Homélie de Monseigneur Olivier Leborgne
Epiphanie 2025 – Ouverture de l’année jubilaire - 5 janvier 2025 - Cathédrale Arras
Homélie de Monseigneur Olivier Leborgne,
évêque d'Arras, Boulogne et St Omer
Epiphanie 2025 – Ouverture de l’année jubilaire
5 janvier 2025 – Cathédrale Arras
En cette année jubilaire, nous voici donc invités à devenir pèlerins de l’Espérance. Dans cet appel du Saint Père, il y a quelque chose qui sonne comme une évidence. Dans un monde perdu et qui semble se disloquer, c’est sans doute le service par excellence que les chrétiens peuvent et doivent aujourd’hui lui rendre.
La formule mérite cependant d’être approfondie. D’espoirs déçus en désillusions répétées – y compris dans la sphère ecclésiale et pastorale - que nous est-il donc permis d’espérer et comment en prendre le chemin ? Il me semble de ce point de vue que les mages peuvent être de bons guides. Je perçois plus particulièrement cinq repères d’espérance dans leur épopée, telle que saint Matthieu nous la rapporte.
Premier repère : un regard toujours attentif. Les mages, au temps de Jésus, sont des notables et des savants. Ils cherchent avec les ressources de la raison, dans la culture qui est la leur, toujours à l’affût de ce qui se présente, sans jamais l’enfermer dans ce qu’ils connaissent déjà. Pour devenir pèlerins de l’espérance, il y a d’abord une grâce de renouvellement de l’intelligence et du regard à demander. Le pèlerin de l’espérance n’est pas plus un optimiste qu’un pessimiste. Il regarde et il apprend à voir. Il sait que son Seigneur est ressuscité et que tout se tient là. S’il constate que la manifestation de la victoire de la Croix semble étouffée dans le flot de l’histoire, il sait que l’espérance « nait de l’amour et se fonde sur l’amour qui jaillit du Cœur de Jésus transpercé sur la Croix. »[1] Alors il est à l’affut des appels de l’Esprit et de la manière dont Dieu travaille notre histoire. Il n’y a là aucune mièvrerie, frères et sœurs. Seulement, un acte de foi et l’exercice de l’intelligence vivifiée par l’Esprit-Saint qui réapprend à voir. Porter un regard d’espérance les uns sur les autres, dans nos communautés, sur le monde. Nous en sommes souvent si loin...
Cela demande, deuxième repère, de nous mettre en route. Il est fort probable que l’Espérance ne se donne vraiment qu’à ceux qui, comme les mages, se mettent en route. Quitter ses sécurités, oser le déséquilibre de la marche et l’incertitude du chemin. Pas d’espérance installée. Oser de nouveaux projets et pourtant ne jamais en être prisonniers. Nous mettre en route non pas vers le vide, mais vers Jésus qui nous conduit vers le Père, vers Jésus, plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes et pourtant toujours Autre. Être en chemin, c’est la condition même de la mission. Nous l’oublions quand nous sommes crispés sur le passé et nos organisations, quand nous résistons à l’Esprit de chasteté qui nous libère de tout esprit de propriété dans nos relations et dans communautés locales. La transformation pastorale dans laquelle le diocèse est engagé n’a d’autre visée que de nous révéler dans l’audace missionnaire. Celle-ci n’est pas au bout de méthodes et de projets, même s’il en faut absolument. C’est en étant renouvelé dans l’Espérance que nous deviendrons vraiment missionnaires. C’est en laissant le Christ venir à nous et en allant vers lui que quelque chose se dira, que s’ouvrira une brèche dans la tristesse et la résignation de notre temps.
Troisième repère : demander conseil. Les mages se sont mis en route à partir de leur savoir et de ce qu’ils ont repéré, « son étoile à l’orient », mais tout l’itinéraire n’est pas tracé. Ils sauront demander conseil. Et c’est par la Parole de Dieu que la suite du chemin leur sera indiqué. Il n’y a pas d’espérance pour celui qui croit tout savoir et veut avancer seul, il n’y a pas d’espérance pour celui qui n’apprend pas avec d’autres à puiser dans la Parole de Dieu. Elle se nourrit profondément des Saintes Ecritures, car celui qui est notre espérance s’y révèle justement à travers l’histoire. Etape décisive des pèlerins d’Espérance : ils ne promettent ni le grand soir ni la résolution de tous les problèmes, mais ils savent reconnaitre dans l’épaisseur de leur histoire – jusque dans son aspect ténébreux – Jésus, le pèlerin de Dieu, qui marche avec eux pour les mener et nous mener tous vers le Père.
C’est là que se présente le quatrième repère : les mages se prosternent devant l’enfant de la crèche. Frères et sœurs, il me semble qu’il y a quelque chose de capital, une posture à réhabiter en profondeur. Prenez le temps de vous prosterner devant Jésus. Attitude intérieure bien sûr fondamentalement. Mais nous ne sommes pas sans notre corps, et nos gestes – liturgiques notamment mais pas seulement, ceux de notre charité aussi – en disent quelque chose. Nous prosterner, prendre du temps pour adorer, reconnaitre le Tout puissant dans le tout vulnérable, apprendre à nous recevoir de lui… Alors notre personne s’ouvre à Jésus et se laisse habiter par Lui dans la grâce de l’Esprit Saint, pour rayonner de l’amour de Dieu dont rien ne pourra nous séparer. Pèlerins d’espérance plus que jamais.
Il nous faut encore faire un pas. Et c’est le 5ème repère. Offrir à Jésus. Frères et sœurs, à la suite des mages, qu’êtes-vous donc prêts à offrir à Jésus ? Il ne s’agit pas d’un donnant donnant, mais d’une disponibilité de tout l’être, d’une confiance qui s’enracine, d’un accueil de la vie de Dieu en Christ dans l’épaisseur de nos histoires, d’une ouverture à la présence de l’Esprit Saint. Le monde ne nous demande pas d’avoir réponse à tout, même quand il nous crie sa souffrance. Il nous demande d’être là, et d’attester d’une présence et d’un horizon, d’un amour plus grand que nous en qui tout peut retrouver sens. Il attend des pèlerins d’espérance. Nous savons que Jésus est notre espérance et l’espérance du monde. Impossible de devenir pèlerin d’espérance sans offrir et sans s’offrir à Jésus. Cette consécration n’est pas la propriété privée de quelques-uns, elle n’est que l’expression de notre baptême dans la diversité de nos états de vie et chemins. Avec des moyens adaptés pour chacun, mais suivre le Christ c’est fondamentalement désirer que nos vies deviennent offrande d’espérance.
Voilà alors que les mages repartirent « par un autre chemin », précise l’évangéliste. La rencontre de Jésus transforme la vie, l’intelligence des événements, le regard et le discernement, les actions et les attitudes. L’accueil du Christ est sans condition mais jamais sans conversion. L’espérance met à l’action. Finalement, devenir pèlerin d’espérance c’est désirer de tout cœur la sainteté non pas comme un exploit mais comme une grâce qui nous transforme et nous traverse vers les autres.
« Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparait » annonçait le prophète Isaïe en parlant à Jérusalem. Par Jésus, dans la grâce de l’Esprit Saint, c’est sans doute cela être pèlerins d’espérance. Que la gloire du Tout Autre nous vivifie et nous travaille jusqu’à rayonner… Dans la lettre pastorale que je vous donnais à la Pentecôte, « Paix à cette maison », je rappelais que « l’Église ne se définit pas par rapport à elle-même mais par rapport au Christ qui la constitue, et par rapport au monde dans lequel elle est envoyée par l’Esprit Saint pour vivre et annoncer l’espérance du Christ et la charité de Dieu. » La transformation pastorale dans laquelle nous sommes engagés vise à nous renouveler comme communautés d’espérance en terre de Pas de Calais.
« Puisse notre vie leur dire : « Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ; espère le Seigneur » (Ps 26 (27), 14) », demandait le saint Père pour cette année jubilaire comme nous l’avons entendu au début de notre liturgie. L’espérance n’est pas un service que nous pouvons rendre au monde mais un service que nous devons rendre au monde. Le Seigneur nous y appelle.
Les 5 repères que je vous propose (regarder, se mettre en route, demander conseil, se prosterner devant Jésus, offrir) pourraient aussi se présenter comme des portes. Choisissez-en une et commencez par vous y engager.
Belle année jubilaire, que le Seigneur soit béni !
[1] Pape François, Spes non confundit, Bulle d’indiction du jubilé ordinaire de l’année 2025, n° 3