Regard sur dix années dans le diocèse
Eglise d'Arras n°12
Mgr Jaeger, originaire de Dunkerque, connaissait bien la région avant d’être nommé à Arras. Pourtant, les réalités qu'il a rencontrées à son arrivée dans le Pas-de-Calais étaient sensiblement différentes de ce qu'il pensait.
Ma grande découverte concernait les difficultés d’une population qui a subi des mutations économiques : la fermeture du bassin minier, la diminution de l’activité de la pêche, la disparition assez forte de la dentelle, la fermeture de toutes les industries plus ou moins greffées sur l’activité minière, Metaleurop, etc. Le département a connu beaucoup de difficultés, d’autant plus qu’il a été structuré un peu en fonction de ses industries peu qualifiantes pour leur main d’œuvre. Mais ce que je savais et que j’ai vérifié, c’est que la population est extrêmement attachante. Les gens du Pas-de-Calais ont du cœur, ils pratiquent la solidarité… Vepres solennelles à la cathédrale 1er MaiJe dis souvent qu’ils ne sont pas assez fiers d’eux-mêmes. Ils sont humbles.
Du point de vu ecclésial, beaucoup plus que je ne l’imaginais et suivant les lieux, je trouve que l’Église locale est fondamentalement attachée à une religion de tradition. Attention, je ne veux pas dire traditionnel ou traditionaliste. Je ne pensais pas trouver à ce point la dévotion populaire, les neuvaines, les processions, etc. Je n’ai pas connu ça dans le Nord, ni en Lorraine. Une tradition qui porte encore la foi aujourd’hui, et il ne faut pas l’oublier.
Les orientations diocésaines.
- Trois objectifs,
Raviver le désir d'annoncer l'Évangile
Faire place au plus petit et au pauvre
Rallier des jeunes pour aujourd'hui
- Quatre instruments
Créer des cellules chrétiennes locales
Rejoindre des communautés plus larges
Étendre la formation à tout le peuple de Dieu
Susciter les vocations indispensables
Le 11 février 2000, Mgr Jaeger a proposé aux chrétiens de son diocèse des orientations autour de trois objectifs. La rédaction de ces orientations a été le fruit d'une observation qui a duré plus d'un an.
Il m'est apparu que notre diocèse était une grosse machine compte tenu de son histoire, de ses capacités, de son génie… Nous étions depuis un certain temps dans une période d'affaiblissement numérique généralisé. Les mouvements, les paroisses, les groupes avaient globalement moins de troupes. Au fil du temps, la pastorale s'était diversifiée. Après Vatican 2, on a vu apparaître de nouveaux mouvements. Mais il n’y a pas eu pour autant plus de fidèles pour les faire vivre et pour les animer, même si on a eu des émergences magnifiques : nombre de catéchistes et nombre d'équipes liturgiques, d'équipes de préparation au mariage, d’équipes d'accompagnement de familles en deuil… Mais il se pose toujours la question de l'affaiblissement des troupes.
On s'aperçoit aussi que nos moyens sont loin de se développer, que ce soit les moyens humains, les moyens techniques, les moyens matériels. Nous avions donc un risque d'émiettement de la vie et de la mission de l'Église. Soit un émiettement territorial, soit un émiettement d'évangélisation : beaucoup de structures, beaucoup de groupes, beaucoup de mouvements, mais qui drainent eux-mêmes des groupes plus petits. Ça peut poser question parce que avoir une Église qui se répartit ainsi en tout petits groupes, ça nuit à la visibilité et sans doute à l'efficacité de la transmission du message.
Par exemple un jeune va difficilement se lancer dans l'aventure avec deux ou trois personnes. Un jeune a besoin d'un espace, d'un environnement. C'est vrai aussi pour les mouvements et les divers groupes. Servir le dialogue de Dieu avec nous
Annoncer l'Évangile
Il est bien beau de rassembler les chrétiens en multiples groupes, en multiples mouvements ou en multiples communautés, mais ce n'est pas forcément cela qui garantit la pertinence de l'annonce de l'Évangile. L'Église n'a pas sa fin en elle-même. Il faut qu'elle soit capable d'aller porter la Bonne Nouvelle, et de témoigner à l'extérieur de ce qu'elle est. D'où l'idée de susciter des apôtres. La caractéristique d'un apôtre est de partir, de sortir de son groupe et d'aller porter la Bonne Nouvelle, d'aller l'annoncer à ceux qui ne la connaissent pas, ne la connaissent plus.
Quand je dis à des groupes, et même à des groupes de prêtres, qu'il y a chez nous, dans le Pas-de-Calais, un nombre énorme de personnes Servir le dialogue de Dieu avec nousqui n'ont jamais entendu parler de l'Évangile, qui n'ont jamais entendu parler du Christ, sauf bien entendu à la télévision, on me répond : ce n'est pas possible. On oublie qu'aujourd'hui nous avons une diminution forte des baptisés, et très forte des catéchisés. Ça veut dire qu'un enfant, même s'il a été baptisé, a statistiquement un nombre très restreint de chances de développer dans la catéchèse son propre baptême.
Aujourd'hui, le premier accent, la première force, est d'avoir la visée même des apôtres : aller porter la Bonne Nouvelle, mettre l'Église dans cette perspective. Ce fut ma première idée, et ça le reste : susciter des apôtre, raviver le désir d'annoncer l'Évangile. Certains m'ont dit : on l'a toujours eu. Eh oui, mais il faut avoir la perspective de l'annoncer à ceux qui ne l'ont pas encore entendu.
Faites place aux plus petits.
Un Évangile qui ne se traduit pas dans des faits et dans des gestes est une lettre morte. Le Christ lui-même a toujours accompagné sa Parole et ses enseignements de guérisons. Guérisons physiques, mais qui guérissaient vraiment toute la personne, qui guérissaient toutes les blessures humaines, celles du cœur, du corps, de la société, etc. Si l'Évangile est vraiment une Bonne Nouvelle, il ne peut s'exprimer que dans ce service du frère, et notamment du plus pauvre et du plus petit, de celui qui a plus besoin d'être relevé.
Rallier les jeunes.
L'Église n'a plus beaucoup de contacts avec les jeunes. Quand on dit plus beaucoup, c'est encore une formule un peu douce puisque l'on estime que 30 à 35 % des Français sont catéchisés. Il est quand même étonnant de se dire que, dans un pays comme le nôtre qui a un lourd héritage chrétien, aujourd'hui à peine le tiers des jeunes est formé dans la foi chrétienne. Cela ne veut pas dire que nous les ayons perdus définitivement ! D’où les perspectives nouvelles mises en place par les évêques pour la catéchèse. Il y a là des bouleversements considérables. Il y a donc un gros travail en perspective auprès des jeunes.
Le moyen que préconise Mgr Jaeger pour l'annonce de la Bonne Nouvelle est la proximité. Aussi, a-t-il été très heureux de constater que quelque mille maisons d'Évangile se sont mise en place spontanément pour l'opération Lire l'évangile de Marc.
Lire l'évangile de Marc On a proposé la lecture de l'Évangile non pas à l'Église, non pas en rassemblant des personnes dans des lieux forts, mais en allant dans les quartiers, dans les immeubles, dans les villages, etc. C'était ma proposition qui doit être une image de ce que nous sommes appelés à vivre.
On a montré qu'il était possible d'aller à la rencontre des personnes avec la Parole de Dieu. Je dirais presque : rien qu'avec la Parole de Dieu. Quand on a lancé cette idée, j'ai demandé que l'on laisse la Parole de Dieu dans toute sa pureté. Il ne s'agissait pas de faire des cercles bibliques, des cours de théologie… Le succès, pour moi, a été de montrer que la Parole de Dieu intéresse beaucoup plus qu'on ne l'imagine.
J'ai entendu les premières remarques quand j'ai lancé cette idée : Mais enfin, vous n'y pensez pas, ça ne va pas intéresser les gens. Nous ne sommes pas les témoins de Jéhova… Mais non, leur ai-je répondu. Vous proposez à votre voisine de lire l'Évangile de Marc. Si elle vous dit non, vous n'allez pas re-sonner la semaine suivante. Tout le monde n'a pas dit oui, mais j'ai eu beaucoup de témoignages me disant l'étonnement devant la réponse apportée. On peut, aujourd'hui, , aller à la rencontre des personnes avec la Parole de Dieu, sans que ce soit du prosélytisme. Pour moi, tout cela est très fort.
En même temps, on a besoin de lieux de rassemblements plus forts. Il est des moments où les chrétiens doivent se regrouper. Ils doivent faire assemblée. Autrement on n'avancera pas. On a besoin de se soutenir, on a besoin de se nourrir, on a besoin de se laisser réunir par le Christ. Et si c'est trop petit, c'est un signe qui ne parle plus. D'où les paroisses nouvelles pour donner ce sentiment de vitalité, de dynamisme et de réalité.
Les paroisses nouvelles et le redécoupage des doyennés
Quand je suis arrivé, ce que l'on appelle le regroupement des paroisses était entamé depuis déjà longtemps et sous diverses formes. Il y avait déjà des regroupements de paroisses, mais auxquels on n'avait pas donné une structure canonique. Il y a eu les secteurs qui relevaient un peu de cette logique-là.
Les villages du Pas-de-Calais ont cette particularité, pour la plupart, d'être relativement petits. On ne peut pas y vivre toutes les dimensions d'une vie paroissiale et d'une vie d'Église. Il faut qu'une assemblée dominicale ait une certaine consistance. J'ai souhaité que nous lui donnions une structure canonique, ne serait-ce que pour ne pas épuiser les personnes. Si, à bout de bras, on veut donner toute une structure à des toutes petites unités, on tue les personnes. Tout tombe sur le dos des mêmes, et comme ce sont souvent des personnes d'un certain âge, petit à petit, ça s'étiole, ça meurt.
J'ai bouclé le mouvement. Mais je dois dire qu'à force de vouloir bien faire, de dialoguer, la mise en place des paroisses nouvelles à demandé une quinzaine d'année.
Nous avons fait un peu plus vite pour les doyennés. Les doyennés ont été ajustés à des réalités sociologiques nouvelles, qui nous ont été fournies non pas par notre propre intuition, mais par la réalité humaine. Nous nous sommes adressés à des spécialistes qui nous ont dit aujourd'hui que toute l'activité ne sépare plus la ville ou le bourg de son environnement rural. Vous vous souvenez que nous avions des doyennés exclusivement ruraux. J'ai parfaitement en tête celui de Boulogne. Vous aviez une ceinture rurale qui entourait Boulogne.
Cela a sans doute été pertinent à un moment, mais on sait aujourd'hui que les gens de Marquise ne rencontrent pas les gens de Samer, ou s'ils les rencontrent, ils le font à Boulogne. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas prendre en compte les réalités rurales, mais il faut tenir compte de la manière dont elles sont vécues aujourd'hui.
En dix ans, le profil économique et social du Pas-de-Calais a beaucoup changé. Mgr Jaeger n'a pas été un simple spectateur de ces bouleversements souvent douloureux. Il a parfois été amené à prendre position.
Il faut toujours corriger notre appréhension. Comme si les chrétiens étaient toujours extérieurs aux événements et aux situations, et que tout à coup ils les regardaient ou bien s'y inséraient. Cette façon de voir m'a toujours étonné. On me demande : Où sont les chrétiens ? Les chrétiens sont d'abord ces hommes et ces femmes qui souffrent. Les mineurs et leurs familles qui ont dû vivre la fermeture des mines étaient pour la plupart des chrétiens. Ils étaient baptisés. Ils étaient membres de l'Église. Ces gens de Métaleurop, ces gens qui se posent aujourd'hui des questions à Arques, ces marins pêcheurs, pour la plupart, ce sont des chrétiens. Les chrétiens ne sont pas à l'extérieur des événements. Ils les vivent de plein fouet parce qu'ils sont dedans avec d’autres qui ne sont pas forcément chrétiens. Mais nous tous, nous vivons ces réalités. Il faut toujours se dire cela.
Notre foi chrétienne, la vie et la mission de l'Église peuvent nous aider à comprendre et à analyser, peuvent nous aider aussi à tracer quelques chemins, quelques orientations. J'évoque souvent l'action de Mgr Huyghe qui lui a fait une renommée. Il ne s'agit pas de dire que l'Église doit décider à la place des décideurs, mais elle doit attirer l'attention : qu'est-ce que l'on fait, quel type d'homme on essaie de faire grandir, ou quel type d'homme on abîme en faisant tel choix ou en prenant telle décision ?
Nous retrouvons là la spécificité de notre foi chrétienne. En tant que membres du Corps du Christ, les chrétiens ont pu apporter des lumières ou des éclairages sur des situations ou sur des événements. Sachant que des chrétiens, et c'est là le paradoxe de notre foi, ne vivent pas forcément les événements à partir du même lieu. Par exemple dans ce qui se passe autour d'Arc International, il y a certainement des chrétiens qui à la base se demandent ce que deviendront leur emploi, leurs enfants, etc., et il y a aussi des chrétiens qui doivent prendre des décisions parce qu'ils sont parmi les décideurs.
Mgr Jaeger souhaite que les laïcs prennent conscience de leur place dans l'Église.
Je souhaite que les laïcs s'engagent. J'aimerais que chaque Chrétien ait conscience qu'il porte une part de responsabilité dans la vie et la mission de l'Église. Qu'il ne soit pas simplement celui qui vient réclamer les sacrements de temps en temps, mais qu'il ait l'idée de s'investir. Voici malheureusement un domaine que l'on prend souvent comme point de repère : les funérailles. On me dit qu'à certains endroits, on ne réussira même plus à trouver une équipe d’accompagnement des familles en deuil. Non seulement il n'y a pas de prêtre, mais on risque de ne plus trouver de fidèles laïcs.
Nous sommes au pied du mur. On peut se demander : qui est-ce qui va faire, qui est-ce qui va prendre en charge ? Je pense qu'il est important que tous se sentent responsables, et pas simplement pour la vie de l'Église qui se rassemble, la vie des communautés qui organise bien la catéchèse, les baptêmes et les enterrements qui sont des lieux d'évangélisation. Mais je souhaite que l'on ait aussi la présence des laïcs dans le monde. Un exemple tout à fait actuel : la réflexion sur les lois bioéthiques. Nous connaissons maintenant la crise dans notre société qui pose des questions fondamentales : que fait-on, pourquoi vit-on, etc. ?
Il faut que là aussi, des chrétiens soient présents. Pas seulement des évêques. Quand on ne sait plus quoi faire, on demande souvent l'avis des évêques. 14 octobre 2006 Les évêques savent dire. Mais ce n'est pas tout de dire, il faut que l'on ait des chrétiens qui, dans les groupes, les conseils d'administration ou syndicats, participent à la réflexion. On peut critiquer de l'extérieur les parachutes dorés. Mais c'est quand même mieux si des patrons chrétiens disent : arrêtons cette pratique. De même si des ouvriers se demandent ensemble comment faire vivre une entreprise, et comment faire en sorte que chacun ait sa place et soit reconnu. Il est plus pertinent, me semble-t-il de faire quelque chose de l'intérieur, même si on a besoin d'être accompagné par d'autres voix, y compris celle des évêques, mais ce n'est pas l'évêque qui va changer la structure d'une entreprise, encore moins de la société globale. On a besoin de chrétiens musclés, si j'ose dire, qui soient présents là où se jouent les grandes réalités de la vie sociale et de la vie économique.
Jean Capelain et Jean-Paul Chavaudra