Homélie de Mgr Lebrogne à l'occcasion de l'ordination au diaconat permanent d'Yves-Marie, Ambroise et Christophe
Samedi 1er octobre 2022 - Cathédrale d'Arras
Ste Thérèse de Lisieux – Rm 8,14-17 Ps 130 Mt 18,1-5
« Si du moins nous souffrons pour être avec lui dans la gloire. » Ambroise, Christophe et Yves Marie, j’ai souvent commenté le passage de la lettre aux Romains que nous avons entendu en 1ère lecture, mais j’avoue que j’ai toujours fait l’impasse sur ce dernier verset. Et voilà que le jour de votre ordination, je sens que je ne peux plus me défiler. Parce que je me demande en fait si ce dernier verset ne désigne pas le cœur même de la vocation diaconale. Non séparé bien sûr de ce qui précède, mais cependant comme la dynamique à laquelle vous allez être ordonnés pour devenir signes du Christ Serviteur au cœur de l’Eglise pour le monde.
« Si du moins nous souffrons pour être avec lui dans la gloire... » Entendons-nous bien : nous ne sommes pas les adorateurs de la souffrance, mais de l’amour jusqu’au bout. De l’amour qui ne se dérobe pas quand tout se dérobe. De cet amour qui ne reste pas extérieur à nous-mêmes mais s’engage au cœur de ce que nous vivons pour nous donner la vie de Dieu, la vraie Vie, la Vie.
Dans son acte d’offrande, Ste Thérèse de l’Enfant Jésus que nous fêtons aujourd’hui déclarait : « dans le cœur de l’Eglise ma mère, je serai l’Amour. » Elle qui avait des désirs fous qui la menaient dans tous les sens au risque de l’écarteler venait de trouver, grâce à la méditation priante des chapitres 12 et 13 de la 1ère lettre aux Corinthiens, sa vocation : elle comprit que seul l’amour pouvait répondre à tous ses désirs et être le principe unificateur de sa vie.
Ne nous trompons pas ici non plus. Si le vocabulaire de Thérèse peut paraitre un peu désuet aujourd’hui, ce qu’elle vise n’a rien d’une réalité à l’eau de rose. L’Amour dont elle parle est l’amour de Dieu « à la folie ». Ici, elle ne vise pas la dilatation de l’affectivité ou les larmes de l’émotion mais bien la vie du Christ livrée sur la Croix. Aimer n’est pas un vague sentiment gentillet, l’amour est l’engagement de la liberté avec Jésus dans l’Esprit Saint pour servir et être témoin du salut de Dieu. Il nous engage avec Jésus vers la Croix.
Le véritable amour nous unit à Jésus qui se donne pour nous faire vivre, jusque dans la violence du monde et la trahison des proches, jusque dans le péché qui nous déshumanise, nous dévitalise et nous détruit, jusque dans ce travail de mort qui s’invite dans nos vies sans que nous n’arrivions à nous en défaire.
Le monde dans lequel nous vivons et dans lequel vous allez devenir diacres, signe du Christ Serviteur, ne le sait que trop aujourd’hui. Jusqu’à peu, avant la pandémie et la guerre en Ukraine, notre société pensait pouvoir dominer les événements. Elle se rend compte qu’il n’en est rien. Je rencontrais hier un maire d’une des villes importantes de notre département, à l’expérience politique confirmée, qui me disait son inquiétude pour les temps à venir.
Être diacre, c’est donc devenir signe du Christ Serviteur. Et le service du Christ n’est pas quelques gentilles valeurs qu’un prophète attendrissant viendrait promouvoir. Au-delà d’une vague émotion auquel ce monde veut trop souvent le réduire, il ne serait d’ailleurs crédible en rien. Le service du Christ n’est pas même quelques miracles ou guérisons, quand bien même ceux qui en ont bénéficié en ont parfois rendu grâce. Ces signes n’étaient que le signe de l’unique service de Jésus : la Croix. Le Service de Dieu en Jésus est de se faire notre frère en tout, jusque dans ce qui fait mal et détruit, jusque dans la mort, pour nous donner de participer à sa vie dans la résurrection de Jésus.
Ainsi, l’Esprit que nous avons reçu « n’est pas un esprit d’esclave qui nous ramène à la peur », mais « un Esprit qui fait de nous des fils » dans le frère de tous que Jésus est devenu. Ainsi, avec lui nous devenons héritiers : nous sommes destinés à accueillir tout ce que Dieu donne – et ses dons ne sont que chemin vers le don total, plénier et définitif de lui-même. « Tout ce qui est à moi est à toi », souvenez-vous de cette déclaration inouïe du Seigneur de la parabole du Prodigue. Dites à chacun qu’il est héritier avec le Christ. « Si du moins nous souffrons pour être avec lui dans la gloire. » Aucun masochisme, seulement la nécessité de se laisser entrainer par l’amour dans l’amour. Et ainsi de trouver la vie.
Voilà ce dont vous devenez signe. Et pour cela vous ne pouvez pas être ailleurs que là même où Celui que vous aimez se donne et sert l’humanité. L’amour jusqu’au bout, l’amour qui ne se dérobe pas quand tout se dérobe.
Ambroise, Christophe, Yves-Marie, d’ici quelques jours je vous confierai une mission spécifiquement diaconale. Elle sera légère car vous avez encore deux années de formation à vivre et je vous demande expressément de vous y appliquer, humainement, spirituellement, et intellectuellement. Cependant, si tout diacre comme collaborateur privilégié de l’évêque reçoit une mission, son être profond ne saurait se réduire à la mission qu’il reçoit. C’est d’une manière nouvelle, sacramentelle, qu’il est associé au service de son Seigneur, la Croix pour le salut du monde, pour en devenir signe. Cela demande à imprégner toute sa vie, à commencer par votre vie familiale et conjugale, sans oublier, Christophe et Ambroise, votre vie professionnelle qui y sont d’ailleurs naturellement disposées.
Alors pour cela, n’ayez pas peur de redevenir comme des enfants. Au temps de Jésus, l’enfant c’est d’abord la figure de l’exclu, celui auquel on ne s’attache pas (il y a trop de décès en bas âge), celui qui coûte et ne rapporte rien (il n’y a pas de sécurité sociale ni d’allocations familiales, encore moins de retraite). Laissez le Seigneur vous rejoindre dans ce qu’il y a de plus fragile en vous, et accueillez la grâce qu’il vous donne par l’ordination d’un présence nouvelle et renforcée auprès de ceux qui ne comptent pas pour notre société et que l’on est tenté d’éliminer soit avant leur naissance, soit à la fin de leur vie, soit au cours de leur vie parce qu’ils seraient en situation irrégulière ou au banc de la société.
N'ayez pas peur avec Thérèse de redevenir comme des enfants, qui s’abandonnent à leur Père dans la confiance en toutes choses. Demandez au Seigneur de cultiver en vous cet esprit d’enfance, ce regard d’espérance émerveillé devant tout ce qui nait et donne la vie, cette capacité de discernement et d’accueil de tout ce que Dieu donne. Soyez des fouineurs de beauté, de charité et de vie.
« Dans le Cœur de l’Eglise, ma mère, je serai l’amour », disait Thérèse.
Dans quelques instants, je vais vous ordonner diacre. Que le Seigneur soit béni !
+ Olivier Leborgne, évêque d’Arras