Ordination de l’abbé Flavien Agbodjan-Prince
Une cérémonie aux couleurs africaines
Ordination de l’abbé Flavien Agbodjan-Prince
Une cérémonie aux couleurs africaines
Les circonstances sanitaires l’ont voulu ainsi. L’ordination presbytérale de l’abbé Flavien Agbodjan-Prince était une première : les fidèles étaient clairsemés dans la grande nef de la cathédrale de Boulogne, tout le monde était masqué, la désinfection des mains était obligatoire en entrant et en sortant… Ceux qui n’ont pas pu accéder à la cérémonie l’ont regardée sur le site internet du diocèse. Elle a été suivie notamment au Togo, aux États-Unis et au Canada. L’ambiance était rythmée par des chanteurs et des instrumentistes togolais qui étaient venu grossir la chorale paroissiale. C’était la dernière ordination presbytérale de Mgr Jaeger avant de laisser la place à Mgr Leborgne « Célébration de plusieurs couleurs, a t-il déclaré, célébration en présence de plusieurs religions, célébration qui a réuni les différentes responsabilités dans la cité… Voilà le beau témoignage que l’Église voudrait donner et vivre au cœur de ce monde. Et c’est aussi pour cela qu’elle ordonne des prêtres. »
L’ordination de l’abbé Flavien Agbodjan-Prince est intervenue le jour du 22ème anniversaire de l’ordination de son oncle, Auguste Agbodjan. Le père Auguste qui était prêtre de la paroisse Pays de Saint-Benoît, est reparti au Togo avec un doctorat en économie. Grâce à son passeport franco-togolais, il a pu assister à l’ordination à Boulogne, ce qui n’a pas été le cas pour le reste de la famille de Flavien.
Jean Capelain
Pour télécharger le livret de l'ordination : https://www.ordinations.fr/arras-20-septembre-2020/
Vidéo de la bénédictions des ornements que portera Flavien par l'abbé Frédéric Duminy, doyen du Boulonnais.
Homélie de Monseigneur Jean-Paul Jaeger
Dimanche 20 septembre 2020
Cathédrale BOULOGNE-SUR-MER
ORDINATION PRESBYTERALE
de Flavien Labité AGBODJAN-PRINCE
Isaïe 55, 6-9.
Philippiens 1, 20-c - 24.27a
Matthieu 20, 1-16.
Décidément, rien aujourd’hui ne se produit comme d’habitude ! Nul, parmi nous, ne se souvient, sauf peut-être en temps de guerre, d’une limitation du nombre des fidèles participants à une ordination. Aucune photo n’a laissé dans les albums la trace de fidèles masqués. Il n’est probablement aucun prêtre dans notre assemblée qui a vu le statut de l’évêque qui l’a appelé et de l’évêque qui l’a ordonné, changer.
Jamais encore, par l’ordination, le diocèse d’Arras n’a intégré dans son presbyterium un prêtre d’origine togolaise. Nous pouvons enfin, être à peu près sûrs, que pour la première fois, les membres de la famille d’un ordinand participent en Afrique, grâce aux moyens de communication modernes, à l’ordination de l’un des leurs depuis la cathédrale de Boulogne. Chers amis, nous célébrons une ordination peu ordinaire !
Ces bouleversements bousculent l’agencement d’une cérémonie si bien ritualisée. Ils nous préparent à en accueillir d’autres. Le Royaume des cieux que Jésus évoque dans l’Evangile ne respecte pas non plus les usages. Pire encore, il semble se jouer des grands principes du droit et de la justice.
Il faut accepter d’être introduit dans ce fameux Royaume pour constater qu’un ouvrier travaillant une heure, reçoit le même salaire que celui qui a durement bossé pendant neuf heures. Voilà un bien étrange royaume. Il ne connaît pas le code du travail. Il ignore la pointeuse. Le contrat d’embauche est unique. Tous sont traités à égalité et reçoivent un même traitement.
Le pire est encore à venir. Au mépris du principe qui fonde toute hiérarchie, les premiers dans ce royaume sont les derniers et les derniers sont les premiers. Il n’est pas bien difficile d’imaginer l’effet dévastateur d’une telle organisation. Or, elle est annoncée et préconisée par le Fils de Dieu lui-même. Elle n’est donc pas une belle histoire, une utopie. Elle nous engage.
Bien sûr, nous venons d’entendre une parabole. Nous connaissons bien ce mode d’expression familier à Jésus et aux maîtres de son temps. Il amplifie jusqu’à l’excès les propos et les explications. Il manie la paradoxe. Et puis, Jésus parle du Royaume des Cieux, cet univers où toute réalité est renouvelée et transformée par la puissance de l’Amour de Dieu. Certes, il est déjà au milieu de nous, mais nous n’en percevons que les premiers signes à travers nos approximations et nos tâtonnements humains.
Nous ne pouvons pas nous contenter d’écouter d’une oreille distraite et conclure que l’ordre ou plutôt le désordre préconisé par le maître de la vigne est pour demain et pour ailleurs, tandis qu’aujourd’hui nous visons une justice à la mesure de nos moyens et de nos capacités. En accueillant et méditant des propos de Jésus, nous laissons résonner en nous, les mots de l’oracle du Seigneur répercuté par le prophète Isaïe : « Mes pensées ne sont pas vos pensées et vos chemins ne sont pas vos chemins. » Nous aurions pu nous en douter en lisant le texte de la parabole.
Avons-nous cependant songé un seul instant que nous sommes invités à nous laisser hisser jusqu’à la hauteur de la pensée de Dieu et de ses chemins ? « Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver : invoquez-le tant qu’il est proche. Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme perfide, ses pensées ! »
A cette hauteur, saisis par la pensée de Dieu, notre lecture et notre vision sont éclairées d’une lumière nouvelle. Plus que dans la relation entre un employeur et des ouvriers, la parabole nous introduit dans la bonté de Dieu ou selon le terme employé par Isaïe, sa miséricorde. L’être de Dieu se révèle à nous et nous saisit en son Fils Jésus-Christ.
Mes amis, le Royaume de Dieu est encore voilé à nos yeux, mais nous en goûtons les premiers fruits en participant à la bonté et à la Miséricorde de Dieu, en les recevant, en en donnant les signes.
Il ne nous est pas demandé de bâtir un monde à l’intérieur duquel le même salaire rétribue une heure et neuf heures de travail, il nous est dit que nos lois, nos règlements, nos dispositions, notre justice, sont nécessaires, indispensables, toujours à perfectionner, mais ils ne suffisent pas.
Les êtres humains, les groupes, les peuples doivent construire et affermir entre eux une juste harmonie. Ils ne sont toutefois eux-mêmes que s’ils font l’expérience de la bonté et de la Miséricorde de Dieu, se laissent habiter et convertir par elles et les partagent fraternellement.
Depuis le début de la pandémie, tous les dirigeants politiques ont eu, à des degrés divers, le constant souci de ne pas affaiblir, outre mesure, l’activité économique de leurs pays respectifs et de la planète. Ce choix est légitime et, d’une certaine manière, vital. Dans le même temps, il est apparu urgent de reconstruire des sociétés et une humanité de la bonté, de la miséricorde. Nous ne savons pas faire, pas bien faire, mais qu’importe Jésus est venu. Il a annoncé le règne de la bonté et de la miséricorde. Il l’a accompli en livrant sa vie sur la croix, en ressuscitant au matin de Pâques.
Les chemins proposés par l’Eglise apparaissent souvent aux générations contemporaines comme autant de fardeaux à porter, de prescriptions à honorer, d’interdits à intérioriser. Nous constatons que tout un système de compréhension et d’action se concocte loin des pensées et des chemins de Dieu. Ceux-ci seront à nouveau fréquentés quand des jeunes et des moins jeunes y croiseront la bonté et la miséricorde. Elle seules peuvent changer le regard. La bonté et la miséricorde ouvrent les cœurs refermés sur eux-mêmes. Elles transfigurent les enseignements autoritaires et réputés inaudibles en sources de liberté, de fraternité et de joie.
Il revient à l’Eglise de se faire, de façon permanente, l’écho de la bonté et de la Miséricorde de Dieu, d’en être les instruments. Nous disons un peu trop vite qu’il est impossible d’endiguer la revendication croissante du primat du désir individuel, même s’il engendre la mort. Nous passons facilement par pertes et profits le sens du bien commun, de la famille si chère à l’Afrique. Nous acceptons, comme un dogme, une économie basée sur l’augmentation indéfinie du profit.
Nos discours avalisent, telle une fatalité, les fermetures brutales d’entreprises. Une culture de la peur verrouille hermétiquement des frontières et cache les détresses humaines. La bonté et la miséricorde ne résoudront pas tout. Le Christ n’a pas encore remis son Règne entre les mains du Père. La bonté et la miséricorde en tous ces domaines rapprochent, cependant, les pensées des hommes de celles de Dieu.
Dieu n’a pas lésiné sur les moyens. Sa bonté sa miséricorde se sont incarnées en son Fils fait chair. Elles ne sont plus seulement de l’ordre du discours ou des attributs. Elles sont visibles à nos yeux et sensibles à nos cœurs. Quel don merveilleux !
Flavien, l’Evangile que tu reçois le jour de ton ordination sacerdotale suffit à te dire, comme le cadre inédit de cette célébration, l’originalité du ministère que tu vas recevoir. Il te situe dans ce Royaume des Cieux bien étonnant. Il t’installe dans la distance entre les pensées de Dieu et de celles des hommes. C’est la mission du Christ auquel tu es configuré. Avec l’autorité du Christ, tu vas annoncer la Bonne Nouvelle. Tu donneras les signes du Royaume déjà présent dans la vie sacramentelle. Tu guideras les hommes et les femmes, les jeunes de ce temps. Tu leur feras découvrir qu’en Jésus-Christ, la distance qui sépare leurs chemins de ceux de Dieu est abolie.
Tu risques d’être très vite happé par les demandes diverses, l’organisation, la gestion, la course permanente. Nous aimons tout cela en Europe, même dans l’Eglise ! Le tempo africain ne doit pas simplement marquer une différence de culture. Il te laissera le temps et la disponibilité pour façonner en toi la bonté et la Miséricorde du Christ. Elles sont indispensables à ta personne et à ton ministère. Saint Paul s’interroge : vaut-il mieux pour lui partir pour être avec le Christ ou demeurer en ce monde à cause des Philippiens. Par l’ordination, l’alternative disparaît : tu demeures pleinement en ce monde et tu es avec le Christ. Si tu es bon, si tu es miséricordieux dans tout l’exercice de ton ministère, tu sauras que vraiment, tu es avec le Christ. Tu donneras à tes frères le goût du Christ. Habités par Lui, ils découvriront qu’en acceptant de perdre des places dans leur existence personnelle et commune, ils pourront porter à leur tour les doux fruits de la bonté et de la miséricorde. Le monde a grand besoin de ces fruits.