Témoignage d'une religieuse à GAZA

Eléna, petite soeur de Jésus vivant à Gaza.

 

Gaza, Janvier 2008 Gaza, Janvier 2008   A vous tous et toutes qui avez communiqué avec nous durant les derniers temps par téléphone, par courriel ou par tout autre moyen que la technologie met à notre disposition,... à tous merci pour votre intérêt. Merci pour votre présence qui soutient notre communauté... et, pour m’exprimer aussi en utilisant la première personne, c’est un soutien pour moi durant cette période de grandes perturbations. Maintenant je voudrais vous partager ce que nous vivons dans cette ville de Gaza.
 
 
Aujourd’hui, 18 janvier, trois semaines de guerre, trois semaines d’horreur continue, trois semaines de destruction, de mort... Le 27 décembre, quand nous étions encore avec les lumières de Noël, juste après l’arrivée du “Prince de la Paix” (Is 9, 5), à 11:00 du matin, heure de pleine activité laborale et scolaire, la terreur nous a surpris: bombardements intenses, cris de toutes parts, les gens courant comme et où ils pouvaient... En cinq longues minutes, plus de 40 morts. Gravée pour toujours dans notre mémoire, cette image d’un policier palestinien qui meurt, le doigt pointé vers le ciel comme l’exige sa profession de foi musulmane, sous le regard des caméras de télévision.
 
Rita et Ghada, deux voisines, se sont précipitées à l’hôpital cherchant leur père qui n’est pas rentré du travail. Elles nous racontent les premières horreurs, les morts et les blessés étendus dans les corridors. L’hôpital qui manque de presque tout à cause de l’embargo imposé par Israël depuis deux ans ne peut pas répondre aux besoins. La guerre s’installe dans notre ville, dans chaque quartier, dans chaque maison. L’édifice du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité Nationale est détruit, une mosquée... le jour suivant le centre de tous les ministères, le palais présidentiel (si beau!), le Parlement, les laboratoires de l’Université Islamique, plusieurs mosquées, et même le plus important hôpital de Gaza, as-Shifa, tout ce qui peut avoir une relation avec les infrastructures du futur État palestinien... tout est en ruines. Et il y a les morts, les blessés, dont le nombre ne cesse d’augmenter.
 
Les premières attaques sont aériennes (F-16, Apaches, etc.) et maritimes. Quelques jours plus tard, il y a aussi des attaques terrestres, avec des chars de combat qui s’amassaient depuis déjà quelque temps aux frontières de l’étroite bande de Gaza. Très vite les réfugiés affluent, venant des villes et camps des frontières.
 
En moins d’une semaine, Gaza se convertit en un immense camp de réfugiés dans lequel tous nous sommes les victimes potentielles de la prochaine attaque. La vie s’organise en fonction des circonstances: il n’y a plus de gaz, l’approvisionnement électrique s’estompe car les installations sont touchées par les bombardements, l’eau est rare, le pain est presqu’un luxe. Trouver quelques pains peut coûter cinq heures de queue aux portes du four! Pendant la journée, nous cherchons tous quelque réserve de nourriture, des conserves, etc. ou alors, bidon de plastique en main, nous partons à la recherche de quelques litres d’eau. Les nuits sont longues et angoissantes. Personne ne dort tant sont particulièrement intenses les bombardements nocturnes. Les fondations, les murs, les fenêtres, tout est secoué, tout tremble. Nous dormons avec la radio allumée pour savoir “où a tombé” [le dernier tir, le dernier obus]...
 
Gaza, "l’une des plus belles villes de Palestine. Gaza qui après certains accords conclus il y a longtemps (ceux d’Oslo?) a cru en un avenir meilleur et s’est habillée de magnifiques constructions, de beaux jardins (le Parc de Barcelone), de quartiers résidentiels, Gaza s’est convertie aujourd’hui en camp de “déplacés”...
 
Les écoles de l’ONU accueillent des milliers de réfugiés, elles sont remplies d’enfants, de femmes, d’hommes qui ont perdu leurs maisons et, plusieurs d’entre eux, la moitié de leurs familles. Ces écoles sont aussi la cible de possibles bombardements!
 
L’objectif? “Le terrorisme”, disent ceux qui dirigent cette opération que j’ose appeler crime contre l’humanité. Les victimes? Je crois que tout le peuple palestinien. Il y a autour de 1400 morts (des “martyrs”), dont plus de 300 enfants et une centaine de femmes, comme cette mère qui est morte en donnant le sein à son petit de dix mois, leurs corps éclatés et deux fils blessés... et encore cette jeune qui est allée à l’hôpital pour enfanter, accompagnée par trois amies (il est préférable que les hommes ne sortent pas la nuit!), et les quatre ont reçu la bombe mortelle.
 
  
 
“Terroriste”? Cet homme, directeur de banque qui, avec sa femme et deux de ses fils, a tenté de fuir en auto vers les zones plus sécuritaires, et qui sont morts tous les quatre calcinés par le tir d’un char
de combat? Et ces 15 morts dans une mosquée durant une prière de l’après-midi? Ou les trois jeunes réfugiés dans une école de l’ONU qui sont morts à minuit, sous nos fenêtres? La déflagration a fait éclater plusieurs de nos fenêtres, et les cris de douleur de la mère d’une des victimes a déchiré pendant des heures le peu de silence qui restait de la nuit. “A Rama on entend les hurlements, les sanglots amers, c’est Rachel qui pleure ses enfants, car ils ne vivent plus.” (Jer 31, 15)
 
Qu’est-ce que je ressens devant toute cette horreur? D’abord une immense tristesse, tristesse devant la disparition de la plus infime graine d’“humanité” dans l’être qui est ainsi capable de semer la mort, la douleur et la destruction. Tristesse devant cette tentative de faire plier, par le moyen de la violence, la soif de justice et de liberté de tout un peuple. En même temps je ressens une certaine fierté devant la solidarité et le courage avec lesquels, ensemble, nous résistons à la violence qui tente de nous voler la vie. Le simple fait de vivre, de continuer la marche, même avec l’âme en pièces, c’est déjà un signe de force et de résistance.
 
Je ressens aussi la colère, une très grande colère, en face de l’incapacité de l’opinion internationale à dénoncer l’horreur, l’incapacité d’agir avec force et courage pour arrêter la tuerie.
Je ressens aussi de la tendresse et de l’affection pour ce peuple digne et assoiffé de justice. Hanna, réfugié dans notre quartier nous décrit l’état de son appartement après le passage des soldats israéliens qui s’y sont installés durant plusieurs heures. Tout est détruit, même la crèche, furtif vestige d’un Noël que nous n’avons pas célébré. Et dans les yeux résignés d’Hanna je lis l’exode de sa famille, réfugiée de Jaffa en 1948, car l’histoire se répète, 60 ans plus tard.
 
Peur? Je crois que je ne l’ai pas sentie, en aucun moment, ou peut-être si, quand devant la possibilité d’être évacuées j’ai tenu, nous avons toutes les trois tenu, à notre désir de rester ici, près de nos gens. Une fois prise la décision de rester, une peur m’a envahie, la peur de peut-être avoir trop tenu à ce désir et de ne pas avoir pris la bonne décision. C’est une peur qui est disparue aussitôt, qui s’est convertie en désir de continuer la route avec notre peuple errant, déplacé dans son territoire exigu.
 
“Consolez, consolez mon peuple...” (Is 40, 1), consolez les parents de Cristina, une jeune de 15 ans qui est morte asphyxiée par la peur quand une bombe est tombée toute près de son domicile. Consolez Minerva dont la maison est détruite et, 24 heures plus tard, son fils Nassim est déchiqueté par une autre bombe. Deux victimes chrétiennes, deux jeunes palestiniens dont le destin est uni a celui de tout le peuple.
 
Après trois semaines d’horreur, je ressens encore la colère, la rage de voir le problème palestinien réduit à ce qu’ils appellent “terrorisme”, oubliant la vraie cause, le dépouillement de toute un peuple de son droit à une vie digne et à un pays indépendant et libre.
Aujourd’hui dimanche, fragile cessez-le-feu. Nous sortons tous, les rues sont remplies de gens avides de provisions, avides d’air frais, sans bombes, ni Apaches, ni F-16. Dans la paroisse, notre curé qui a dénoncé et réclamé la justice dans tous les médias, continue de soutenir sa communauté, il nous donne du courage, nous exhorte à rester fermes dans l’espérance, “l’ancre ferme et sûre” (Heb 6, 19). Jamais je n’avais entendu proclamer le Credo avec tant de vigueur. “N’aie pas peur, petit troupeau.”(Lc 12, 32). Va de l’avant avec tout ton peuple.
 
Après tout cela, ce qui m’a donné le plus de forces a sans doute été la sortie avec Nada, enceinte de 5 mois. A l’échographie, le docteur m’a montré le cœur du bébé, petit point blanc qui bat rapidement tic...tic...tic... accroché vigoureusement à la vie, proclamant qu’elle, la vie, continue malgré tout d’être plus forte que la mort!
 
Avec toute mon affection,
Elena, petite sœur de Jésus
Gaza, 20 janvier 2009