Homélie de Monseigneur Olivier Leborgne
Messe chrismale 2025
Homélie de Monseigneur Olivier Leborgne
Messe Chrismale – 14 avril 2025 – Cathédrale Arras
Dans quelques instants, je bénirai les saintes huiles, le saint chrême, l’huile des catéchumènes et l’huile des malades. Joie. La nuit de Pâques, 215 catéchumènes jeunes et adultes seront baptisés, confirmés et recevront le sacrement de l’eucharistie. Et près de 200 autres adultes seront confirmés entre vigile et dimanche de Pentecôte.
Depuis quelque temps, nous constatons une forte croissance du nombre de demandes catéchuménales. Comment ne pas en rendre grâce ? Nous sommes surpris. Beaucoup arrivent par d’autres chemins que ceux balisés par nos projets pastoraux et missionnaires, même si nous ne pouvons pas mesurer la fécondité de la prière de nos aînés et de l’offrande pour la mission de nos frères et sœurs malades. Et j’en connais beaucoup qui offrent leur vie pour l’annonce de l’Evangile dans le Pas-de-Calais. Quoiqu’il en soit, nous rendons grâce. Une joie nous saisit, un élan s’empare de nos communautés. Bien fragile encore peut-être, et si récent. Mais manifestement le Seigneur parle.
A lire les lettres de ceux qui vont être baptisés la nuit de Pâques, je repère 4 types de démarche. Certains ont fait une authentique expérience de salut : dans des vies parfois tellement cabossées, ils ont vécu la rencontre de Dieu qui relève et qui sauve, celle du Dieu de l’espérance qui remet debout et fait la grâce de l’avenir. D’autres ont rencontré l’Evangile alors qu’une quête de sens les avait saisis : dans un monde qui non seulement bouge mais semble se disloquer – ce n’est pas seulement la situation économique, politique ou internationale qui est en cause, mais le bouleversement même de l’idée de progrès et du statut de l’intelligence – qu’est-ce qui peut tenir, sur quels fondements peuvent-ils construire leur vie. Ils font ce que Benoit XVI appelait, lors de sa venue au collège des Bernardins à Paris en 2008, de « l’eschatologie existentielle », dans ce qui est mouvant, ils cherchent ce qui est stable, dans ce qui est fluide, ils cherchent ce qui peut tenir. D’autres encore ont été interpellés à l’occasion du baptême de leur enfant ou pour être parrain ou marraine, ou à l’occasion du mariage. Sans pouvoir immédiatement nommer le Christ, cet appel a ouvert en eux une interrogation, un désir, et ils se sont lancés. Enfin, d’autres encore cherchent un cadre fort pour se construire, ils sont en recherche d’identité.
Dans toutes ces démarches, le témoignage de proches, y compris dans la mémoire de beaucoup celui d’un grand-père ou d’une grand-mère, n’y est pas pour rien. Et les réseaux sociaux, au moins pour les plus jeunes, les ont aidés à se situer et à oser.
Dans tous les cas, ils s’ouvrent à l’aventure de la foi, de la vie avec le Christ dans l’Esprit pour prendre les chemins du Père. Et c’est pour eux une aventure au sens fort du terme, qui les mène là où ils n’avaient pas idée au moment de leur demande.
Nous sommes appelés à les accompagner sur les chemins de Jésus-Christ. S’il nous faut des catéchètes et des accompagnateurs dûment formés (on ne s’improvise pas dans cette mission) ce n’est pas affaire de spécialistes pour autant. C’est toute la communauté qui y est engagée. Tout catéchumène est un don que le Seigneur fait à l’Eglise. Il est un frère ou une sœur que le Seigneur nous donne pour vivre l’Evangile et la mission. Chers amis, un certain nombre de catéchumènes me dit que notre accueil est souvent bien froid… Ils me disent aussi parfois être étonnés par notre manque « de feu ». Il n’est pas possible que nous passions à côté de ce don. Oh, ne noircissons pas le tableau : un certain nombre me dit qu’ils ont trouvé dans l’Eglise une nouvelle famille. Le Seigneur fait grâce, il s’agit que nous y soyons disponibles.
Ces catéchumènes recherchent des frères et sœurs dans la vérité de l’Evangile et du Christ. Cela n’est pas rien. Si le Christ est accueillant à tous, il ne l’est jamais de manière mièvre ou molle. A lire les Evangiles, beaucoup sont surpris par cette fermeté de l’accueil et de la charité de Jésus. Il ne négocie pas ses exigences avec l’homme riche qui cherche la vie, non par plaisir, mais tout simplement parce qu’elles sont des conditions pour qu’il s’ouvre à cette vie qu’il cherche. Ainsi, si l’accueil du Christ est toujours sans condition, il n’est jamais sans conversion. La conversion de nos communautés pour la charité dans la vérité est le milieu dans lequel un catéchumène pour découvrir sa vocation à être disciples du Christ. Il n’y a pas un temps déterminé, il y a celui que suscite l’Esprit pour que le désir s’ouvre à la grâce d’une conversion profonde, d’une reconnaissance effective et confessante de Jésus Seigneur et d’une ouverture aux exigences de vie que cela appelle.
Les catéchumènes nous sont donnés aussi pour nous bousculer. Il ne s’agit pas de les « assimiler », de les faire entrer dans nos manières de faire sans accueillir la nouveauté qu’ils nous apportent et nous laisser déplacer par elle. Encore une fois, le Seigneur parle. Il s’agit de nous mettre avec eux sous la motion de l’Esprit pour, nous apportant mutuellement ce que le Seigneur veut nous donner les uns par les autres - fraîcheur et racines, réveil et persévérance, audace et sagesse, etc. -, devenir l’Eglise que le Seigneur veut pour les années à venir dans le Pas-de-Calais. L’enjeu des fraternités locales voulues par la transformation pastorale, dans laquelle les catéchumènes ont toute leur place, s’inscrit dans cette perspective.
Dépouillés par la sécularisation galopante et nos propres infidélités au Christ et à l’Evangile, le Seigneur nous demande de nous engager dans la confiance pour servir ses dons non selon nos projets, mais selon la grâce de l’Esprit Saint. Cela n’exclut pas que nous ayons des projets – il nous faut même en avoir – mais cela nous interdit d’y enfermer l’Esprit Saint. Nous voilà invités à une nouvelle souplesse et liberté spirituelle et pastorale. C’est bien dans cette perspective qu’avance notre travail de transformation pastorale qui met en son centre la démarche missionnaire et catéchuménale pour et par des communautés authentiquement missionnaires et catéchuménales.
Avant de bénir le Saint Chrême dont les baptisés et confirmés seront marqués et les prêtres oints, je vais bénir l’huile des catéchumènes, celle dont ils sont signés au moment des scrutins, cette dernière étape vers le baptême qui a lieu les dimanches de Carême. Vous serez attentifs à la prière de bénédiction de cette huile. C’est une huile de force qui appelle la force du Seigneur pour le combat spirituel qu’est la vie chrétienne. Il me semble que les temps à venir nous obligent à renaître à un christianisme de combat. Et que ses frères et sœurs catéchumènes nous sont donnés aussi pour cela. Le combat du témoignage humble et fidèle, le combat de la sainteté, le combat de la dignité de la personne humaine. Il ne s’agit pas de combattre contre des personnes mais de tenir bon dans le témoignage d’actes et de paroles, dans un monde qui d’un côté y est de moins en moins disponible – il me semble, au risque de me tromper, qu’il va être de plus en plus exigeant d’oser affirmer publiquement notre attachement au Christ et à la dignité de toute personne humaine que ce dernier fonde et protège – et, d’un autre côté, attend pourtant de nous un témoignage sans compromission.
Le Seigneur parle par les catéchumènes qui s’adressent à l’Eglise. Qu’il nous donne d’être tous ensemble disponibles à ce que l’Esprit dit à l’Eglise et à nous laisser façonner par son appel.
« L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction », dit Jésus dans l’Evangile de cette messe chrismale en lisant un passage du prophète Isaïe qu’il accomplit, « il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération et aux captifs qu’ils retrouveront la vie, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. »
Qu’il soit béni !