Homélie de Mgr Leborgne - Bénédiction abbatiale de Don Thévenin

Mercredi 31 mai 2023, Monseigneur Leborgne, évêque d'Arras a conféré la bénédiction abbatiale à Don Damien Thévenin, en la Basilique de Saint Omer. Retrouvez ci-après son homélie.

Homélie de Mgr Leborgne – Bénédiction abbatiale de Don Thévenin  – Basilique de St Omer, 31 mai 2023

 

 

« Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon sauveur. » Cher Père, c’est une grande grâce, me semble-t-il, que votre bénédiction abbatiale ait lieu le jour de la fête de la Visitation à l’occasion de laquelle la liturgie vient de faire résonner le Magnificat.

 

Le chant du Magnificat, pour Marie, n’est pas le chant d’un moment, même s’il l’est aussi. Il n’est pas que, ni même d’abord, le chant d’une femme enceinte qui rencontre une autre femme enceinte. Et d’ailleurs, de manière très étonnante, ce chant ne nomme pas explicitement la naissance à venir dans la chair du Fils de Dieu, même si les merveilles auxquelles Marie fait référence trouvent leur accomplissement dans cet événement. Le Magnificat n’est ainsi pas le chant d’un moment, aussi glorieux soit-il, mais le chant qui nous révèle l’identité profonde de la Vierge immaculée. Son être est d’action de grâce. Le Magnificat sera le chant de la naissance du Verbe en son sein comme de la veille au Cénacle avec les apôtres entre Pâques et Pentecôte, il sera aussi et paradoxalement peut-être davantage le chant de Notre Dame au pied de la Croix.

 

Marie rend grâce parce qu’elle sait que la grâce du Seigneur dont elle est comblée tient l’histoire, quoiqu’il arrive, et qu’il n’est que de se recevoir de cette grâce pour devenir pleinement ce que nous sommes, hommes et femmes créés à l’image de Dieu dans le Fils pour, par la grâce de l’Esprit Saint, accéder à la ressemblance. L’action de grâce n’est pas une disposition affective mais une disponibilité ininterrompue au don de Dieu sans lequel aucun de nous ne pourrait exister, avancer dans la vie, la croissance et l’être.

 

Cher Père, en ce jour de votre bénédiction abbatiale, je demande pour vous-même et pour vos frères d’être renouvelés dans l’action de grâce, que vous puissiez devenir chaque jour avec Marie, les hommes du Magnificat. Votre vocation est de chanter les louanges du Seigneur, par votre prière et votre vie. Un certain regard sur le monde peut nous faire quitter cette attitude pourtant au fondement de la foi. Sous prétexte de lucidité, on a vite fait de compter au titre des niaiseries ceux qui s’attardent du côté de la gratitude. Pourtant, c’est l’attitude fondamentale de la foi chrétienne. Car Dieu est fidèle. C’est également l’une des attitudes fondamentales du gouvernement. Car celui-ci ne peut s’exprimer qu’en discernant et désirant servir la grâce du Seigneur déjà à l’œuvre et qui nous précède toujours.

 

Cela fait déjà quelques mois que vous exercez cette mission de gouvernement. Pour cela, vous avez pour guide sûr la règle de votre père Saint Benoît et le conseil de vos frères abbés. Ne négligez jamais de réfléchir avec eux sur les défis de la vie monastique – et plus particulièrement bénédictine – aujourd’hui. Celui qui ne sait pas demander conseil est inapte au gouvernement et ne fait pas l’œuvre du Seigneur ; l’auto-référencement que dénonce sans cesse le Saint Père se présente alors très vite comme une tentation et un orgueil mortifères. Mais plus fondamentalement, demandez la grâce de l’Esprit Saint, celle que Marie apporte toujours lors de sa visite – Elisabeth l’a constaté par la chair de sa chair, Jean Baptiste qui a tressailli dans son sein. Demandez lui d’être l’homme du Magnificat pour aider vos frères à le devenir chaque jour davantage. Car c’est bien l’une des dimensions fondamentales de la vie contemplative que de signifier, silencieusement souvent mais avec quelle force, que la vie ne trouve pas sa plénitude dans l’utilité, la rentabilité, ou la revendication d’autonomie absolue, mais dans la reconnaissance d’un don premier, absolu et radical, qui nous suscite dans l’être, d’un don qui nous espère et nous appelle, d’un don qui a fait basculer l’histoire par l’événement de la Croix. Un don que l’Esprit Saint en ces temps qui sont les derniers ne cesse d’actualiser, du don même de la vie trinitaire auquel le mystère pascal nous a définitivement introduit, en faisant de nous des filles et des fils du Père.

 

C’est bien cela que désigne d’ailleurs le Magnificat. Je le mentionnais il y a quelques instants :  Notre Dame ne nomme pas directement la naissance dans la chair du Fils de Dieu en Jésus-Emmanuel. En revanche, reprenant l’attente des plus petits qui traverse tout le Premier Testament, attente et promesse de Dieu dont elle est profondément pétrie, son chant de louange se déploie dans une vision sociale inattendue : « Déployant la force de son bras, il disperse les superbes, il renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles, il comble de bien les affamés renvoie les riches les mains vides. » Marie perçoit la portée de l’annonce de l’ange. L’incarnation atteint dans ses racines les plus profondes toutes les injustices, les dominations iniques, les exploitations des plus petits pour nous en libérer.  Notre Dame perçoit déjà le mystère du Salut en son Fils comme victoire sur le mal, non seulement comme promesse faite à chacun mais comme restauration de la justice originelle, comme réconciliation de tous avec Dieu donc de chacun avec lui-même et avec ses frères et sœurs – et donc aussi des relations sociales -, comme sanctification et divinisation. Le Magnificat a également une dimension eschatologique ; il nous tourne vers la plénitude du salut, la parousie, le retour du Christ dans la gloire, quand tout sera récapitulé en Christ, ressaisit dans l’amour trinitaire et que Dieu, enfin, sera « tout en tous » (1 Co 15,28).

 

Il y a une dimension sociale et eschatologique de la vie monastique. Il est courant de dire que Saint Benoît et ses frères ont fait l’Europe. Il faudrait sans doute laisser aux spécialistes le soin de préciser cette expression. Cependant, le type de vie fraternelle promue par la règle de Saint Benoit, portée par la prière et le travail – une prière vive et fidèle, et un travail qui se fait prière – a participé de manière décisive à la manière dont l’Europe s’est construite dans l’histoire, et est à l’origine d’un certain nombre de ses idéaux qui, quand bien-même on en aurait oublié la source et qu’ils s’en trouveraient affadis ou détournés, habitent encore nombre de nos contemporains.

 

Pèlerins sur la terre, nous avons besoin du signe social et eschatologique que sont les moines et les moniales et que le Magnificat porte en son chant, Merci, cher Père, de servir cela pour votre communauté, et ce faisant pour l’Eglise et pour le monde, tout particulièrement le diocèse d’Arras et cette terre du Pas-de-Calais.

 

« Ce jour-là on dira à Jérusalem, déclarait il y a quelques instants le prophète Sophonie : « Ne crains pas, Sion ! Ne laisse pas tes mains défaillir ! Le Seigneur ton Dieu est en toi, c’est lui le héros qui apporte le salut. Il aura en toi sa joie et son allégresse, il te renouvellera par son amour, il exultera pour toi et se réjouira, comme aux jours de fête. » C’est le mystère de Marie qui déjà se dessine, et la joie de Dieu à la perspective du salut du monde qui se réalise par son oui et qu’immédiatement elle porte au monde. C’est le mystère de l’Eglise qui s’annonce. La vie monastique est plus que jamais nécessaire à la vie de l’Eglise.

 

Cher Père, que le Seigneur vous bénisse, ainsi que vos frères. Et qu’Il soit béni !

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