Mgr Jaeger reçoit la Légion d'Honneur
Mgr Jaeger introduit dans l'Ordre de la légion d'Honneur
Le 15 décembre, Mgr Jaeger était introduit dans l’Ordre de la légion d’honneur par Mr Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental
La cérémonie commençait par un rappel des origines de la Légion d’Honneur, sous Napoléon, puis de son histoire et évolution. Le général Dickès rappelait que d’autres évêques d’Arras avaient eu cette décoration : le cardinal de la Tour d’Auvergne, Mgr Gérard Huyghe…
Mr Delevoye devait rappeler l’esprit d’engagement de Mgr Jaeger dans son souci de la diversité. La présence des représentants anglican, musulman, protestant et juif en témoignait. Il rappelait aussi la présence de Mgr à la nécropole de ND de Lorette lorsque des tombes furent profanées. Le discours était aussi l’occasion de manifester que la laïcité selon la République pouvait se vivre de manière sereine dans le respect des différences. On aura noté l’insistance de Mr Delevoye sur le travail de socialisation toujours à faire, à relancer. La conclusion du discours résume ce souci de laïcité au service de chacun et chacune.
“Aujourd’hui nous devons être en permanence interpellés par cette distinction (de la République) pour toutes celles et ceux qui préfèrent la force du verbe à la force des armes, qui consiste à dire que le mot qui résonne et qui permet à chacun et chacune d’entre nous d’être le chirurgien de l’âme, quand on s’est un peu trop occupé du corps fait que, au moment où notre société permet de donner du temps à notre vie : ce qui est peut-être essentiel c’est de donner de la vie à notre temps, et c’est sur ces espérances dont nous avons absolument besoin, pour permettre de retrouve ces chemins que, aujourd’hui, la République, qui a bien besoin de toutes les résonnances individuelles et collectives, Monsieur Jean-Paul Jaeger, va vous honorer et j’ai le plaisir de vous introduire dans l’Ordre de la Légion d’Honneur”.
Mgr Jaeger prit ensuite la parole pour remercier la nombreuse assemblée et tous eux qui ont partagé à un moment ou l’autre son existence et ses choix, pour permettre aux semblables de vivre heureux, les uns par les autres, pour les autres : “J’ai vu la solidarité vécue au cœur de bien des gens. Ils savent se rassembler quand l’être humain est en cause… Dans cette marche commune, l’Eglise, les églises, les religions ont un rôle à jouer.”
Texte complet ci-dessous en pdf.
Discours d’introduction par M. Delevoye adressé à Mgr Jean-Paul Jaeger lors de son introduction dans l’Ordre de la légion d’Honneur
Mgr Jaeger, c’est aujourd’hui une belle fête de la République, car ce que la République distingue c’est l’homme. L’homme d’engagement que vous êtes, et aujourd’hui il est important de regarder la richesse de votre engagement par rapport aux défis que nous devons relever. Cette résonnance républicaine décrite par le général Dickès est symbolisée par votre comité d’honneur puisque Mr le ministre, Mr Frédéric Cuvillier, nous a fait l’amitié de délivrer son message, sa volonté d’être à nos côtés, vous avez aussi Mr le représentant de l’Etat, Mr le secrétaire général, les élus, Mme la sénatrice, celles et ceux qui exercent des fonctions électives, mais aussi les drapeaux qui symbolisent que quelle que soit leur croyance, leur religion, il y a quelque chose qui dépasse : l’engagement pour la nation ; symbolisée par celles et ceux qui cultivent la solidarité, la présidente du Secours catholique, celles et ceux qui sont en permanences attachés à réveiller la citoyenneté, les représentants de ND Lorette, que je salue, cher président, car la mémoire des morts n’est pas simplement la nostalgie, mais la question fondamentale que se posent tous les philosophes depuis l’origine de l’homme, c’est que la vie ne vaut que par la perception que l’on a de la mort, et que le caractère précieux de la vie fait qu’elle est fugace et que l’on doit toujours se souvenir du sage qui disait :“vis comme si tu devais mourir demain et travaille comme si tu ne devais mourir jamais. Et l’on voit bien que ce qui est important c’est d’être en harmonie avec ce monde, et avoir le souci de l’engagement qui dépasse largement notre séquence temporelle. Vous avez aussi les représentants de la légion d’Honneur mais aussi André Bouzigues qui a un engagement pour la diversité.
Je voudrais aussi saluer toutes celles et ceux qui vous entourent dans l’exercice ecclésiastique, le recteur, l’enseignement, les évêques. Je voudrais aussi indiquer les raisons pour lesquelles je ressens une émotion par rapport à l’honneur que vous me faites de vous remettre la Légion d’Honneur, d’abord c’est sous le regarde de votre maman, de votre frère, de votre nièce. Vous avez aussi voulu associer dans un geste d’amitié, où les symboles sont très forts. Vous auriez pu, au nom de votre Eglise, faire en sorte de donner la priorité de vos invitations celles et ceux qui partagent vos convictions, vos rites, vos traditions, et dans l’engagement qui est le vôtre, l’Eglise est d’abord une ouverture, et dans un moment où les biens matériels se font plus rares, les biens non-matériels sont plus précieux. Il faut être attentifs au fait que saint Augustin disait que l’espérance nous aviverait de beaux enfants, la colère devant l’injustice et le courage pour les corriger. Vous êtes homme d’espérance, d’engagement, et ces valeurs ne s’enferment pas dans des frontières apparentes, elles sont plutôt au contraire partagées et au moment où la mondialisation a réduit l’espace, il a pu donner un caractère universel aux valeurs que nous devons partager pour la dignité de la personne humaine et vous avez souhaité associer à votre communauté d’honneur, celles et ceux qui partagent votre engagement. Mr Alain Tajchner, président de la communauté juive de Lens, Mr. Mohamed Zaoui président de la communauté musulmane d’Arras, Mr. Patrick Wintrebert, de l’Eglise réformée de l’Artois, Kate Géry de Loison représentante de l’Eglise anglicane. Ce geste n’est pas de cordialité, mais de partage, geste qui doit être pris avec énormément d’attention.
En tant que président du conseil économique social et environnemental, je parrainais la semaine dernière un challenge “Team Jolokia” qui par la générosité d’un certain nombre de donateurs ont souhaité sur un bateau de course être en compétition avec des bateaux professionnels, mais dont l’objectif de l’équipage était un équipage de la diversité. Ils ont recruté de façon très précise des représentants de différents continents, de différentes religions, porteurs d’handicaps, un aveugle, quelqu’un qui avait perdu un membre, un qui était sourd, tous les sexes, toutes les pratiques, toutes les religions, toutes les confessions. Je voudrais aussi classer, en respect à votre engagement, l’extraordinaire richesse que peuvent représenter les religions quand elles ont la volonté d’ouvrir, de respecter la diversité, car lorsque la diversité est stigmatisée, elle écrase l’homme, lorsqu’elle est valorisée, elle transforme l’homme. Et au moment où nous sommes dans un moment extrêmement curieux, difficile, soyons attentifs que, quand la société devient illisible pour nos concitoyens et que le politique devient relativement impuissant par rapport aux évènements, alors, la porte est ouverte pour ceux qui sont populistes ou extrémistes. Nous devons donc dans cette recherche de quête de sens en permanence en train de chercher ce qui peut grandi l’homme. J’étais très frappé lors de discussions que nous avions eues ensemble à ce souci de ce que l’Eglise peut apporter à la société. Vous étiez frappé de la relation avec un maire communiste, avec lequel vous discutiez et qui vous expliquait que les houillères avaient tout construit, y compris, que l’église St-Louis de Grenay était très peu fréquentée, et le maire lui-même vous disait : Mgr, ne fermez surtout pas l’église, car c’est un repère, un outil de socialisation extrêmement très important. Certes, il n’y a plus beaucoup de chrétiens, mais il y a des symboles qui permettent un partage qui socialise.
Nous voyons bien les uns et les autres que notre société, sur laquelle on peut porter le regard que l’on veut, a une évolution particulière puisque elle laissait croire à de plus en plus grand nombre de nos concitoyens, que l’essentiel de la vie n’était pas de satisfaire ses besoins, mais d’essayer de satisfaire ses envies. Et l’on a une forme de frustration collective car aujourd’hui l’homme vaut plus pour ce qu’il dépense que pour ce qu’il pense ; nous probablement nous allons arriver à un moment où l’on va basculer de la société d’abondance à la société de rareté. Voir que nous sommes aujourd’hui dans un moment très particulier, dans un carrefour plus important que jamais, où la mondialisation a supprimé les frontières, mais elle a érigé de murs derrière lesquels les gens abritent leurs égoïsmes, et qu’il est facile de construire des murs, il est très difficile de construire des passerelles et des ponts entre le pauvre et le riche, entre celui qui sait et celui qui ne sait pas. Si nous laissons se développer cette supériorité et cet écrasement, celles et ceux qui n’ont plus de lumière dans leur vie, celles et ceux qui se sentent dans le précipice, peuvent à ce moment-là, par leur fragilités et faiblesses, mais aussi l’obligation de croire en quelque chose, ils pourront peut-être se livrer à celles et ceux qui, sans scrupules, les manipuleront les instrumentaliseront à des fins de pouvoir, et non à des fins de transcendance.
Je voudrais saluer le citoyen que vous êtes, car vous estimer que votre engagement ecclésiastique est au service de la République. Au cœur de votre réflexion, c’est la cohésion de la société, au nomment où elle se déchire, se fracture, au moment où la désespérance frappe de plus en plus de nos citoyens. Or, on ne peut construire l’espérance collective sur des désespérances individuelles. L’orchestre universel que représente la communauté internationale ne peut être en harmonie que si elle défend des valeurs universelles de la dignité des personnes humaines. Les états n’ont pas d’âme, disait Montesquieu, ils n’ont que des intérêts. Soyons attentifs à ce que si l’on déchire sur des intérêts, on aura du mal à imaginer de se conduire par la défense des causes.
Il est important dans cet équilibre nouveau entre le temporel et le spirituel – les choses sont très claires chez nous-, entre la spiritualité et la cohésion sociale, entre la diversité culturelle et la laïcité,
C’est aussi aujourd’hui cette distinction qui vous est remise au nom du ministre de l’intérieur, une formidable reconnaissance à cette valeur de la laïcité, qui nous permet tous, les uns et les autres de nous mobiliser contre toute forme d’intégrisme, qu’il s’agisse de l’intégrisme laïque, catholique, juif, musulman. La religion c’est d’abord la compréhension de la vie et donc la richesse de la différence, et non le rejet de l’autre. Lorsque l’on passe dans le rejet de l’autre, on est dans l’instrumentalisation de la religion au service d’un pouvoir et d’une dictature. Lorsque l’on cherche à donner du sens à la vie, on peut retrouver ce qui fera l’’équilibre du monde : la richesse du partage. Et lorsqu’on a à s’incliner devant ce formidable monument de Lorette, nous ne pouvons cesser de penser : “pourquoi l’homme qui est capable de faire de si grandes choses et aussi capables de tant de cruautés”. Et tous les jours, nous voyons bien que nous voyons repousser les limites du possible et du souhaitable, mais aussi s’approcher de plus en plus les limites les limites de l’inacceptable. Donc à tous ces soldats de la République, qui veulent faire grandir la République en faisant grandir chacun et chacune de ses citoyens, il est important de rendre hommage.
Mais il est aussi important aujourd’hui, Mr et Mgr Jaeger de voir ce qui a fait l’homme, ce qui a permis votre engagement. Vous êtes né en 1944 à Nancy, période de Libération, et vos premiers jours, vous les avez passés dans une cave. Vous avez été accouché presque dans une cave, et vous avez voulu ainsi passer -déjà et sans jeu de mot-, passer en permanence de l’obscurité à la lumière, et déjà, comme le disait le général, gravir les marches. Votre papa était officier marinier responsable d’un service social dans la marine, déjà la fibre sociale, et l’Est fournissait beaucoup de militaires, car ily avait peu de travail. Et vous madame, vous étiez des Flandres. Votre papa douanier, vous étiez très proche de votre mari, et lorsqu’il y a eu trois enfants, votre mari a quitté la marine et a postulé un emploi civil à Dunkerque. Vous avez vécu votre jeunesse à Dunkerque vous êtes vraiment un homme de la région. A 15 ans, après la 3ème vous avez envisagé d’entrer au petit séminaire d’Hazebrouck. A 15 ans vous aviez imaginé qu’il y avait là un chemin. Là je mesure la richesse de votre personnalité. Lorsqu’on lit les poètes latins, il y a cette phrase terrible : certains ont cessé de’ vivre avant même d’avoir commencé à vivre. Vous, au contraire, vous avez cherché en permanence à donner sens à votre vie. Même si aujourd’hui les hommes sont plus les fils de leur temps que de leur père, vous étiez très marqué par ces conflits, très par la capacité de croire en l’homme, et cette croyance en l’homme vous avait ouvert un chemin que vous avez souhaité emprunter. Vous avez réussi votre bac et votre supérieur vous demande d’entrer au séminaire supérieur de Lille. Vous y avez commencé la première partie de licence en théologie. Entre la philosophie et la théologie, vous avez préparé une licence profane de philosophie et en 67, vous partez en coopération au Liban. On sent déjà cette soif de comprendre l’homme dans ses questions existentielles : quelle est le sens que je dois donner à ma vie. Vous avez gardé du Liban un souvenir d’un merveilleux pays, où les musulmans, les chrétiens vivaient totalement en harmonie. Je rappelle souvent que lorsqu’on va à Cordoue, la plus belle résidence universitaire au monde, où il y avait avec des philosophes comme Averroès, une formidable communion entre les Juifs, les chrétiens espagnols et les musulmans, telle était la richesse et la résonnance de cette formidable université au point même que dans la mosquée de Cordoue, on a construit une cathédrale chrétienne et catholique ; et tous ceux qui pratiquaient la religion mettaient en commun, en convergence, les réflexions qu’ils portaient sur le sens de la vie, il y a eu un développement philosophique extrêmement riche.. Vous gardez de ce passage au Liban un moment très nostalgique de cette harmonie que vous avez vécu avec ces hommes et ces femmes qui pensaient différemment et qui avaient en permanence le souci de se rapprocher.
Et je pense que aujourd’hui nous devrions être attentifs les uns et les autres : est-ce qu’il n’y a pas une seule journée dans laquelle nous voyons dans un petit coin du monde, ou pas très loin de chez nous, des minorités écrasées parce qu’elles sont minorités ou parce qu’elles pensent différemment. Et de cette nostalgie vous a en permanence cultivé le devoir d’alerte, je devoir de vigilance, le devoir d’intervenir dès a qu’il y a des risques d’écraser les hommes, non pas pour ce qu’ils pensent, mais parce qu’ils sont différents. Et nous devons être attentifs à ce que la richesse du monde c’est sa diversité, quand beaucoup voudraient les mettre en uniforme.
En 1970, vous revenez, les séminaires sont regroupés à Lille, et vous y faites votre seconde partie de théologie pour être prêtre. Une formidable volonté d’engagement au service d’une croyance. Vous allez jusqu’au au bout de votre démarche. Ce qui vous caractérise d’être en permanence en harmonie entre vos convictions et vos actes. Vous êtes diacre, vous allez au lycée d’Hazebrouck, pour y enseigner la philosophie, tout en gardant un contact très étroit avec la paroisse. Très rapidement votre lucidité vous a fait découvrir que vous ne seriez pas enseignant jusqu’à votre retraite, non parce que vous n’aimiez pas les jeunes, mais parce que vous estimiez que votre mission était d’une autre nature. Rapidement vous demandez d’enseigner la philosophie au séminaire. Vous êtes ordonné prêtre en 1974, vous restez à Hazebrouck et en 1980 vous avez votre premier poste de direction au lycée d’enseignement professionnel, qui est un lycée uniquement féminin. Là vous découvrez la réalité du travail et la motivation des jeunes.
Je répète souvent cette phrase de Malraux : “Il y a pire que la mort, c’est de mourir sans connaître les richesses que l’on porte en soi-même.”. Très souvent, nous voyons que les jeunes avant de croire en quelque chose ont besoin de croire en eux-mêmes. Nous sommes dans un moment très compliqué où tout notre système a tendance souvent à mettre les jeunes devant leurs échecs et non devant leur potentiel. Ce qui est important est de permettre à cette capacité de croire en soi, peut-être d’imaginer des choses qu’on ne pouvait pas réaliser et de les réaliser. Cela vous a beaucoup marqué, cette confiance qu’il faut avoir en permanence dans les jeunes et dans les vertus du travail. Vous qui aviez parfaitement intégré de ne pas être enseignant jusqu’à la retraite. Vous avez senti que çà ne dure malheureusement qu’un temps. L’année suivante on vous appelle au lycée Jean XXIII de Roubaix où vous assumez la direction. Et un premier changement, à votre grand étonnement, vous prenez la direction du séminaire de Lille. C’est une autre caractéristique de Jean-Paul, Jaeger. Il ne cherche pas les honneurs, ne se croit pas supérieur, c’est quelqu’un qui avec une naïveté que l’on pourrait dire puérile, s’étonne toujours qu’on lui demande d’exercer des responsabilités importantes. Se posant la question de savoir s’il est à la hauteur de ces responsabilités. Très souvent, notamment avec notre culture française, on adore jouir du pouvoir, alors que ce qui est important, c’est d’exercer le pouvoir. L’humilité et la modestie sont des vertus trop rares, même si ceci n’interdit pas l’ambition dans l’action. Mais lorsqu’on est ambitieux dans les objectifs, modeste dans la conduite, exigeant dans le travail, qui sont les caractéristiques de Jean-Paul Jaeger, on obtient très vite le crédit auprès de ses pères.
Et là, il prend la direction du séminaire de Lille, pour y former des futurs prêtres. Et, en 1991 il est nommé évêque à Nancy, là où votre naissance a eu lieu. Curieux retournement de l’histoire. Vous quittez la région, pensant ne plus y revenir. En 1998 ; on vous transfère à Arras. Vous avez été président du comité épiscopal pour l’éducation. Et chacun se souvient de l’audition que vous avez donnée à la mission d’information à l’Assemblée nationale, sur une question compliquée, lorsque les parlementaires devaient débattre sur la question du port des signes religieux. C’est toujours cette notion qu’il faut mettre en avant que la laïcité est neutralité et la possibilité pour chacun de croire en ce qu’il veut. Et non le fait de s’enfermer dans l’interdiction de penser. Au contraire, ce qui parait important dans l’enseignement aujourd’hui n’est pas d’acquérir des connaissances, mais d’éveiller des consciences. Et c’est impossible d’imaginer que les hommes se surpassent q’ils ne croient pas en quelque chose qui les dépasse.
Vous avez aussi manifesté comme beaucoup de gens d’Eglise votre interrogation, votre interpellation sur les drames individuels que représentent les licenciements, évidemment comme drames humains, mais aussi parce que la socialisation dans une société passe par le travail, la famille, la croyance. Et lorsque le travail échappe de plus en plus, on voit bien qu’il faudra que nous ayons un autre regard sur la pauvreté, un autre regard sur la précarité et sur l’activité, un autre regard sur les biens non matériels.
Beaucoup se souviennent aussi de cette formidable indignation collective que vous avez partagée avec vos frères musulmans, juifs, anglicans, lors de la profanation des tombes du cimetière militaire de ND Lorette. Sachant qu’il faut en même temps s’interroger sur le fait que si des hommes et des femmes commettent des choses totalement indignes, est-ce le fruit d’une perversité, est-ce l’expression d’une souffrance, d’une douleur ? Il y a quelque chose sur lequel nous devons réfléchir. Jérôme et moi et toute la réflexion que mène le peuple norvégien sur la résilience de la société norvégienne qui a été extrêmement marquée par le fait d’avoir nourri en leur sein un bourreau, un monstre qui n’a pas hésité à tuer les jeunes engagés politiquement. Nous devons être attentifs à ce que, derrière la condamnation unanime, et les frontières, et le respect que l’on doit aux autres (c’est du domaine du sens de l’interdit), en même temps nous devons nous interroger sur les ressorts qui poussent quelqu’un à passer à l’acte : est-ce que c’est folie, est-ce que c’est notre folie à nous ?
Le sens que l’on donne sa vie permet de réfléchir à la parole du pape devant le parlement Allemagne sur ce qu’était l’engagement politique. Il rappelait la démarche de Salomon devant le Seigneur qui lui demandait ce qu’il voulait. Chacun pensait que Salomon allait demander l’argent, le pouvoir, la prospérité. Or, après quelques instants de réflexion seulement, lui dit : je voudrais simplement que vous m’indiquiez la capacité de choisir entre le juste, le bien et le mal. Je crois que cela renforce le sens de la République où Antigone disait : les loirs non écrites sont supérieures écrites. Et l’on voit bien qu’aujourd’hui le législateur est obligé presque d’aller dans une inflation législative, pensant compenser par la loi le recul de la morale individuelle. Cette morale individuelle n’est pas une obéissance, à un rite, à une tradition, c’est cette capacité demandée par Salomon de pouvoir choisir entre ce qui est juste, ce qui est bien, ce qui est injuste. Or notre société a besoin aujourd’hui d’équité. Et c’est aussi peut-être à cet homme juste que vous êtes, à cet homme de bien et d’espérance que vous êtes, que la République rend hommage.
Je voudrais aussi saluer – on va fêter l’année prochain Frédéric Ozanam, fondateur de la société saint Vincent de Paul- et qui n’avait de sens que de réconcilier l’Eglise et la République, et rendons aussi hommage à celles et ceux qui après avoir fait la révolution pour renverser les privilèges de droite, mais aussi voulant mettre la laïcité pour renverser les privilèges de la religion, qu’il y ait eu des hommes et des femmes de philosophie socialiste, Aristide Briand et d’autres, qui ont souhaité réinstaurer le principe la laïcité, de la séparation des pouvoir entre l’Etat et l’Eglise, pour faire en sorte qu’il n’y ait plus de confusion et de procès de conquête de pouvoir mais au contraire de faire en sorte que chaque citoyen se sente libre sur le principe de laïcité, se sente grand par les croyances qu’il porte, et se sente fraternel par rapport à celles et ceux qui ne partagent pas les mêmes convictions.
J’ai été touché par quelqu’un qui était dans la rue et qui exprimait le fait que son plus grand désespoir n’était que sa sébile reste vide, mais que plus personne ne le regarde. C’est un moment où notre société, de plus ne plus dépressive, est prête à se tourner quelquefois sur des charlatans de l’espérance, prête à retourner une page, presqu’en train de rechercher un bien être individuel que nous devons être attentifs à la réflexion de Régis Debray : quand le sacré est partout, les sociétés s’ankylosent, quand il est nulle part, elle se décompose.
Aujourd’hui nous devons être en permanence interpellés par cette distinction pour toutes celles et ceux qui préfèrent la force du verbe à la force des armes, qui consiste à dire que le mot qui résonne et qui permet à chacun et chacune d’entre nous d’être le chirurgien de l’âme quand on s’est un peu trop occupé du corps fait que, au moment où notre société permet de donner du temps à notre vie, ce qui est peut-être essentiel c’est de donner de la vie à notre temps, et c’est sur ces espérances dont nous avons absolument besoin, pour permettre de retrouve ces chemins que, aujourd’hui, la République, qui a bien besoin de toutes les résonnances individuelles et collectives, Monsieur Jean-Paul Jaeger, va vous honorer et j’ai le plaisir de vous introduire dans l’Ordre de la Légion d’Honneur.
Le discours de Mgr Jaeger (voir pdf ci-dessous)
Discours Mgr Jaeger, réception Légion d