Homélie Mgr Leborgne
Ordination diaconale Thierry-Loïc MADJRI
Ordination diaconale Thierry-Loïc MADJRI
Saint Pierre et Paul - 29 juin 2025 - Béthune
Dans quelques instants, mon cher Loïc, je vais t’ordonner diacre. Ce sera une grande joie pour toi, je crois, une grande joie pour ton évêque, une grande joie pour le diocèse et toute l’Eglise.
Si le diaconat n’est pas conféré qu’à des hommes célibataires – et je salue les diacres que l’on appelle « permanents » ici présents, et leurs épouses pour ceux qui sont mariés - , ceux qui y sont ordonnés sur le chemin du sacerdoce presbytéral s’engagent au célibat chaste et continent pour la vie entière. Et c’est ce que tu as fait au début de cette célébration. Il n’en a pas toujours été ainsi dans l’Eglise, et il n’en est toujours pas ainsi dans l’Eglise catholique de rite oriental, mais c’est cependant une « discipline » choisie par l’Eglise latin depuis le 11ème siècle, pour une part à la demande des fidèles. Cela signifie sans doute que sans être nécessaire au sacrement qui fait les prêtres, le célibat peut dire quelque chose qui convient en profondeur avec l’être de celui qui devient prêtre.
Mon cher Loïc, je ne sais pas comment est compris l’engagement au célibat en Afrique, et tout particulièrement au Togo, mais tu as peut-être perçu que cet engagement est mal compris en France, y compris par des catholiques très engagés dans la vie de l’Eglise.
Oui, il n’est pas compris. Et je suis frappé de ce qu’une certaine génération a pu penser que c’était un engagement secondaire. Par ailleurs, l’installation de certains dans une double vie plus ou moins connue a amené les fidèles à douter : l’engagement au célibat est-il possible ? A-t-il encore un sens ?
Parfois, on nous suspecte d’être sexuellement frustrés ou d’avoir un problème avec les femmes. Cela peut arriver, mais l’expérience montre que cela n’arrive pas plus souvent aux prêtres qu’aux hommes mariés. S’engager au célibat parce qu’on a peur de la sexualité et des femmes, c’est à tout coup se mettre en position de ne pas tenir son engagement. Et c’est immanquablement devenir un homme aigri, très vite empêché alors de vivre de manière idoine, c’est-à-dire de manière rayonnante et joyeuse, le ministère qui lui est conféré. Si habiter sereinement son affectivité et sa sexualité est pour tous, sans exception, un défi, l’Ecriture sainte qui n’en est pas dupe affirme cependant très clairement dès la première page de la Bible que la sexualité est structurante de notre humanité et qu’elle est une bénédiction.
On dit aussi souvent que le célibat rend plus disponible. Mon cher Loïc, ce n’est pas vrai. Cela rend disponible autrement, mais pas plus. Les parents sont convoqués à une disponibilité permanente envers leurs enfants. Je l’ai découvert quand j’étais aumônier de jeunes, et j’en suis personnellement très impressionné et admiratif. Ce n’est pas notre cas. En revanche, l’absence de lien préférentiel permet d’être disponible à tous avec une liberté particulière. C’est l’une des grandes grâces de notre ministère, qui est parfois désarçonnante tant les personnes peuvent nous livrer en quelques instants des choses qu’elles n’ont jamais dites à personnes. Cela demande d’ailleurs d’apprendre l’écoute. Qu’elle ne soit pas d’abord et seulement affective. Qu’elle soit profondément chaste, c’est-à-dire libre et libérante pour l’autre. Qu’elle n’accapare pas si n’enferme dans les filets de la séduction. N’aie pas peur de ton humanité, Loïc, et fais toujours le pari de la confiance, mais n’oublie pas que l’écoute est un art, c’est-à-dire un artisanat qui demande formation et expérience, un artisanat qu’on n’a jamais fini d’apprendre, qui exige relecture régulière, toujours accompagnement spirituel et parfois accompagnement psychologique.
Mais dire cela ne touche pas encore au cœur de l’engagement au célibat. Une homélie d’ordination ne peut pas tout en dire. Mais je voudrais insister sur un point précis : la dimension eschatologique de cet engagement.
Le célibat n’est pas un meilleur chemin que le mariage, et il ne nous rend nullement supérieur aux autres vocations. La meilleure des vocations, c’est toujours celle à laquelle Dieu nous appelle. Mais le célibat fait signe du côté du Royaume. Saint Paul est clairement tendu vers ce Royaume dans le passage de la lettre à Timothée que nous avons entendu en deuxième lecture : il évoque « tous ceux qui auront désiré avec amour sa Manifestation glorieuse [du Seigneur Jésus Ressuscité] » lui qui « le sauvera et le fera entrer dans son Royaume ».
Nous sommes tous destinés au Royaume, mais parmi nous quelques-uns sont appelés à devenir signes de manière spécifique : la vie est un pèlerinage vers une plénitude de vie qui, si elle travaille déjà notre histoire et nos vies nous en faisant goûter les prémices, ne nous sera pourtant donner en plénitude que dans l’au-delà du chemin sur lequel nous sommes et qui nous y conduit. Celui qui, une fois prêtre, sera appelé à célébrer les noces de l’Agneau – quelle est belle et profonde et tellement plus fidèle à l’original latin et à la tradition biblique cette nouvelle traduction du missel quand elle dit : « Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau », nous n’aurons jamais fini de la goûter -, celui-là engage sa vie pour qu’au-delà de tout ce qu’il fait et au travers des missions qu’il recevra, il devienne signe de cette attente amoureuse, de ce désir d’union plénière avec Jésus.
Jésus lui-même a encouragé ce signe en l’orientant très clairement dans l’élan du Royaume. Nous lisons dans l’évangile selon Saint Matthieu (19,12) : « Il y a des gens qui ne se marient pas car, de naissance, ils en sont incapables ; il en a qui ne peuvent pas se marier car ils ont été mutilés par les hommes ; il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du Royaume des Cieux. Celui qui peut comprendre, qu’ils comprennent. » Jésus savait que cela ne serait pas compris de beaucoup…
Le mariage est également signe de ces noces de l’Agneau, dans son actualité qui travaille aujourd’hui notre chair et notre vie et lui donne fécondité, le célibat quant à lui désigne le désir et l’attente de sa plénitude à venir, pas encore réalisée, qui est l’objet même de notre Espérance. Oui, chers amis, l’union totale à Jésus n’est pas le privilège des consacrés, elle est l’offre et l’appel de Dieu pour tous. Le Concile Vatican II l’a affirmé avec force. Cette union à Jésus ne nous consommera pas ni nous digérera dans un grand tout pour nous faire devenir quelqu’un d’autre. Non. Mais c’est seulement quand Dieu sera « tout en tous » que nous serons pleinement nous-mêmes, débarrassés de ce qui nous abîme et nous détruit, vivifiés éternellement de la vie même de Dieu. C’est cela la sainteté : l’accueil de la promesse de Dieu en Celui qui en est la réalisation plénière, le Christ Jésus Seigneur. J’ai peur, chers amis, que parfois nous en rabattions quant à l’ambition chrétienne et à l’Espérance. Pourtant, c’est bien à cela que nous sommes appelés. Le célibat à sa manière fait signe de ce côté-là. Il en est, par les consacrés, comme son inscription dans l’épaisseur de la chair et de la vie de l’Eglise.
Quand bien-même il ne serait pas compris par les fidèles eux-mêmes, il voudrait leur dire quelque chose de la plénitude à laquelle ils sont appelés et promis. En ce jubilé de l’espérance, en le situant bien à sa place – ce n’est la vocation que de quelques-uns, et avant d’être une discipline de l’Eglise c’est pour celui qui s’y engage un appel du Seigneur, sans quoi cela n’aurait aucun sens – mais en lui permettant de tenir vraiment la place que le Seigneur désire dans son Eglise, l’engagement au célibat pour la vie oriente toute l’Eglise vers l’Espérance qui est la sienne, elle devient pour tous une parole d’Espérance.
Loïc, tu viens donc de t’engager au célibat. Il y a sans doute des jours où cela ne sera pas si simple que cela. Comme si le mariage était un chemin plus facile. Comme si nous n’étions pas tous confrontés au défi du « tenir parole ». Pourtant, nous voulons en relever le défi parce cela participe de notre dignité, parce que nous savons que la fidélité à la parole donnée, quelles que soient les épreuves par lesquelles elle peut passer, ouvre les chemins de la vraie liberté et de la joie.
Mon cher Loïc, en ce jubilé de l’Espérance, que le Seigneur fasse de toi, par ton ordination, un homme libre et un signe de son unique Service, lui qui s’est donné sur la Croix pour sceller à jamais ses noces avec l’humanité. Qu’il fasse de toi un serviteur infatigable de l’Espérance.
Que le Seigneur soit béni !