Homélie de Mgr Leborgne - Ordination presbytérale Anthony DELAHAIE

Cathédrale d’Arras – 26 novembre 2023

Homélie de Mgr Leborgne - Ordination presbytérale Anthony DELAHAIE

26 novembre 2023 - Fête du Christ Roi de l’univers

 

 

« Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau. »

Le prêtre est l’homme de l’eucharistie, et la nouvelle traduction du missel romain précise avec bonheur, me semble-t-il, que le repas du Seigneur est celui des noces de l’Agneau.

A chaque eucharistie, le peuple de Dieu est invité à des noces. En Christ, Dieu vient épouser notre humanité pour se donner à elle et la faire vivre de sa propre vie. Et il se donne dans un corps à corps qui ne peut que nous laisser sans voix.

« Je te reçois et je me donne à toi » disent au moment de l’échange des consentements ceux qui reçoivent en se le donnant le sacrement du mariage. C’est l’expérience que nous faisons à chaque eucharistie : au repas des noces de l’Agneau, Dieu nous reçoit pour se donner à nous, totalement, absolument, définitivement. Comme je désire recevoir Celui qui se donne pour pouvoir me donner à lui sans réserve.

Admirable échange dit la liturgie. Aimer, pour un couple, c’est se donner jusqu’à s’abandonner à l’autre en passant par le don de son corps. Et voilà ce qui advient à chaque eucharistie. Dieu nous aime au point de se donner à nous jusqu’à s’abandonner à nous (comment ne pas y penser quand nous le tenons, sacramentellement présent, dans nos mains – qui est-il donc ce Dieu qui ose un tel dépouillement, une telle kénose ?) en passant par le don de son corps, du corps ressuscité du Seigneur Jésus. La théologie en dit beaucoup, elle ne restera toujours cependant qu’au seuil de cette réalité dont la folie d’amour ne nous sera sans doute pleinement accessible que dans le Royaume.

Le prêtre est l’homme de l’eucharistie, et dans quelques instants, mon cher Anthony, je t’ordonnerai prêtre. Il m’arrive de penser, dans certains de nos débats ecclésiaux, que nous avons oublié la grâce que le Seigneur fait à l’Église par ceux qu’il appelle pour être les ministres de l’eucharistie.

Et comme l’Eucharistie fait l’Église, ceux qui reçoivent le corps du Christ sont confirmés comme membres du Corps du Christ et deviennent chaque jour davantage le Corps du Christ livré pour le monde. Le prêtre est alors aussi l’homme de la communion ecclésiale, celle qui se construit en se recevant du Christ Seigneur.

Et comme l’eucharistie fait de nous le Corps du Christ, un corps livré pour le salut du monde, elle est la source de la mission. Le prêtre est ainsi aussi l’homme de la mission et de l’évangélisation.

Et comme l’eucharistie est un repas de noces et celui de cet admirable échange, le prêtre est au service des baptisés. Le sacerdoce ministériel dit-on à juste titre est au service du sacerdoce baptismal. Le prêtre, appelé à célébrer le don de la grâce qui se donne de manière particulière dans les sacrements, est celui qui autorise, non pas d’abord celui qui désigne le permis et le défendu, mais celui qui rend auteur. Autoriser c’est fondamentalement rendre auteur. Dans la dynamique eucharistique, c’est aider les baptisés à croire au don qui les constitue, à l’accueillir et à s’y engager.

Le prêtre est l’homme de l’eucharistie. Il y a de quoi en avoir le vertige. Il y a parfois une insouciance face au mystère, à commencer chez moi. Je me dis parfois que si le Seigneur le permet, c’est peut-être que sinon nous serions terrassés par la puissance du mystère et l’incroyable et pourtant absolument vrai de ce que nous célébrons.

« Amen je vous le dis, disait Jésus dans l’évangile que nous venons d’entendre, chaque fois que vous l’avez fait [ou pas fait] à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez [ou que vous ne l’avez pas] fait. »

Les catholiques sont extrêmement réalistes. De même qu’ils croient à la puissance de la Parole de Jésus « ceci est mon corps, ceci est mon sang » et donc à la présence réelle du Seigneur ressuscité dans le saint sacrement de l’eucharistie, de même ils prennent très au sérieux la parole de Jésus dans la parabole de ce jour. Jésus ne dit pas « c’est comme si c’était à moi » que vous l’avez fait, mais bien : « c’est à moi que vous l’avez fait. » Ainsi, dans le service du plus petit, celui qui a faim, soif, qui est malade, nu, étranger ou en prison, le chrétien ne répond pas seulement à un appel éthique, et peut-être pas d’abord, mais il vit la rencontre de son Seigneur. Réellement. Je me souviens, le Seigneur ressuscité s’adressant à celui qui s’appelait encore Saul : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » « -Qui es-tu Seigneur ? » « - Je suis Jésus, celui que tu persécutes ». Le ressuscité ne demande pas à Paul qui persécute les chrétiens, « pourquoi persécutes-tu ceux-ci qui sont mes frères » ou « ce peuple qui m’appartient ? » Il est très clair : « Je suis Jésus que tu persécutes ».

Cette identification de Jésus au plus petit, au plus précaire, au malade ou au persécuté, cette identification qui n’est pas liée à la reconnaissance qu’on en a mais qui est objective, cette identification me semble indiquer quelque chose d’essentiel quant au mystère de l’eucharistie dont le prêtre est le ministre. Plus je reconnais Jésus dans le Saint sacrement, plus je le reconnais dans le pauvre et plus je vais à sa rencontre dans le service des plus démunis. Et plus je le fréquente dans le service des plus petits, plus je le confesse de manière vraiment catholique dans le saint Sacrement de l’eucharistie. Il y a une double reconnaissance inséparable, insécable, dont l’une est sans doute condition de possibilité de l’autre, et toujours critère de vérification évangélique de l’autre.

L’eucharistie est le mystère de la plus grande force – celle de la résurrection - qui se donne dans la plus grande fragilité et la plus grande banalité. Que dire de ce qui garde l’apparence si anodine d’un petit morceau de pain sans levain. L’eucharistie, célébrée pour le salut du monde – toujours bien plus largement que pour l’assemblée qui y assiste visiblement – est un mystère de dénuement et de pauvreté, mystère du Dieu que se dépouille de lui-même tout restant lui-même pour rejoindre tout personne humaine, quelle qu’elle soit, où qu’elle soit, et l’entraine dans la puissance de son salut.

Le prêtre est le ministre de l’Eucharistie qui se donne dans un rite mais est infiniment plus qu’un rite. Source et sommet de la vie chrétienne dit le concile Vatican II.

Anthony, tu étais là, dimanche dernier. Nous avons passé la journée avec 500 personnes dont 350 en précarité. Nous nous sommes accueillis, nous avons écouté la Parole de Dieu et l’avons laissé résonner entre nous par le partage de tous, à commencer des plus démunis, puis, reprenant une ancienne tradition, nous avons déjeuné dans cette cathédrale. Certains le craignaient. Ce fut un moment magique, profondément respectueux du lieu et pourtant 500 personnes servies à l’assiette. Puis, nous avons célébré l’eucharistie. Dans une ferveur exceptionnelle. Les pauvres étaient chez eux, dans cette cathédrale.

Tu le comprends, mon cher Anthony, et tu ne l’oublieras pas : parce qu’il est l’homme de l’eucharistie, le prêtre est évidemment l’homme des pauvres, des plus fragiles et des plus démunis. Conditions de possibilité, critères de vérification. Parce que tu veux faire de ta vie une louange eucharistique à la gloire de Dieu, tu sauras toujours donner la place qui lui revient à cette dimension du ministère sacerdotal dans le rythme de tes missions.

Anthony, dans quelques instants je vais t’ordonner prêtre. Que le Seigneur soit béni !

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