Journée du migrant, Aix-Noulette
Témoignages d'Alain, de Catherine
Témoignage d’Alain L.
Je ne reviendrai pas sur la merveilleuse expérience humaine que nous vivons auprès de nos frères migrants vietnamiens que vous a très bien retracée Catherine. Je souhaite plutôt vous faire part de ce que m’apporte cette rencontre sur le plan spirituel. Depuis un an, je suis en quelque sorte plongé dans le dialogue interreligieux.
Bien que nos amis vietnamiens soient en grande majorité de confession bouddhiste, connaissant mon engagement dans l’Eglise catholique, ils se montrent très souvent curieux et d’une grande ouverture d’esprit à l’égard de notre foi. Leur curiosité m’a ainsi poussé à comprendre ce qu’était le bouddhisme. Et bien que le bouddhisme ne soit ni une religion, ni une philosophie, on peut quand même souligner certaines convergences entre nos deux traditions, même s’il existe des différences. En discutant avec eux, ils semblent nous dire qu’il est important que nous restions chacun dans notre voie mais en l’approfondissant à la lumière de ce qui peut nous enrichir mutuellement.
Alors que nous étions venus chercher de la glace dans le congélateur du presbytère pour conserver leurs aliments sur le camp, l’un d’eux ici présents nous a un demandé d’entrer dans l’église d’Aix-Noulette. Il fut d’abord surpris et émerveillé de la taille du bâtiment mais aussi par les vitraux mis en valeur par le soleil qui brillait.
Eclairage des vitraux lors de leur restauration Manon lui a alors expliqué que les vitraux retraçaient la vie de Jésus pour les chrétiens qui ne savaient pas lire il y a longtemps. Il fit le tour et me montra le vitrail de la nativité en me disant que c’était Jésus et sa maman. Puis continuant son observation, il me fit remarquer que comme eux le faisaient avec Bouddha, nous offrions des fleurs à Jésus et qu’à la place de l’encens qu’ils font brûler en offrande, nous allumions des cierges. Quelle ne fut pas ma surprise quand il me fit comprendre qu’il souhaitait avec moi allumer un cierge pour Jésus.
On peut aussi illustrer cette convergence par la parabole utilisée par le Bouddha qui parle d’un homme atteint par une flèche et qui s’écroule à nos pieds. Irons-nous rechercher l’identité du tireur ? Celle de l’armurier ? La qualité du bois dont est faite la flèche ? Non. Il nous faut immédiatement trouver un remède à la souffrance du blessé.
Et bien sur ce point nous pouvons dire que chrétiens et bouddhistes se retrouvent.
Entre un Dieu rédempteur venu alléger le fardeau des humains en pardonnant les péchés du monde et Bouddha, le Bienheureux enseignant de la « Voie de la Délivrance », on reconnaîtra au moins une certaine communauté d’intentions telles que la compassion et la tolérance.
Plus précisément, lorsque Jésus relève les paralysés ou console les lépreux, ne leur dit-il pas : « Va, tes pêchés te sont remis » ? En d’autres termes : « Te voici purifié, ton corps en témoigne ».
Cette croyance en la pureté et en la liberté originelles de l’esprit est la base de toute méditation bouddhiste. Beaucoup de chrétiens la partagent.
On peut aussi souligner que ni le Bouddha ni le Christ n’ont écrit ; ils ont laissé à leurs disciples le soin de transcrire le message tel qu’ils l’avaient perçu, avec toute leur humanité. Ainsi devons-nous à notre tour retrouver le message en nous même. La nécessité de l’expérience semble être une des leçons majeures de cette rencontre. Une certaine capacité d’éveiller quelque chose au-delà des mots afin de devenir témoin.
Autrefois, l’acte religieux pouvait se résumer à la célébration ou à l’exploration de ses propres rituels et croyances. Un élément nouveau apparaît aujourd’hui qui consiste à entrer avec empathie et respect dans les croyances et les rituels des autres religions sans pour autant les faire notre.
En ce temps de Noël, je me disais il y a deux semaines lors de l’Epiphanie que mes amis vietnamiens sont un peu comme les mages venus d’Orient. La recherche et l’humilité de ces savants ont été récompensées par la joie de la rencontre. Nos amis vietnamiens ne nous apportent pas d’or certes, mais de l’encens et aussi des coffres remplis d’humanité.
Paul VI déclarait formellement lors la clôture du concile Vatican II : « Pour l’Eglise catholique personne n’est étranger, personne n’est exclu, personne n’est lointain ».
Ce dialogue peut ainsi nous animer de meilleurs sentiments à l’égard d’autrui, mais aussi nous rendre plus conscients de nous-mêmes, pour mieux témoigner de notre bonté essentielle. Le dialogue nous rend meilleurs.
Je terminerai avec cette déclaration du DALAÏ-LAMA :
« Je crois que le but de toutes les grandes traditions religieuses n’est pas de construire de grands temples à l’extérieur, mais de créer des temples de bonté et de compassion à l’intérieur, dans nos cœurs ».
N’y voyez-vous pas une certaine similitude lorsque le pape François déclare : « Il est essentiel que les catholiques – les prêtres comme les laïcs – partent à la rencontre des gens. Le rôle de l’Eglise est d’aller vers les autres …/… c’est le cœur de sa mission. Il est vrai qu’en descendant dans la rue on prend le risque, comme n’importe qui, d’avoir un accident. Mais je préfère mille fois une Eglise accidentée à une Eglise malade ».
Témoignage de Catherine L.
C’est avec grand plaisir que je viens partager avec vous cette merveilleuse histoire humaine. En effet, depuis janvier 2013 Alain et notre fille cadette se sont engagés dans l’aide aux migrants vietnamiens dont le camp est situé à Angres. Notre dernière les a vite rejoint, ensuite ce fut mon tour, puis celui de notre aînée cet été.
Avec le collectif, nous les accompagnons dans l’espoir de les aider à trouver un monde meilleur. Je peux vous dire qu’ils nous donnent autant que ce que nous leurs apportons. Nous vivons une réalité humaine qui nous a tous touchés différemment. Si dans un premier temps elle a bousculé notre quotidien, nos points de vue, elle nous a enrichis. Nous avons aujourd’hui une vision plus pertinente, plus réelle et un point de vue critique sur les préjugés portés sur les migrants. Combien de fois j’ai entendu dire : « La France n’en a plus les moyens, ça coûte cher et en ce temps de crise, il y a d’autres priorités pour le pays ». J’ose vous dire que cela est faux, malsain et entretient une idéologie qui ne sert pas l’Homme et l’enferme.
Tout ce que nous leur donnons est le fruit de récupérations, ou d’achats personnels pris sur notre propre budget. Ils ne nous demandent rien. Leur sens du partage n’en n’est pas amoindri puisque chaque jeudi soir ils nous préparent un repas que nous prenons tous ensembles : bénévoles et migrants. Un moment de partage, d’échange, dans une atmosphère gaie où parfois l’humour et la dérision adoucissent leur quotidien.
Ils ont une lourde charge sur leurs épaules. Pour réaliser ce pénible périple, ils s’endettent ou alors leur famille. Leur gouvernement favorise l’attribution des prêts car en quittant le pays, ils font baisser le taux de pauvreté et le chômage chez les jeunes !
Dès leur arrivés en Angleterre, si ce n est pas au cours de leur voyage en Europe, ils sont donc contraints de travailler pour rembourser ce prêt et envoyer de l’argent à leurs familles ? Vous pensez bien que leur statut ne leur permet pas de faire la fine bouche et ils acceptent n’importe quel travail, même dans des conditions très éloignées des droits des salariés.
Nous les conduisons faire leur « shopping », car ils financent eux-mêmes leurs achats de nourriture, cigarettes, essence pour le groupe électrogène… Ils sont donc de bons clients pour les commerces locaux !
En discutant avec eux j’ai compris que cela n’était pas un choix de leur part, mais une obéissance à une décision familiale et l’espoir de vivre une vie plus humaine. Quitter leur pays leur demande beaucoup de sacrifices. Un samedi soir, j’ai rencontré une jeune femme d’une vingtaine d’années qui pleurait et demandait pour téléphoner chez elle. Elle nous a avoué avoir laissé son enfant de 20 mois à sa mère et espérait retrouver son mari déjà parti en Angleterre. Ils devront attendre au moins 5 ans avant d’espérer retourner au pays et revoir leur enfant.
Une autre fois, je cuisinais avec une dame plus âgée et lui demandais si elle était mariée, avait des enfants. Elle me répondit qu’elle était veuve depuis 3 ans et que suite à un licenciement elle n’avait plus d’argent pour nourrir ses 3 enfants (âgés de 9, 11, 13 ans). Elle les avait laissés à la famille et espérait rejoindre très vite l’Angleterre pour y travailler et leur envoyer de l’argent afin qu’ils puissent aller à l’école. A 10 ans ils connaissent déjà le monde du travail !
Le salaire moyen au Vietnam est d’environ 50 euros et cela n’est pas suffisant pour acheter les rations de riz. Au pays, ils survivent. Le gouvernement réquisitionne beaucoup de terres pour mener sa politique de marché. Les terres sont achetées au prix le plus bas, parfois saisies par des manœuvres de corruption. En plus de perdre leur gagne pain, ils ne trouvent pas de travail. Conclusion : les riches deviennent encore plus riches et les pauvres s’appauvrissent. C’est par le biais de ces nombreux échanges que j’ai appris à comprendre leur choix, à ne pas les juger. J’espère que notre aide les aidera à trouver un monde meilleur car ce sont des ados ou de jeunes couples ou parents qui veulent donner le meilleur à leur famille.
Tout à l’heure je vous disais qu’ils nous apportaient beaucoup. Nos filles se rendent compte de la chance qu’elles ont de vivre en France, dans une société de consommation où, quoi qu’on en dise, nous nous laissons parfois dépasser par le superflu. Elles réfléchissent mieux à leurs achats et n’achètent pas pour faire comme les copines ou être comme tout le monde. Elles se comportent moins en consommatrices.
Ils sont très solidaires, respectueux et bienveillants. Un samedi après-midi, lors d’un match de foot, l’un d’entre eux a eu un malaise et nous avons du appeler les pompiers. Ils étaient au bord des larmes de voir leur copain emmené et leurs gestes de réconfort étaient très touchants.
Un jour sur le camp, est arrivé un catholique (ils sont peu nombreux au Vietnam, environ 10 % de la population). Connaissant l’engagement d’Alain en Eglise, ils l’ont rapidement informé et nous lui avons proposé de l’emmener à la messe. Nos filles nous ont accompagnés, heureuses de vivre cette communion. Cela représentait beaucoup pour nous car depuis le décès de mon père, elles n’étaient quasiment jamais retournées à la messe. Le dimanche suivant, il fut accompagné d’un autre jeune de confession bouddhiste qui souhaitait vivre ce moment de partage.
Cette année, Noël se fêta à la maison en leur compagnie. Ce fut un Noël merveilleux, plein de sens et de chaleur humaine. Je reprends ici une phrase d’une de mes filles : « jouer, partager et s’amuser sont des verbes qui se conjuguent à tous les temps, à tous les modes même à l’international ». Elles nous ont dit avoir vécu un de leurs plus beaux Noëls. Pour la Saint Sylvestre, c’est au camp que nous avons passé le réveillon. Peut de temps avant minuit, ils sont tous venus nous souhaiter une bonne année et le meilleur pour nous. Certains nous transmettaient des remerciements de leurs familles. Mais c’est à minuit que l’émotion était au plus haut ; ils se sont arrêtés de danser pour prier Bouddha et nous avons partagé avec eux l’offrande de l’encens.
Je finirai en disant que cette aventure que nous vivons en famille reprend les trois piliers de la Foi :
- Le célébrer : nous avons tous été très touchés de partager avec eux des valeurs spirituelles et de voir nos filles revivre leur Foi.
- Le croire : croire en l’amour de l’autre et en la possibilité de participer à rendre le monde meilleur.
- Le vivre : vivre dans l’esprit de l’évangile une histoire humaine qui nous fait grandir et qui nous motive à aller à la rencontre de l’autre.