Homélie de Mgr Jaeger lors de la messe chrismale 2019

                       

 

Messe Chrismale

 

 Isaïe 61, 1-3a. 6a. 8b-9.

Apocalypse 1, 5-8

Luc 4,16-21

 

 

messe chrismale 2019 messe chrismale 2019  Une fois n’est pas coutume. Permettez-moi de commencer cette homélie par la relation d’un événement récent auquel j’ai été lié. Je participais à un échange en groupe, à l’occasion d’un rassemblement dans le diocèse. A son tour, une dame prend la parole et fond en larmes. Elle partage la rude épreuve qu’elle traverse. Son fils s’est suicidé. Il laisse une compagne et des enfants encore bien jeunes. Il n’existe apparemment aucune explication rationnelle à ce geste de désespoir. Cette maman effondrée déplore surtout la solitude et l’abandon dans lesquels elle se trouve. Elle éprouve le sentiment de ne rencontrer que des portes fermées, des cœurs indifférents, des oreilles distraites, même, dit-elle, au sein de groupes catholiques.

                Un long silence suit son témoignage. Une pensée me traverse alors l’esprit. J’ai en tête les débats, les polémiques, les critiques qui agitent notre pays et l’Eglise. Je ne conteste pas le bien-fondé et la légitimité de ces flots de paroles, d’écrits et d’images, mais je m’interroge :  que vaut cette agitation, chaque jour entretenue, au regard de la détresse de cette femme ? Face au choc des idées sur ce que nous estimons être les grands problèmes que doit affronter notre société, de quel poids pèse la souffrance secrète d’une mère ?

                Je viens d’entendre avec vous le prophète Isaïe, puis Jésus qui en reprend les termes : ils annoncent une Bonne Nouvelle pour les pauvres, la libération, la lumière, la liberté, la consolation, une année favorable. Jésus atteste qu’aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture. Pour la vingt-huitième fois, je commente cet Evangile qui nous nourrit dans la célébration de la messe chrismale. J’éprouve, cette année, avec une intensité particulière, la nécessité de revenir avec vous et comme le christ, là où nous avons été élevés et nous avons grandi. Il nous faut sans cesse réentendre le Parole de Dieu, puiser à sa source vivifiante, nous laisser greffer sur le Fils de Dieu.

                Les coups de boutoir qui frappent notre Eglise et que ses membres sont d’ailleurs fort bien capables de s’asséner à eux-mêmes ne doivent pas nous décourager et nous alarmer. Ils peuvent utilement nous ramener au cœur da la foi, au centre du ministère, à la pointe de la mission et du rayonnement de l’Eglise.

 

 

Lorsque je suis entré au séminaire, et je vous dis en confidence que ce n’était pas hier, je me demandais déjà avec mes condisciples quelle Eglise nous voulions. Nous pensions naïvement que notre ministère futur consisterait à répondre à cette question et à mettre en œuvre les solutions de sauvegarde de l’Eglise que nos devanciers, évidemment moins futés, zélés et pieux que nous, avaient laissé filer ! Cinquante plus tard, la même question est toujours posée. Il n’y a aucune raison pour qu’aujourd’hui et demain lui soit apportée la réponse qu’aucune génération depuis vingt siècles n’a pu lui donner.

Fidèles du Christ, ministres ordonnés, consacrés, pourquoi faire semblant d’ignorer ce que Dieu veut pour l’humanité et pour l’Eglise de Jésus-Christ ? Nous nous plaignons de la perte de la culture chrétienne, de la diminution, voire de la disparition de l’influence de l’Eglise dans la société, de la relativisation, peut-être même du rejet de son enseignement moral. L’histoire nous dira, sans doute, de quel prix notre civilisation occidentale paie et paiera ce divorce.

Ces regrets ne nous exonèrent pas d’une remise en question radicale : où, quand, comment nos contemporains font-ils l’expérience d’une Eglise en qui et par qui parviennent une Bonne Nouvelle pour les pauvres, la libération, la lumière, la consolation, une année favorable ? Nous savons bien que le portrait et la stature donnés par l’Eglise d’elle-même, au fil du temps, ne suffisent plus à la faire reconnaître. Mais, ce n’est pas parce que des modes d’être de l’Eglise disparaissent ou se transforment que l’Eglise meurt.

Notre Eglise n’échappe pas à la controverse. Elle en est parfois, et au moins partiellement responsable. L’émergence de la vérité ouvre toujours la voie à la purification, à la conversion, au renouveau. Elle nous aide à revenir, dans le dépouillement et le renoncement, au Christ-lui-même et à parcourir de façon permanente avec Lui, le chemin de son Incarnation, de sa prédication, de l’avènement du Royaume, de sa mort et de sa résurrection.

Les sacrements qui utiliseront les huiles que nous allons bénir ou consacrer engagent les fidèles sur cette voie. Ils nous permettent d’accueillir l’œuvre créatrice et recréatrice de Dieu dans le cœur et la vie des fidèles. Ils nous donnent l’audace et la force d’accomplir la Bonne Nouvelle pour les pauvres. Ils nous font participer ici et maintenant à la mission du Christ qui libère, illumine, console, et fait entrer dans une année favorable. Ils rendent visible et sensible le passage de la mort à la vie que le Fils de Dieu nous invite à effectuer avec Lui et en Lui.

Toute l’Eglise est engagée dans cette démarche qui échappe à tant de regards et d’analyses. Pour la servir, Jésus a voulu que les ministres ordonnés soient en leur personne sa présence vivante et agissante dans l’Eglise et pour le monde. Il est inévitable qu’au gré du temps et des circonstances, le clergé ait été identifié et reconnu socialement comme une catégorie spécifique.  Il a joué un rôle économique, politique, moral, caritatif qui a souvent porté de bons fruits.  Il s’est aussi laissé prendre au piège du pouvoir, de l’influence, mettant au compte de la volonté divine, des injonctions qui n’étaient que d’habiles et parfois odieuses manœuvres humaines.

Nous avons lu, ce dernier dimanche, la passion selon Saint Luc. Nous avons été surpris de constater qu’au moment même où Jésus donne son Corps et son Sang, fait le don de l’Eucharistie, les apôtres se querellent pour savoir qui est le plus grand. Ils sont à mille lieues de ce mystère dont eux-mêmes et leurs successeurs deviendront malgré leur pauvreté et leur faiblesse les indispensables ministres. 

Une leçon d’humilité nous est donnée. Frères et amis prêtres, nous ne sommes probablement guère meilleurs que les apôtres qui viennent pourtant de bénéficier de trois ans de compagnonnage dense et intime avec Jésus. Quel maigre et décevants résultats ! Pourtant ce sont les mêmes hommes qui, l’Esprit-Saint aidant, proclameront, l’heure venue, qu’aujourd’hui s’accomplit la parole du prophète. Par leur ministère, ils annoncent une Bonne Nouvelle pour les pauvres, la libération, la lumière, la liberté, la consolation, une année favorable

L’Eglise vous demande de renouveler chaque année les promesses sacerdotales. Mère aimante, elle connaît la sincérité, la générosité et l’enthousiasme de votre volonté. Elle se réjouit de votre engagement total, de tous les instants. Elle s’est aperçue que vous faites toujours – allez, presque toujours - la joie de votre évêque. Elle n’ignore pas, cependant, que vous portez les trésors qu’elle vous a remis au nom du Christ dans des vases d’argile.

La même Eglise sera un peu inquiète quand vous gagnera la démangeaison de la grandeur, de la suprématie, de l’apparence. Rappelez-vous que, même dans l’Evangile, cette ambition côtoie dangereusement le mystère de la foi, l’Eucharistie elle-même. A cette heure de faiblesse, ne cherchez jamais le verset de l’Evangile, l’extrait du document conciliaire, les lignes d’un théologien ou le canon qui vous donnerait l’illusion d’avoir raison. Acceptez d’être pauvres, très pauvres, tout pauvres, obéissants jusqu’à la mort et la mort de la croix.

Chers amis, ce n’est qu’avec le Christ par lui et par lui que vous serez exaltés. N’ayez pas peur de montrer ce bonheur, votre bonheur, surtout quand il est incompris et dévalorisé. Ne vous justifiez pas. Ce n’est pas vous qui devez être les avocats de votre ministère.

Dans quelques instants, je vous questionnerai. Il vous est demandé d’être toujours plus unis au Seigneur Jésus, de chercher à lui ressembler en renonçant à vous-mêmes, en restant fidèles par amour du Christ et pour le service de son Eglise. Il vous est demandé d’être les intendants des mystères de Dieu par l’Eucharistie et les autres célébrations liturgiques et annoncer fidèlement la Parole de Dieu, à la suite du Christ, notre chef et notre pasteur, avec désintéressement et charité. Tout est dit !

Chers amis, en répondant, comme vous le faites finalement chaque jour, « Oui, je le veux. », vous redirez votre abandon et votre attachement au Christ qui vient encore, par toute son Eglise et par le ministère ordonné, consoler, éclairer, libérer, propager la Bonne Nouvelle, diffuser ses bienfaits. Il vient encore offrir le salut qu’Il nous a, une fois pour toutes obtenu. La joie reçue de ce renoncement et de ce service peut encore étonner le monde. Elle est le plus sûr garant de l’appel et de la réponse des jeunes et des moins jeunes qui, malgré les obstacles tant réels que supposés, seront prêtres demain. 

 

                                                                                                              + Jean-Paul JAEGER