donner à voir et à vivre ; ainsi pour la crèche ; ainsi pour le chemin de croix. Il est des scènes qu’on ne trouve pas dans les Evangiles, comme Véronique. François met en place une piété populaire où des gens simples accordent leur participation à ce qui se passe. Le chemin de Croix ne nuit pas à l’Office du soir, bien au contraire, il aide à se représenter, à s’y représenter. Dire “çà ne sert à rien” est une aberration. La crèche, les crèches, le chemin de croix peuvent être chemin par lequel la piété populaire aide à grandir dans la foi.
Donner sens à la vie et relier au Christ
Par bien des gestes de piété populaire, on rejoint la question du sens, du sens d’une vie, d’un sens d’une vie reliée au Christ ressuscité. Y compris les cendres : dire que cela n’est rien, c’est empêcher les gens de se retourner sur eux-mêmes pour se tourner vers le Christ au moment où, au fond d’eux-mêmes, ils s’interrogent sur eux-mêmes. Ces gestes que nous disons populaires sont des lieux sur lesquels mettre l’Evangile.
Les gens ont un vaste argumentaire pour dire qu’ils n’o Arras Saint-Nicolasnt pas le temps d’aller à la messe, et voilà qu’ils prennent du temps pour le buis béni du dimanche des rameaux, ou pour la bénédiction de Saint Christophe. Ne peut-on prendre le temps d’évangéliser cette démarche ? Par exemple : le rameau de buis rapporté à la maison et posé sur la croix, il fait partie des sacramentaux voulu par l’Eglise. Ce jour-là des gens marchent en procession derrière la Christ, et l’on chante Hosanna ! Après la procession, nous ne gérons plus l’utilisation des rameaux. Les gens les porteront peut-être sur la tombe d’un défunt. Hosanna ! C’est-à-dire je veux te suivre jusqu’à la croix, la mort et la résurrection. Nous croyons que ceux qui nous ont précédés ont passé en Christ. Nous avons à “recharger” le sens des gestes dont on a perdu la signification profonde. Peut-être que le rameau sera déposé sur la croix dans la maison, et l’année suivante, plutôt que jeter ce rameaux, ne peut-il pas être repris et brulé lors de l’entrée en carême, devenant cendres et prenant sens avec la marche vers le Christ. Cela suppose que l’on demande aux gens de ramener leurs rameaux, que nous nous donnions les moyens de relier le geste à l’Evangile. A nous de savoir relier ces gestes au Christ, à ses saints. A nous d’y porter l’Evangile.
Sur le bord des routes, nous voyons parfois une croix, des fleurs là où la voiture accidentée s’est arrêtée? Là où il n’y a pas de sens, l’homme cherche un élément de sens qu’on ne saurait évacuer. La question, pour nous, est d’accueillir et d’entendre cette attente… et y poser la Parole de l’Evangile. Croire qu’il naît quelque chose en moi qui va m’attirer vers quelque chose qui me dépasse. Suffit-il d’aller à St Georges pour être guéri d’un mal de gorge ? Dans le profond de l’homme, tout ce qui rejoint l’homme dans sa vie et sa mort se retrouve dans une piété que nous disons populaire. Il y a un ressort psychologique qui peut être le départ vers… Il y a quelque chose qu’il nous faut savoir évangéliser. Ces personnes ne viendront pas à toutes les messes du dimanche, saurons-nous les rejoindre ?
Besoin psychologique, besoin de sens, besoin spirituel…
L’Eglise a à accueillir les demandes, à les rejoindre (la mort et la vie, les grandes interrogations), se laisser toucher par les gestes. Prendre de l’eau, peut être un point de départ. L’évangile peut y être donné pour rappeler le baptême, où l’on est plongé dans l’eau du Christ. Le geste devient alors proposition d’Evangile. On passe du psychologique au spirituel.
Accueillir ces demandes, ce n’est pas arriver avec le livre des réponses prévues par le rituel ; accueillir c’est favoriser la rencontre avec le Seigneur. C’est d’abord regarder quelqu’un qui vient à moi. La personne qui vient bien souvent est tremblante, fragile, elle souffre, elle demande quelque chose. Que dois-je faire ? On peut lui donner l’eau qu’elle demande. Mais faire que la rencontre se fasse entre elle et le Seigneur doit être mon souci. Présenter quelque chose de la foi, accompagner la demande c’est autre chose que répondre à la demande.
Le Livre des bénédictions (1988) ou le Directoire sur la Piété populaire ne sont pas seulement des rituels, ou livres des savoir-faire, mais livres pour favoriser la rencontre avec le Seigneur. Dans toute démarche, quelle qu’elle soit, il nous faut discerner la démarche de foi, nous avons quelque chose à faire. Dans ces documents la théologie des bénédictions a été relookée. Par exemple, on ne bénit pas la chose-cadeau, mais on bénit le Seigneur pour ce qu’il donne et l’on bénit la personne qui portera cette croix ou médaille.
Du geste rituel à l’accompagnement dans la prière
Le père Destrés évoque longuement le baptême d’une cloche, autrefois. C’était un décalque du baptême d’une personne, avec eau, robe, chrême etc. Aujourd’hui, la prière exprimée c’est : “Béni sois-tu pour ceux qui sont appelés par cette cloche, pour ceux qui répondront à cet appel, pour les personnes assemblées lors des funérailles, pour la joie des mariés, etc…” On ne bénit pas la cloche comme telle, mais les personnes pour qui elle résonnera aux oreilles… C’est la même attitude, que l’on peut rechercher en bien d’autres demandes de bénédiction. Béni sois-tu Seigneur, pour celui qui portera cette croix etc. Il y a là, de notre part, un travail d’éducation de la foi, d’accompagnement d’une demande, où l’on peut prier avec la personne qui demande. Ce faisant, on change le rapport de la personne à Dieu.
De même pour le saint Christophe qui n’existe pas : porte-Christ. Ce n’est pas le “Christophe” qui va me protéger, mais que ce soit l’occasion pour nous, d’une attitude qui fasse découvrir que c’est Jésus que je porte et qui me porte en même temps.
Le père Destrés évoque le pèlerinage à Lourdes et la personne qui ramène de l’eau dans une affreuse figuration en plastic de la Vierge Marie. N’oublions pas l’importance de rapporter quelque chose, boire de cette eau ou signer le front avec cette eau : j’ai vécu quelque chose là-bas, et je te rapporte un peu de ce que j’ai vécu en union avec la mère du Christ. Cette eau signifie quelque chose, quelqu’un en qui j’ai mis ma foi. Cela aide à rejoindre Jésus. Saint-Omer, bas-relief. Le donateur est représenté agenouillé. Jean-Baptiste lui met la main sur l'épaule
Devenir chemin d’Emmaüs
Revenons au chemin de croix… notre attitude peut éveiller les participants à devenir disciples d’Emmaüs jusqu’à la rencontre du Christ sur notre chemin, chemin qui se termine par l’eucharistie. On peut ainsi parcourir l’Evangile de Jésus, sans fioritures jusqu’à l’eucharistie, à partir du chemin de croix pour lequel on est sans doute venu avec diversité de motivations. Il reste donc à chacun et à chaque communauté de voir quelles sont les demandes de la piété populaire qui nous arrivent, et de quelle manière nous pouvons les accompagner vers la rencontre de Jésus le Christ.
Abbé Emile Hennart
Bibliographie :
Livre des bénédictions 1988, Tardy 52,73€
Directoire sur la piété populaire et la liturgie 2003
Les religiosités populaires Robert Peloux, Atelier 17€ Recension